Il
n’y a qu’à grandir les choses pour qu’elles servent au lieu de
perdre. Étendre le sentiment de la patrie au monde entier : le
bien-être, la science, à toute l’humanité.
(Louise
Michel, Mémoires,
Tribord,
2005)
Lisant
Louise Michel en ce moment, je me rends compte à quel point elle est
très moderne, bien qu’étant, sans doute parce qu’elle fut une
femme, et de surcroît révolutionnaire, complètement écartée des
histoires de la littérature... Claude Rétat constate dans son
magnifique essai Art
vaincra !, Louise Michel : l’artiste en révolution et le
dégoût du politique (Bleu
autour, 2019) que
les Mémoires
de Louise Michel n’ont jamais été considérés comme de la
littérature mais comme un livre d’histoire, alors qu’on a
immédiatement classé les Mémoires
d’outre-tombe
de Chateaubriand dans la littérature. Pourtant Louise Michel s’est
toujours considérée comme une artiste et un écrivain (on ne disait
pas "écrivaine" à l’époque) : "au
fond j’ai toujours été une artiste, je suis une artiste en
révolution",
écrivait-elle.
Et
quand on trouve dans ces fameux Mémoires
le texte suivant, certes militant, mais une sorte de poème en prose,
qui peut affirmer qu’elle n’est pas un écrivain :
"Que
voulez-vous qu’on fasse de miettes de pain, pour la foule des
déshérités ? Que voulez-vous qu’on fasse du pain sans les
arts, sans la science, sans la liberté ?
Allons,
allons, que chaque main prenne un flambeau, et que l’étape qui se
lève marche dans la lumière !
Levez-vous
tous, les grands chasseurs d’étoiles !
Les
hardis nautoniers, dehors toutes les voiles, vous qui savez mourir !
Allons,
levez-vous tous, les héros des légendes des temps qui vont surgir !"
Certes,
la militante anarchiste libertaire est bien présente, mais la
littérature aussi ! Je suis très content de la relire en ce
moment, car elle convient tout à fait au monde des gilets
jaunes
qui pourtant ne l’ont certainement pas lue, voire ne la connaissent
même pas, mais qui sont en passe de devenir ces "héros des légendes des temps" à venir, et pourtant elle pourrait être signataire de leurs tracts
distribués dans les manifs : "Les gilets jaunes, c’est
le retour de l’esprit de simplicité en politique, la fin des
faux-semblants, la dissolution du cynisme". Quand je pense que
les experts médiatiques les traitaient d’analphabètes ! En
fait, ils ont tout compris : ils
ne sont pas prêts à "redémarrer après trois vagues
concessions" du gouvernement. "Giletjauner la grève, c’est
en finir avec les finasseries", nous disent-ils encore. Ou bien
"les gouvernements sont le problème, et non les détenteurs de
solutions". Et je trouve bien juste qu’ils ajoutent :
"c’est tout le cadre qu’il faut d’abord envoyer balader si
nous voulons trouver des « solutions »". Ou cela :
" nous nous trouvons pris en otage dans leur désastre, dans
leur cauchemar, dont nous sommes en train de nous réveiller".
Ou encore : "nous avons compris que la destruction des
conditions de vie sur terre n’est pas un effet malheureux et
involontaire de votre règne, mais une
partie de votre programme".
Enfin :
"La seule bagnole admissible, c’est celle où l’on s’entasse
à six à force de prendre des auto-stoppeurs".
Conclusion :
"Il n’y aura pas de retour à la normale ; car la
normalité était le problème". Ce qu’aurait pu signer des
deux mains la bonne
Louise,
la vierge
rouge,
elle qui écrivit : "j’éprouve
au contraire la hâte de ne plus voir la lâcheté des troupeaux et
la tyrannie des maîtres".
On ne saurait mieux dire. Ah ! Louise, tu nous manques pour
rabattre la caquet de tous ces experts, imbéciles à parlottes, qui pérorent d'un air satisfait sur les écrans
de télé. Si tu y étais, je regarderais la télé plus souvent.
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