Non,
non, pas acquérir. Voyager pour t'appauvrir. Voilà ce dont tu as
besoin.
(Henri
Michaux, Poteaux
d'angle,
Gallimard, 1971)
ALLER : 1er
février 2015
frégate dans le ciel
Il
y a exactement vingt-et-un jours, trois semaines, que je suis monté
à bord. Et nous sommes déjà à Panama. Mal dormi cette nuit
encore, la chaleur était éprouvante, j'ai sorti la couette pour ne
garder que sa housse. À 6 h 30, quand je me suis levé, j'ai vu
qu'on s'apprêtait à s'engager dans le canal. Sitôt après le petit
déjeuner, j'ai pris mon appareil de photo et suis monté sur le pont
près de la passerelle. C'est toujours fascinant, le spectacle du
franchissement des écluses. Même si ça n'a plus le charme de la
première fois – encore que, pour moi, toute expérience répétée
est toujours une première fois –, et que j'aurais sans doute cette
fois-ci préféré passer par Suez.
franchissement d'écluse
Petite
sieste matinale, tandis que le cargo est immobile, après
franchissement des écluses, attendant le feu vert pour avancer sur
le lac de Gatún.
d'autres bateaux en attente sur le lac ; ciel chargé
Bientôt
l'heure du repas, je vais aller me dégourdir les jambes sur le vélo
(home-trainer). 8 km, pendant que la cargo s'élance : mes coups
de pédale l'auraient-ils lancé ? Ça m'amuse parfois de le
croire, comme sur mon premier cargo (celui vers la Guadeloupe), où
je faisais du rameur pour me donner l'illusion de participer à la
marche du navire. Dommage que ce rameur, excellent à tous points de
vue (épaules, dos, abdos, cuisses) ne figure pas ici. Et je me
change, en plus léger – et court vêtu – pour le repas de midi,
steak frites du dimanche.
notre table
On
rit beaucoup pendant les repas. Jean-Guy assaisonne volontiers la
mangeaille de proverbes, de locutions populaires et de chansons.
Comme je disais qu'on n'avait pas vu Oleg, au repas, et que trente
secondes plus tard, ce dernier faisait son apparition, il dit :
« Quand on parle de la bête, on aperçoit sa tête »,
équivalent québécois de Quand
on parle du loup
chez nous. Mais aussi ce qu'on peut dire, comme bêtises ou
banalités, en société : et
tout en sachant combien c'était stupide, elle se sentit obligée de
dire : « Quelle belle soirée ! » (Virginia
Woolf, Ensemble
et séparés)
Temps
chaud et lourd (25° sous abri), je m'attendais à quelque averse
tropicale brutale ; mais non, le soleil apparaît. Nous sommes
de nouveau immobilisés, avant sans doute de nous engager à la
sortie du lac dans le chenal plus étroit taillé dans la montagne.
Puis ce sont les écluses de Pedro Miguel et Miraflores qui mènent
vers le Pacifique.
Pedro Miguel : en avant vers le Pacifique !
J'aurai
passé à peu près tout l'après-midi sur le pont, assis, à lire
(un peu), regarder (beaucoup) l'avancée du cargo, les dernières
écluses, les oiseaux, difficile, vraiment, de photographier des
frégates, qui filent comme le vent ! Mais vu aussi des
pélicans, des corbeaux, des buses et autres oiseaux de proie.
certificat de passage de la ligne
23
mars : Le doux Rafael, notre plus jeune officier philippin (28 ans) me
réveille de ma sieste en nous apportant notre « certificate of
equatorial passage », le premier que je reçois (Bruno en a eu
un à chacun de ses passages, c'est lui qui l'a réclamé ce matin).
RETOUR :
24 mars
Nous sommes à Balboa, à l'orée du canal, le jour se lève
Nous
avons commencé à avancer à 5 h environ, j'ai fait ma toilette, le
jour se lève, j'ai
pris quelques photos, nous allons déjeuner avant
l'écluse de Miraflores. J'ai aperçu l'immense porte en béton de la
nouvelle écluse : les travaux ont avancé, même s'ils n'ont pas pu être
inaugurés pour le centenaire du canal, en 2014 ! Le bateau qui
franchissait l'écluse de Miraflores en même temps que nous
s'appelle le SIRIUS, comme dans Les
aventures de Tintin.
un petit salut au capitaine Haddock
Après
le très beau temps d'hier, il semble que nous risquons d'avoir des
nuages et peut-être de la pluie. Après les deux premières écluses,
je suis descendu dans ma cabine, j'ai rattrapé mon insomnie en
dormant deux heures. Il est 11 h 20. Nous sommes dans le lac de
Gatún,
et je ne me lasse pas d'admirer les petites îles, la végétation
tropicale.
la forêt
Après
le repas de midi, où le commandant ne laisse pas de nous étonner
par sa froideur et son manque d'empathie – il a laissé le pilote
panaméen manger dans son coin sans chercher le moins du monde à
discuter avec lui – café : Bruno me montre le dépliant
publicitaire du canal de Panama (datant de 2011) qui explique le
détail des futures écluses pour gros bateaux. Elles seront simples
et non pas doubles, comme les actuelles. Nous observons le magnifique
paysage de forêt équatoriale que nous frôlons parfois de près.
nous rattrapons le Sirius
Pas
de sieste cet après-midi, ni de lecture, du plein air, à observer
le franchissement des trois écluses de Gatún, par 9°16 de latitude
N et 79°55 de longitude W. nous admirons le travail des locomotrices
(las mulas) qui nous guident et évitent que nous heurtions les
parois des écluses. Le SIRIUS est toujours parallèle à nous, sur
l'autre écluse, mais peu à peu, vu notre plus faible dimension,
nous nous insérons plus aisément dans notre bief, et d'un bief à
l'autre, nous le dépassons, alors qu'au départ, à Miraflores, il
était avant nous. Et nous nous acheminons vers Manzanillo.
encore des écluses
Et
je repense à ce que j'ai lu chez Björn
Larsson : "nous
avons tous besoin de gens qui sortent des chemins battus, qui vivent
leur vie à peu près comme bon leur semble et qui s'inscrivent en
faux contre la normalité conformiste et étriquée – à partir du
moment où cela n'entrave que très peu la liberté des autres. Nous
avons besoin d'hommes et de femmes excentriques, fantaisistes et
farfelus pour nous rappeler que nous pouvons vivre, penser et sentir
différemment, que la vie que nous menons n'est pas la seule
possible"
(Besoin
de liberté,
Seuil, 2006).
souvenir du centenaire du canal de Panama offert au Matisse
et posé sur une commode dans la conference rom
et posé sur une commode dans la conference rom
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