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septembre 1998 : Les
problèmes qui se posent à l'humanité sont de plus en plus graves,
de plus en plus pressants, de plus en plus complexes. Mais ceux qui
ont à leur trouver des solutions demeurent des hommes. Des hommes
avec leur égo, leurs limites, leurs ambitions, leur volonté de
pouvoir, leur détermination à servir les intérêts de leur pays,
et on comprend que les décisions prises ne sont pas forcément les
meilleures.
(Charles
Juliet,
Apaisement : Journal VII, 1997-2003,
POL, 2013)
Une
fois n'est pas coutume, j'ai formidablement bien dormi cette nuit,
huit heures d'affilée, ce qui ne m'était pas arrivé depuis
longtemps. Peut-être mes déplacements incessants – et donc
changements de lits nombreux, en sont une des causes. Mais j'entends quand même
beaucoup de gens de mon âge se plaindre d'un sommeil agité ou coupé
en plusieurs tronçons. Et mes toubibs successifs (Poitiers, puis
Bordeaux) m'ont confirmé que, déjà si j'arrive à dormir six
heures sans me réveiller, certes je peux ensuite me rendormir, mais
ma nuit est finie. Alors, je me lève faire un petit tour aux
toilettes, boire un verre d'eau, et lis ou écris.
le sommeil paisible : Zoulou
Je
crois cependant que ce qui m'a admirablement détendu, et donc donné
ce formidable sommeil, c'est d'avoir vu hier après-midi l'excellent
documentaire Les
jours heureux,
réalisé par Gilles Perret, qui nous raconte l'élaboration par la
Résistance française d'un programme de reconstruction et de
rénovation du pays, qu'on peut lire en intégralité sur le site : http://fr.wikisource.org/wiki/Programme_du_Conseil_national_de_la_Résistance.
À grand renfort d'images d'archives, mais aussi
d'interviews de participants devenus très âgés, qui nous offrent à
la fois une mémoire de la résistance, mais aussi une mémoire
politique et sociale dont nous avons grand besoin aujourd'hui où
tous les idéaux de la Résistance sont oubliés (« Les Français
ont la mémoire courte », disait le général de Gaulle), et où
tout ce programme admirable est en train d'être démantelé par les
gouvernements successifs depuis trente ans. On voudrait nous faire
croire que ces idées, fixées dans un programme écrit, seraient
tombées dans la désuétude : et la deuxième partie du film,
où sont interviewés nos hommes politiques actuels, montre bien l'absolue
nullité de ces derniers (en particulier Copé – un des résistants dit : "ils se prétendent gaullistes, mais n'ont pas lu une ligne des discours ni des Mémoires de de Gaulle", Hollande et Bayrou,
pas un pour racheter l'autre) dès qu'on les compare avec les
Stéphane Hessel, Raymond Aubrac (ils viennent de mourir et le film
leur est dédié), Daniel Cordier, Léon Landini, Robert Chambeiron,
Jean-Louis Crémieux-Brilhac, et autres grands résistants de l'époque.
affiche du film
Ce
programme magnifiquement intitulé « Les jours heureux »
(d'où le titre du film), élaboré en France occupée entre octobre 1943
et mars 1944 par le Conseil National de la Résistance (CNR),
entendait poser les fondements d'une société plus juste, plus
humaine, porteuse de valeurs universelles. Il est à l'origine de la
sécurité sociale, de la retraite par répartition, de la liberté
de la presse par rapport à l'État
et aux puissances d'argent, de la création des comités
d'entreprise, choses qui existent encore en partie aujourd'hui : pour
combien de temps, car elles sont déjà bien malmenées ? Mais
il fut aussi à l'origine des nationalisations des banques, sociétés
d'assurances et usines qui s'étaient liées aux occupants (pardi,
pour les actionnaires, l'argent n'a pas d'odeur, et on est toujours
du côté du plus fort !), aussi bien que des richesses du
sous-sol (Charbonnages de France) ou naturelles (électricité),
toutes choses qui ont été mises à mal ces derniers temps, sous
prétexte de libéralisme mondialisé et d'Europe (après ça,
étonnons-nous que beaucoup de Français soient opposés à l'Europe,
et ne votent que très peu aux élections européennes).
Quand
on voit ces hommes, traqués par l'occupant et ses séides
vichyssois, ces géants (quel plaisir de les entendre, ces vieux
résistants avec leurs belles têtes de vieillards qui paraissent jeunes, et comme Bayrou,
Copé et Hollande paraissent sinistrement "vieux" à côté d'eux, c'est le côté
tragique du film, de voir ces hommes qui nous gouvernent ou
souhaitent gouverner être incapables de répondre à des questions
simples) avoir eu une telle vision de l'histoire, de la liberté, de
l'équité, on se dit qu'on a beaucoup perdu. Deux historiens
complètent le dispositif filmique, Laurent Douzou et Nicolas
Offenstadt, et donnent un autre éclairage.
Ce magnifique documentaire complète le dernier film de Kenneth
Loach, L'esprit
de 45,
sorti au mois de mai, et qui traitait, pour l'Angleterre, du même
sujet. Ce dernier film n'avait même pas fait 10 000 entrées en
salle, quand des conneries invraisemblablement abrutissantes et
décervelantes en attirent des millions.
le film de Ken Loach, à ne pas manquer non plus
Nous
étions assez nombreux hier, mais le public était uniquement composé
de vieux, enfin, de gens d'au moins mon âge ! Les jeunes
ont-ils envie de savoir, de comprendre ? L'oubli de l'histoire
est tragique. Elle conduit à ce que nous voyons aujourd'hui :
la domination de la finance et du pouvoir économique sans
contrepartie. Les
jours heureux
rappellent opportunément que Denis Kessler, un des pontes du MEDEF
avait affirmé en 2007 : « Il s'agit aujourd'hui de sortir
de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil
National de la Résistance » (revue Challenge
du 04/10/2007), sans que personne ou presque y trouve à redire. On en est effectivement là. À
bon entendeur salut !
Reste
à souhaiter que des jeunes (comme l'étaient la plupart des
résistants) se soulèvent à nouveau et entrent en résistance.
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