Commencer
par soi, mais non finir par soi ; se prendre pour point de
départ, mais non pour but ; se connaître, mais non se
préoccuper de soi.
(Martin
Buber, Le chemin de l'homme)
J'ai
été surpris d'entendre mes amis de Poitiers me dire : « La
dernière fois que tu es venu chez nous [il y a un mois et demi], tu
n'as parlé que de la mort ! » C'est possible : en
effet, à ce moment-là, Igor poursuivait son agonie à l'hôpital,
et j'allais lui rendre visite chaque après-midi, aux heures
autorisées. Mais enfin, y a-t-il du mal à parler de la mort ?
Ne fait-elle pas partie de la vie ? Ne faut-il pas s'y préparer
(Montaigne : "Philosopher,
c'est apprendre à mourir") ?
Doit-on, vraiment, en faire un sujet tabou, à exclure de toute
conversation ? Personnellement je ne le pense pas, et sans en
faire un sujet privilégié de ma parole, je souhaite de tout mon
cœur qu'on n'oublie pas – et je ne risque pas de l'oublier
maintenant, où je suis, comme chantait Brassens, "cerné
de près par les enterrements"
– que plus nous avançons en âge, plus nous approchons de la fin.
Et non seulement la mort m'accompagne, mais les morts aussi (Victor
Hugo : "Les morts,
ce sont les cœurs qui t'aimaient autrefois / C'est ton ange expiré
! c'est ton père et ta mère !") ;
aussi, j'y pense souvent et, de temps en temps, probablement sans que
je m'en rende compte, je dois en égrener le thème dans ma
conversation.
sagesse de l'arbre
Je
dois avouer aussi que c'est devenu un sujet majeur de ma poésie –
si tant est que ce soit de la poésie, ce que j'écris, disons donc
de mon écriture. Je ne voudrais pas atteindre la fin de ma vie sans
être capable de répondre à la question : « Pourquoi
n'as-tu pas été Jean-Pierre Brèthes ? » Je me suis trop
souvent efforcé de répondre, dans ma vie, à des questions du
type : « Pourquoi ne deviendrais-tu pas un sportif
émérite, un bibliothécaire génial, un poète transcendant, un
mari parfait, un père étincelant, un ami sublime, etc... ? »
Toutes questions qui ne sont pas sans intérêt, mais qui éloignent
du vrai sujet, qui est : as-tu été toi-même ? As-tu vécu
de ta manière à toi, sans copier servilement celle des autres, et
sans être pour autant devenu ton but exclusif ? As-tu été
l'orgueilleux qui n'a toujours pensé qu'à toi, ou bien as-tu fait
preuve dans tes relations avec autrui, de l'humilité, de la modestie
qui sont les tiennes ? Humilité et modestie qui cohabitent très
bien, chez moi comme chez les autres, avec l'orgueil. Es-tu bien qui
tu es ? N'as-tu pas été qu'un miroir que tu as promené le
long du chemin et qui t'a renvoyé l'image que tu souhaitais que l'on
voie de toi ?
"Car
je suis allé jusqu'au sommet de la montagne. Et je ne m'inquiète
plus. Comme tout le monde, je voudrais vivre longtemps. La longévité
a son prix. Mais je ne m'en soucie guère maintenant",
a dit Martin Luther King, la veille de son assassinat (cité dans
Sylvie Germain, Magnus, Albin Michel, 2005). Et je me pose la
question : suis-je allé jusqu'au sommet de ma montagne ?
Peut-être justement, le fait que j'évoque souvent la mort, dans ma
parole comme dans mes écrits, et cela sans tristesse aucune (comme
me disait Claire, sourire aux lèvres, en janvier 2009, alors même
qu'on visitait des appartements, car elle pensait à juste titre que
je ne resterai pas dans notre maison : « J'ai bien vécu,
je ne regrette rien ! Tu vivras aussi, tu feras pour le
mieux. ») me montre que je suis en chemin, que je gravis des lacets
et des escarpements...
Au
lieu de consommer toujours davantage, de nous entourer d'objets de
toutes sortes, de s'empiffrer d'excès de nourriture, de désirer
sans cesse des choses nouvelles, pourquoi ne pas se poser cette
simple question : « Pourquoi n'es-tu pas toi-même ? »,
et s'efforcer d'y apporter une réponse. À ce prix, nous n'avons pas
à craindre la mort, nous pourrons la regarder en face.
Zoulou, dans mon fauteuil, a répondu à la question
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