dimanche 22 décembre 2019

22 décembre 2019 : Louise Michel, gilet jaune ?




Il n’y a qu’à grandir les choses pour qu’elles servent au lieu de perdre. Étendre le sentiment de la patrie au monde entier : le bien-être, la science, à toute l’humanité.
(Louise Michel, Mémoires, Tribord, 2005)


Lisant Louise Michel en ce moment, je me rends compte à quel point elle est très moderne, bien qu’étant, sans doute parce qu’elle fut une femme, et de surcroît révolutionnaire, complètement écartée des histoires de la littérature... Claude Rétat constate dans son magnifique essai Art vaincra !, Louise Michel : l’artiste en révolution et le dégoût du politique (Bleu autour, 2019) que les Mémoires de Louise Michel n’ont jamais été considérés comme de la littérature mais comme un livre d’histoire, alors qu’on a immédiatement classé les Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand dans la littérature. Pourtant Louise Michel s’est toujours considérée comme une artiste et un écrivain (on ne disait pas "écrivaine" à l’époque) : "au fond j’ai toujours été une artiste, je suis une artiste en révolution", écrivait-elle. 

 
Et quand on trouve dans ces fameux Mémoires le texte suivant, certes militant, mais une sorte de poème en prose, qui peut affirmer qu’elle n’est pas un écrivain :


"Que voulez-vous qu’on fasse de miettes de pain, pour la foule des déshérités ? Que voulez-vous qu’on fasse du pain sans les arts, sans la science, sans la liberté ?
Allons, allons, que chaque main prenne un flambeau, et que l’étape qui se lève marche dans la lumière !
Levez-vous tous, les grands chasseurs d’étoiles !
Les hardis nautoniers, dehors toutes les voiles, vous qui savez mourir !
Allons, levez-vous tous, les héros des légendes des temps qui vont surgir !"


Certes, la militante anarchiste libertaire est bien présente, mais la littérature aussi ! Je suis très content de la relire en ce moment, car elle convient tout à fait au monde des gilets jaunes qui pourtant ne l’ont certainement pas lue, voire ne la connaissent même pas, mais qui sont en passe de devenir ces "héros des légendes des temps" à venir, et pourtant elle pourrait être signataire de leurs tracts distribués dans les manifs : "Les gilets jaunes, c’est le retour de l’esprit de simplicité en politique, la fin des faux-semblants, la dissolution du cynisme". Quand je pense que les experts médiatiques les traitaient d’analphabètes ! En fait, ils ont tout compris : ils ne sont pas prêts à "redémarrer après trois vagues concessions" du gouvernement. "Giletjauner la grève, c’est en finir avec les finasseries", nous disent-ils encore. Ou bien "les gouvernements sont le problème, et non les détenteurs de solutions". Et je trouve bien juste qu’ils ajoutent : "c’est tout le cadre qu’il faut d’abord envoyer balader si nous voulons trouver des « solutions »". Ou cela : " nous nous trouvons pris en otage dans leur désastre, dans leur cauchemar, dont nous sommes en train de nous réveiller". Ou encore : "nous avons compris que la destruction des conditions de vie sur terre n’est pas un effet malheureux et involontaire de votre règne, mais une partie de votre programme". Enfin : "La seule bagnole admissible, c’est celle où l’on s’entasse à six à force de prendre des auto-stoppeurs".
Conclusion : "Il n’y aura pas de retour à la normale ; car la normalité était le problème". Ce qu’aurait pu signer des deux mains la bonne Louise, la vierge rouge, elle qui écrivit : "j’éprouve au contraire la hâte de ne plus voir la lâcheté des troupeaux et la tyrannie des maîtres". On ne saurait mieux dire. Ah ! Louise, tu nous manques pour rabattre la caquet de tous ces experts, imbéciles à parlottes, qui pérorent d'un air satisfait sur les écrans de télé. Si tu y étais, je regarderais la télé plus souvent.

Aucun commentaire: