mercredi 6 novembre 2013

6 novembre 2013 : obsèques d'Igor



10 février 1993 : La pire des solitudes, c'est être coupé de soi-même, c'est vivre dans l'ignorance de ce qui nous gouverne, c'est ne rien comprendre à ce que nous sommes. La plupart des hommes sont dans ce cas. 
(Charles Juliet, Lumières d'automne)


J'ai rencontré Igor lors d'une rencontre conviviale organisée par l'Association Aides en octobre 2010. J'ai tout de suite senti en lui, en même temps qu'une identité fragile, une immense solitude, un cœur énigmatique, un esprit frondeur... Mais aussi un roc de sympathie. Dans les eaux amères du deuil où je pataugeais alors, la grande amitié qui est née presque instantanément entre nous m'a aidé [avec celle de quelques autres] à remonter la pente.
On sentait en lui, malgré son état, un être sans dépit, sans révolte, quelqu'un qui dissimulait sa fragilité sous l'apparence d'un roc que rien ne pouvait ébranler. Il ne m'a pas dit : « Passe ton chemin, tu es inaccessible ! », mais au contraire, comme François d'Assise ou le père Gilbert, [personnages] qu'il admirait, « Viens, frère, nous aurons de l'amitié à partager ». Comme moi, il aimait lire [ayant été libraire], nous avons donc échangé des lectures, peu à peu nous nous sommes apprivoisés, comme le renard et le petit prince [un de ses livres favoris]. Nous avons ouvert nos cœurs, partagé la connaissance, qui est l'attribut de l'être humain [Cicéron].
Quand j'ai déménagé à Bordeaux, c'est spontanément qu'il m'a proposé de loger chez lui quand je viendrai à Poitiers. Et je suis souvent venu [certes, pas uniquement pour lui, mais il était pour beaucoup dans la multiplicité de mes déplacements], pour partager sa convivialité, manger avec lui, jouer avec lui au scrabble, écouter les chansons de Barbara ou de Dalida, refaire le monde. Je lui parlais de mes vieux amis poètes, Georges et Odile, de la grande solitude de ces personnes très âgées, et je voyais que la sienne n'était pas moins grande, malgré ses activités associatives.
Pour le remercier, je l'ai invité à m'accompagner à Venise fin août début septembre 2012, pour qu'il découvre cette ville magnifique, ses canaux, ses palais, ses églises, ses œuvres d'art, ses jardins, ses gondoles, ses ruelles et ses ponts innombrables, ses îles, ses vaporetti qui nous transportaient d'un lieu à un autre, sa lagune, la plage du Lido où nous pique-niquions, son soleil éclatant, la Basilique Saint-Marc, où le dernier soir nous allâmes suivre la messe et admirer les fresques. Malgré ses souffrances, car son état de santé était déjà très dégradé  et à Venise, il faut beaucoup marcher et monter des escaliers pour franchir chaque pont , je l'ai vu heureux, rire comme un enfant innocent en observant la foule des touristes ou les pigeons de la Place Saint-Marc.

Le Lion de Saint Marc
Igor, je ne suis pas un détective, je n'ai pas à sonder ton énigme, ni à déchiffrer ton côté obscur, j'ai seulement essayé par l'amitié d'adoucir tes moments de détresse, de partager avec toi, un peu, notre faim commune d'humanité. Sur l'autoroute du destin, tu ne t'es pas offert un péage de longue durée, mais dans mon cœur et dans celui de ceux qui t'ont connu, il n'y a ni péage ni barrière : tu es bien là et tu y resteras tant que nous serons en vie.


[texte que j'ai lu aux obsèques d'Igor, 40 ans, ce matin, à l'église Saint-Porchaire, de Poitiers]

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