jeudi 11 février 2016

11 février 2016 : courez voir "La vache", et lisez aussi !


C'est l'histoire de trois hommes qui se retrouvent en cellule. Le premier dit  : "J'en ai pris pour vingt ans pour avoir raconté une blague." Le deuxième dit  : "J'en ai pris pour quinze ans pour avoir ri". Le troisième dit  : "J'en ai pris pour dix ans, et je n'ai rien fait". "Menteur", lui disent les deux autres, "rien, c'est cinq ans".
(Kossi Efoui, L'ombre des choses à venir, Éd. du Seuil, 2011)




J'ai l'impression que notre monde devient de plus en plus inhumain : course à la consommation excessive (et corollaire, des tas de gens n'ont rien, dorment dehors), course à l'enrichissement (mais on ne peut s'enrichir que sur le dos de ceux qui s'appauvrissent), course aux technologies nouvelles (et corollaire, manque de relations humaines ordinaires, car à quoi bon passer des heures devant ses écrans, smartphone, ordinateur, si on n'est plus capable de communiquer en chair et en os), course aux armements (un certain Adolf Hitler en a développé le funeste exemple, et tout le monde s'est engouffré derrière, faut croire que ça rapporte plus que de soigner, nourrir et éduquer les populations), etc... Faut-il croire, avec Paul Verhoeven (interview dans Télérama, n° 3448, février 2016) que "L'espèce humaine est accro à la noirceur" et que "Les journaux sont remplis de mauvaises nouvelles, car ce sont les seules qui font vendre" ?
 
Pour ma part, je préfère la légèreté, la fantaisie et le sentiment, bref, ce qui fonde l'humanité, la vraie. Tout ce que j'ai trouvé dans le film La vache, de Mohamed Hamidi, vu hier soir en avant-première. Un paysan algérien, Fatah (joué par le fabuleux Fatsa Bouyahmed, prix d'interprétation mérité pour ce rôle au Festival de L'Alpe d'Huez)), après plusieurs réponses négatives les années précédentes, est enfin accepté pour présenter sa vache, Jacqueline, au salon international de l'agriculture de Paris, qui lui envoie une invitation et un visa pour la France, mais il doit lui-même se payer le voyage. Malgré l'opinion parfois négative des villageois (il donne l'impression de s'occuper davantage de Jacqueline que de sa femme et de ses deux filles), tout le village se cotise pour lui permettre de partir. Lui qui n'est jamais sorti de son village, quitte donc sa femme et ses filles. Il arrive à Marseille (scène très drôle à la douane), et de là, Fatah tente de gagner Paris à pied, avec sa vache. Un road movie donc, qui offre l'occasion de rencontres truculentes (comme une fête où on le fait chanter... et boire), dramatiques (il se trouve pris dans une manifestation d'agriculteurs où la police le prend pour un des meneurs et casseurs, et il passe la nuit au poste) et aussi amicales (une fermière, prénommée aussi Jacqueline, qui lui donne l'hospitalité, un aristocrate désargenté (Lambert Wilson) à qui il regonfle le moral, et même son beau-frère Hassan (Jamel Debbouze), exilé en France et au départ mécontent de sa venue, car il a caché à sa famille qu'il a épousé une Française, mais qui devient son plus fervent supporter)... Interviewé par la télévision, il acquiert la célébrité sur les réseaux sociaux et on attend avec impatience son arrivée au salon. 
 
Très belle histoire où l'on passe du rire aux larmes, le choc des cultures est une belle occasion pour le réalisateur de montrer la profonde humanité qu'il y a chez les uns et les autres, tant sur la route en France qu'au bled où on suit les péripéties du voyage de Fatah et de Jacqueline avec passion, jusque dans l'école primaire, où ça donne lieu à des cours de géographie. Voilà, La vache est un film émouvant parce qu'il nous parle de l'Homme : c'en est presque troublant, tant on avait perdu de vue, dans les blockbusters et les comédies habituelles, la joie, la simplicité et la richesse intérieure qui existe chez l'être humain. On n'oubliera pas de sitôt Fatah, sa bonhommie souriante, sa manière hasardeuse de parler français et de détourner nos proverbes : "Qui veut voyager loin, il change de voiture" ou "Rien ne sert de courir, faut partir en avance", ni sa vache Jacqueline, aux si beaux yeux. Le deuxième film de Mohamed Hamidi (après l'excellent Né quelque part, cf mon blog du 26 juin 2013) est tout aussi tonique, optimiste et indispensable dans l'atmosphère délétère qui règne chez nous en ce moment ! 
Bravo, on en sort heureux. J'espère que le public sera au rendez-vous, ou c'est à désespérer de l'humanité. Le film m'a rappelé La vache et le prisonnier avec Fernandel et Marguerite, aussi bien que le beau récit autobiographique d'Hadrien Rabouin, Le journal d'Hadrien et Caroline (Ed. du Rocher, 2009), où un jeune paysan raconte ses pérégrinations avec sa vache le long des routes de France. La même humanité irrigue ces trois œuvres.

C'est cette même humanité que j'ai retrouvée cette année dans d'autres films (La terre et l'ombre, film colombien, Les délices de Tokyo, japonais, Au-delà des montagnes, chinois, A second chance, danois) ou dans mes lectures récentes : le formidable Assise : une rencontre inattendue du Franco-Chinois Francois Cheng, le mystérieux L'ombre des choses à venir du Togolais Kossi Efoui, l'émouvant Une vie entière de l'Autrichien Robert Seethaler : "Il ne s'était jamais trouvé dans l'embarras de croire en Dieu, et la mort ne lui faisait pas peur", le magnifique La vie comme une image de la Canadienne Jocelyne Saucier : "Si j'aime tant à me promener dans mon enfance, c'est que j'y ai laissé des rêves merveilleux", ou de nouveaux racontars du Danois Jørn Riel : "Ayant passé une longue période sans faire usage de sa langue, voilà qu'il était maintenant saisi de l'envie de transformer ses pensées en sons" (Le canon de Lasselille et autres racontars, Gaïa, 2001).
 
Bref, la vie reste belle, en dépit de la méchanceté humaine et des va-t-en guerre de tous bords !

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