vendredi 15 novembre 2013

15 novembre 2013 : contrer le racisme


Crouillat. Un mot crachat, une glaire du cœur, un chancre mental, un ulcère variqueux de la langue, comme celui de youtre qui avait tenu lieu de verdict, de condamnation et d'oraison funèbre à sa mère. Crouillat, insulte d'autant plus affligeante qu'elle vient de la défiguration d'un terme signifiant « mon frère » en langue arabe, donc incluant une valeur d'estime et d'amitié, comme youtre distord le terme allemand désignant simplement un juif. Des mots à la sonorité laide, de borborygme grailleux, qui emplissent de pus la bouche de ceux qui les profèrent – mais ceux-là s'en délectent, confondant pus et suc.

Crouillat. Heurté et meurtri par cette offense qui ne lui était pas adressée, révolté autant que désemparé, Paul avait senti un calme inattendu poindre dans cette mêlée de sentiments, et la chasser en silence. 'A khuya, mon frère. Il serait prêtre, indifférent aux frontières délimitant les camps, les classes, les castes et les tribus. Il serait frère de tous, et libre de tout lien assignant à un cercle, familial ou autre, aliénant à un clan, il serait frère de sang humain, hors race, et même frère de sang et de souffle de toute espèce vivante. Il communierait avec toutes les espèces.

(Sylvie Germain, Petites scènes capitales, Albin Michel, 2013)



Oui, "des mots à la sonorité laide", des mots qui ressurgissent aujourd'hui, comme un fléau qu'on croyait rangé au magasin des accessoires, des mots qui tuent. Un mal, une maladie, un chancre qui rongent les âmes : le racisme, ce qui veut dire le refus de ce qui est étranger, de ce qui est différent, la haine et la peur de l'autre érigées en principes de vie, un mal qui touche en premier lieu les classes sociales fragilisées par la crise, le chômage et la paupérisation, accablées par l'arrogance des puissants, et qui ont besoin de trouver un exutoire, un bouc émissaire à leur misère, à leur malheur. Que ne se tournent-elles pas contre les puissants, les capitalistes, les actionnaires, qui sont responsables de leur malheur ?

Ce bouc émissaire, c'est l'autre, autrefois juif (affaire Dreyfus, rafles pendant la dernière guerre), rital (massacre d'Aigues-Mortes en 1893), gitan (carnet anthropométrique de 1912, livret de circulation de 1969), etc... Aujourd'hui, c'est l'immigré et le descendant d'immigré, arabe, noir principalement, ainsi que ceux qui sont différents, les roms, aussi bien que les sans-papiers : ne va-t-on pas jusqu'à parler d'invasion musulmane et noire contre laquelle doivent se dresser les « bons Français » ? Personnellement, je ne vois pas des bons Français dans les parents qui laissent sans réagir une de leurs gamines de douze ans insulter (« La guenon, mange ta banane ») une ministre en exercice. Je dois dire que si un de mes enfants avait osé proféré ce genre d'ignominies, il aurait reçu une raclée [ils ne m'ont jamais donné l'occasion de leur en donner une] : une punition n'a jamais fait de mal à personne. Mais non, aujourd'hui, c'est normal. On laisse dire, surtout dans les familles qui ont milité et militent encore contre le mariage pour tous, car toute forme de racisme peut en cacher une autre.

Se rend-on compte qu'à force de ce refus de l'autre, on pousse les gens au communautarisme ? Si les immigrés d'origine musulmane avaient été mieux accueillis dans notre pays si soucieux des droits de l'homme, on verrait sûrement beaucoup moins de jeunes femmes voilées : et c'est trop facile aujourd'hui de dire qu'ils ne veulent pas s'intégrer, quand la réalité est qu'on ne les accepte pas, qu'on ne les a jamais acceptés. Si on veut empêcher le communautarisme, hélas déjà bien implanté, il faut prioritairement combattre avec force le racisme sous toutes ses formes, l'intolérance sous toutes ses formes aussi, et pas avec de la bien-pensance, mais en n'acceptant pas de rien laisser passer ni verbalement ni physiquement des attaques ignobles et imbéciles. Avec de la pédagogie, avec de la conscience. Oui, le racisme, loin d'être une opinion, est un délit et il peut devenir un crime (voir les nazis, quand ils furent au pouvoir).

Pour en revenir à Christiane Taubira, puisque c'est elle qui cristallise la haine d'une fraction trop importante de lâches et d'imbéciles, je rappelle que c'est nous qui sommes allés en Guyane, c'est nous qui y avons importé des « nègres » comme esclaves, c'est encore nous qui y allons encore et toujours pour faire du fric, pour la plupart d'entre nous (n'est-ce pas les expatriés, et est-ce qu'on vous demande, là-bas, de vous intégrer aux coutumes locales, vous qui abhorrez, en général, les noirs et les indiens ?). Alors, je demande à ceux qui se qualifient de bons Français de fermer leur gueule : Christiane Taubira est française aussi, et meilleure qu'eux, et je suis fier d'elle. 
Et moi, je me sens  noir et guyanais, depuis quelques jours !


1 commentaire:

Marie/Paofaia a dit…

Je ne vois pas pourquoi ces " bons "français auraient puni leurs enfants, puisque, visiblement, ils les avaient mis devant et les avaient fait répéter. J'espère qu'eux par contre seront punis par la loi. Elle existe.
Et j'aime beaucoup votre blog!
Merci!