Qui
va là ?
Face
à toute œuvre, qu'elle soit littéraire, plastique ou musicale,
tout comme à l’intérieur de toute œuvre en train de se créer,
se lève cette interrogation entre surprise et trouble.
Qui
va là ?
Face
à toute personne rencontrée, à tout visage, qu'il soit d'un proche
ou d'un passant, d'un familier, d'un étranger, se formule cette
demande, entre étonnement et inquiétude.
Qui
va là ?
Face
à soi-même soudain frappé, au détour d'un instant, par la
flagrance et par l'inévidence de sa propre existence, d'un même
élan, surgit en force cette question, entre stupeur et grande
alarme.
Qui
va là ?
Face
à la mort, le questionnement monte à l'aigu et vibre à l'infini,
entre mystère et effroi.
(Sylvie
Germain, Céphalophores, Gallimard, 1997)
Ah,
la 3 D ! tout un programme ! Ça me paraissait supportable,
en tant que gadget quand c'était au Futuroscope (où il n'y avait
que des gadgets, comme dans tous les parcs d'attraction) ou à la
Géode de La Villette. À aucun moment, je n'y avais accordé la
moindre allure artistique, je l'avais pris pour ce que c'était :
un gadget. Imagine-t-on de regarder la
Joconde
ou un Van Gogh en 3 D ? il se trouve que j'ai vu en 2 D deux films qui étaient
sortis en 3 D : Alice
au pays des merveilles
de Tim Burton, et le dernier Astérix au
service de la Reine ;
non seulement je n'ai rien perdu sur le plan artistique, car j'ai
parfaitement vu tous les effets 3 D, mais j'ai gagné le prix des
lunettes et le surcoût des films en 3 D, que je n'ai évidemment pas
payés : car tout ça relève du commerce le plus bêta – en
particulier pour les multiplexes, toujours à l'affût de nouvelles recettes extra-artistiques, pop-corn, boissons sucrées, jeux vidéo –, et non pas de l'art : et,
pour moi, le cinéma est un art. Devant la baisse de la
fréquentation, ces margoulins – poussés bien sûr par les
actionnaires des « majors » de cinéma américaines –
ont trouvé le bon filon, car la plupart des films en 3 D sont
destinés aux enfants (films d'animation d'une laideur affligeante,
que la 3 D ne doit pas arranger, et blockbusters pour gamins
attardés, où ça bouge tout le temps) qui, habitués, en
redemandent : on formate du spectateur. Et ça marche : ce sont ces films-là qui font le
plus d'entrées, et qui ruinent un peu plus les familles à petit
budget !
Il
se trouve qu'en mars 2011, comme les cinémas avaient commencé à
programmer des retransmissions numériques d'opéras, en direct ou
enregistrés, j'ai eu la fantaisie d'aller voir au CGR de Poitiers
Carmen,
projeté en 3 D. Non seulement c'était moins convaincant en 3 D
qu'en 2 D, mais j'en suis ressorti avec un mal de crâne pas
possible. Car j'ai trouvé que ce relief-là, qui m'était imposé,
n'était pas le mien ! Explication, trouvée sur internet (vous
voyez que je ne suis pas contre le progrès) : "apparition
éventuelle de troubles neuro-oculaires dûs à l’effort contre
nature que la 3D demande à nos yeux. Un risque confirmé par le
professeur d’optométrie américain Martin Banks (université de
Californie à Berkeley), auteur d’une étude inquiétante sur le
“conflit optique” qui fonde l’illusion de relief au cinéma".
Mais ne pas s'inquiéter : nos chers bambins vont, avec ça,
enrichir la profession des ophtalmologistes, comme avec leurs casques
sur les oreilles, ils vont enrichir les ORL, et avec pop-corn et boissons sucrées les dentistes. À
la sortie du cinéma, j'avais rempli le questionnaire en indiquant
« plus jamais d'opéras en 3 D ». Je n'ai pas dû être le
seul, car depuis, je n'ai jamais vu de retransmissions d'opéras programmées
en 3 D.
De
toute façon, lisons ce qu'en a dit un cinéaste, Christopher
Nolan (dans Les
Inrocks):
« il m’est difficile de regarder un film en 3D et d’oublier
que je regarde un film, surtout avec les lunettes et la fadeur de
l’image, car on perd de la lumière. En plus, parler de 2D est un
abus de langage. L’oeil humain voit en 3D. L’essence du cinéma
et de toute prise de vues, c’est l’illusion en trois dimensions.
On peut parvenir à des effets de profondeur incroyables avec les
techniques déjà existantes […] Forcer à la 3D, j’appelle ça
jeter le bébé avec l’eau du bain. Il faut préserver la qualité
initiale de l’image avant toute chose. » Voilà, tout est
dit : en feuilletant rapidement les commentaires de spectateurs
sur des sites, tous disent qu'il y a par ailleurs une déperdition de
l'image (les couleurs sont moins franches, moins vives, en 3 D), et souvent
estiment s'être fait avoir.
Déjà,
on peut estimer que la révolution du tout numérique, qui a
succédé à l'obligation du passage au Dolby accompagné du bouleversement apporté par les multiplexes, ce qui avait sans doute boosté un temps la fréquentation, n'est en fait qu'un moyen de faire
encore plus de profits pour quelques-uns (les grands circuits) au
détriment de la diversité culturelle (les petites salles d'art et
d'essai) et de la préservation de l’emploi (c'est bien connu, plus de profits = moins d'emplois) : rotation bien
plus rapide des films, ouverture de la programmation à des
spectacles divers (match de foot, opéra, spectacles comiques…), gestion resserrée (des centaines ou milliers d'emplois en passe d'être supprimés, essentiellement des
projectionnistes, mais aussi les vendeurs de
billets et caisses, puisque la billetterie dématérialisée est déjà là, il est vrai qu'on les transforme en vendeurs de pop-corn)…
Non, tout ça ne me réjouit pas. Une
réponse absolue, celle des cinémas Utopia, au slogan : « Cinéma
garanti sans 3D ».
Jusqu'à quand ?
Surtout
quand on sait qu'en plus, le
leader français des lunettes 3D (Eyes3Shut) n'est autre qu'un des
dirigeants du Front National en Vaucluse. Quand on pense que les conseils régionaux, généraux et
municipaux, souvent de gauche, ont subventionné les équipements de
cinémas pour s'adapter à la 3 D, on en tombe le cul par terre :
le sieur en question fait de la politique et se trouve subventionné indirectement
par les aides publiques.
Jusqu'à
quand, disais-je ? Car déjà les Utopia succombent aux sirènes
et proposaient Gravity,
en 2 D heureusement, que je suis allé voir, en tant qu'amateur de science-fiction. Résultat : rien à
signaler. Un film dont il ne me restera rien (comme Matrix).
Une bande sonore épouvantable, et c'est là, en particulier, que je
situe l'artiste au cinéma. Quand Kubrick, pour son film de
science-fiction 2001, choisit des musiques qu'on n'oublie pas, ici on
avait envie de se boucher les oreilles ! Gravity
n'est même pas mauvais, il est insignifiant : aucune réponse
au « Qui va là », aucune « surprise », aucun
« trouble », un film pour passer (perdre ?) le temps. À
mon âge, je n'ai plus envie, ni au cinéma, ni en littérature, de
gâcher le peu de temps dont je dispose. Et sur un thème voisin (la
solitude devant l'infini), le récent En
solitaire
(malgré de graves défauts) était au moins empreint d'humanité.
* * * * * *
Ceci étant, je n'empêche personne d'aller voir des films en 3 D ni d'aller dans les parcs d'attraction, si on a de l'argent à dépenser et du temps à perdre : mais on ne m'y verra pas. J'ai d'ailleurs appris qu'un nouveau parc va être installé dans le département de la Vienne, qui va devenir décidément de plus en plus une « réserve » d'Indiens. Et je sais aussi l'utilité de la 3 D en microchirurgie et en modélisation, par exemple.
2 commentaires:
Suis pas d'accord.
Mes petits enfants adorent la D et c'est magique pour eux de voir ces images. C'est le progrès Jean Pierre il faut aller de l'avant pour certaine chose. Et on ne peut pas aimer mais on peut donner son avis...
Je refuse le progrès et j'ai pourtant l'âge de m'y inscrire largement. Je dois être "née quelque part" où si je veux du volume sous les yeux, je me couche sous un arbre et je regarde danser les feuilles au vent.
Merci pour votre article.
Or
Enregistrer un commentaire