Je
suppose qu’avant d’en venir à l’amour, on est saisi du
pressentiment que viendra de ce côté-là l’essentielle souffrance
de la vie et que l’on cherche, comme on peut, à s’en cacher,
blotti en de frêles abris...
(Gabrielle
Roy, Ces
enfants de ma vie,
Boréal, 2013)
À
l’opposé de la fadeur de La
la land,
Moonlight,
avec moins d'afféteries et plus de simplicité, est un film au sujet brûlant. On
retrouve là
le grand
cinéma
américain, dans
lequel
l’écriture cinématographique est
au
service d’un contenu profond.
Par
ailleurs, à l’image de son titre, le film rayonne de lumière,
celle des âmes nues, qui contrebalance la noirceur de la violence sociale.
Le
film est conçu en trois temps.
1 : l’enfance. Dans
ce quartier noir de Miami (à l’école, au collège, il n’y a que
des noirs : la ségrégation raciale reste, semble-t-il, un fait), la
violence est partout : Chiron, le jeune garçon de
neuf ans,
est
élevé par une mère seule, accro à la drogue et qui se prostitue
pour vivre ; garçon sensible et
mutique,
Chiron,
surnommé Little, est
brimé par ses camarades, car pas assez masculin. Un
jour qu’il se réfugie dans un immeuble abandonné aux dealers et
aux drogués, il est récupéré par Juan, un des caïds du coin, qui va
le prendre sous son aile et devenir un
père de substitution. Juan
,
qui
vit avec la lumineuse Teresa, va arriver à le dégeler, lui
apprendre à nager, et Chiron peu à peu, sort de sa carapace.
Traité de "faggot" (tapette) à l"école, il demande à Juan ce que ce mot
signifie, et Juan lui fait une réponse intelligente.
2 :
l’adolescence. Quelques années plus tard, Chiron a quinze ans et
continue à être brimé, parce que trop "différent". Il voit toujours Teresa (Juan est mort) dès
qu’il a des difficultés, ou que sa mère a un client. Il n’a qu’un seul ami, Kevin, avec qui
il peut
s’épancher un peu,
mais ce dernier est contraint par le groupe de collégiens à le
battre. Et les autres achèvent en le rouant de coups ; la directrice le
somme de porter plainte, il refuse. Mais
le
lendemain, Chiron se venge en cassant une chaise sur le dos du meneur
de la bande. Arrêté par la police, il est envoyé dans un centre
éducatif.
3 :
l’âge adulte. Dix ans plus tard, Chiron, devenu un homme très
costaud (il a fait de la musculation) vit désormais à Atlanta, où il
imite Juan, en étant un des meneurs du trafic de drogue. Il
vit dans une grande solitude.
Sa
mère est maintenant dans une maison de désintoxication et souffre
de son absence. Chiron reçoit un coup de téléphone de Kevin,
toujours à Miami, où il est devenu cuistot, après avoir fait de la
prison. Sur un coup de tête, Chiron décide d’aller lui rendre
visite.
Nous
assistons donc dans ce récit d’apprentissage à l’éducation
sentimentale d’un jeune garçon au
visage triste que
sa mère n’a pas su aimer. Pour se construire,
l’enfant
se
fabrique
une armure (le
silence en fait partie),
qu’il
va épaissir peu à peu.
Malgré
l’aide bienveillante de Juan (très beau personnage, dont on regrette la disparition), l’amitié de Kevin (le seul garçon
de son âge à lui parler), il va renforcer
au
fil des ans
cette armure, ce
regard fermé.
C’est
qu’il y a derrière tout ça la
prise de conscience de son homosexualité,
dès
l’enfance, par le regard
des autres, puis
plus nettement à l’adolescence, par leur violence sociale. Et donc de la solitude profonde
que ça va entraîner pour Chiron dans ce milieu populaire noir, où
la virilité est magnifiée. D’où sans doute le besoin qu’il
aura de se transformer en un super costaud, en
archétype du mâle (derrière lequel on sent pourtant la fragilité
du petit garçon qu’il n’a cessé d’être, l’acteur est ici
prodigieux).
Ce qui va lui permettre de remonter la pente, d’être capable de
pardonner à sa mère et peut-être d’aimer.
La
caméra est
toujours à la hauteur des êtres humains (pas seulement de Chiron,
mais de tous ceux qui l’entourent), attentive à déceler les
failles,
les silences, les
faiblesses de chacun, à capter dans l’instant les
sensations des
personnages.
À
cet égard, la dernière scène reste inoubliable.
Et
je vous laisse la découvrir. Moonlight
est un film tout en pudeur,
en délicatesse,
en
retenue, en
subtilité, léger même, malgré l’âpreté
du sujet : comment devient-on un homme, et surtout
comment
être soi ?
L’originalité
vient du fait que le réalisateur saisit trois moments de la vie de
Chiron (donc joué par trois acteurs différents), et trois moments
assez brefs. Dans chaque moment, il y a des instants-clés :
pour l’enfant, la rencontre avec Juan et l’explication du mot
faggot ("Un jour, tu devras choisir qui tu as envie d’être",
lui dit Juan), ensuite la scène frémissante
des
deux adolescents sur la plage (où aidé par Kevin, plus déluré, Chiron choisit peut-être ce qu’il
est), enfin, les belles scènes de la réconciliation avec la mère
et des retrouvailles avec Kevin dans le troisième mouvement. Ainsi,
on comprend l’évolution de Chiron, la résilience qui lui permet
de survivre, de
tromper le déni de soi
et
de se décider, enfin, à aimer.
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