la
littérature, elle, est un art hybride, parce que la langue, qui est
son matériau, est, dans toutes les variations de proportions
possibles, selon les cas, à la fois communication, signification, et
évocation.
(Julien
Gracq, Entretien avec Bernhild Boie)
Le
Festival de cinéma de La Rochelle reste, depuis que j'en connais
plusieurs, le plus constamment excellent : films faisant partie de l'histoire du cinéma
(films muets accompagnés au piano, rétrospectives d'un ou plusieurs
réalisateurs, panorama d'un pays, etc.), et films récents, avec de
nombreux films inédits à la recherche d'un distributeur, ou bien
prêts à sortir dans les semaines qui viennent. En six jours, j'ai
donc vu quatorze films, loin derrière ceux qui y sont fourrés de 10
h du matin à minuit et qui en visionnent cinq par jour. J'avoue qu'avec
trois maximum dans la journée, ça me rassasie suffisamment, et ça
me laisse du temps entre deux films pour respirer et prendre le pouls
d'une très belle ville, voir le toit calciné de l'Hôtel de ville, les tours de La Rochelle, ou prendre le passeur (bus de mer mu par l'électricité solaire).
Et
puis, La Rochelle, c'est avant tout l'amitié. Je n'oublie pas
qu'après le décès de Claire – et comme j'errais comme une âme
en peine à Poitiers – Marc et Yolande m'ont accueilli à Angoulins
comme un fils surnuméraire, ou plus exactement comme un frère
supplémentaire, puisque nous sommes à peu près du même âge ;
en fait, comme un nouvel ami. Je trouve chez eux une chaleur
réconfortante, une attention constante, et j'espère leur rendre un
tout petit peu de leur attention et de leur chaleur. C'est aussi pour
quoi je passe les soirées chez eux et ne reste à La Rochelle qu'aux
séances du matin et de l'après-midi. D'ailleurs, j'y vais le plus
souvent à vélo, et bien entendu, ça fait aussi partie du charme de
ce Festival, où je joins l'utile (l'exercice physique, environ 10 km
de vélo dans un sens, puis dans l'autre, dans le vent et en bord de mer) à l'agréable (voir des
films).
Très
étrangement, je suis resté cinéphile, de même que je suis resté
lecteur de romans, alors qu'en général, en vieillissant, on se
replie sur soi-même et on s'intéresse moins à la vie des autres
dont films et romans nous montrent un reflet. Et cinéphile qui tient
à l'ouverture : j'ai donc vu trois films chiliens (on célébrait
le jeune cinéma chilien, qui revient de loin, après l'épisode
Pinochet, un peu comme le cinéma espagnol après Franco), deux films
des USA, deux films québécois, deux films indiens (aucun rapport
avec les films chantés et dansés de Bollywood), un film allemand,
un film anglais, un film français, un film italien et un film
japonais. Conclusion : les êtres humains sont bien les mêmes
partout, bons ou méchants, plein d'humour ou sérieux, pervers ou
délicats, mesquins ou généreux, etc. etc. N'en déplaise aux thuriféraires du racisme et
du nationalisme, qui ne voient pas plus loin que le bout de leur
courte vue.
Si
les films chiliens, le français, l'allemand et l'italien étaient
estimables, mais sans plus, il y avait quelques perles : le film
québécois de Claude Gagnon, Karakara,
qui raconte l'histoire d'un retraité (Gabriel Arcand, excellent
acteur, également vedette de l'autre film québécois) parti au
Japon à la recherche du sens de ce qui lui reste à vivre (thème
forcément important pour moi), les formidables reprises d'Irma
la douce (Billy Wilder),
de La fille de Ryan
(David Lean), que je n'avais jamais vus, et des Sept
samouraïs, de Akira
Kurosawa, dans sa version intégrale de 3 h 26 (je n'ai pas vu le
temps passer), et les deux films indiens, Harischandra's
factory, de Paresh
Mokashi (qui se passe en 1913 et raconte le tournage du premier film
indien) et Ship of
Theseus, un film sur les
greffes d'organes, tous deux excellents, beaux à regarder et riches
de signification : ah ! pourquoi s'obstine-ton à ne nous
montrer dans nos salles (et à la télévision !) que des films
américains ou français souvent insipides, comme si le reste du
monde n'existait pas, alors qu'il nous apporterait une tout autre
nourriture et une tout autre ouverture d'esprit !
La
fille de Ryan est un
très beau film, romantique, qui se passe dans l'Irlande de 1916,
déchirée par les émeutes et les luttes pour l'indépendance ;
c'est une histoire d'amour entre la jeune femme (Sarah Miles) d'un
instituteur vieillissant (Robert Mitchum) et un jeune officier
anglais qui revient du front. L'éternelle histoire de la jeune femme
idéaliste mal mariée avec un mari trop vieux (cf La
princesse de Clèves,
Madame Bovary,
ou Anna Karénine)
quoiqu'aimant (ce n'est pas le cas dans le roman de Tolstoï), mais qui ne
peut la satisfaire. L'auteur du Pont de la rivière Kwaï et de
Lawrence d'Arabie nous livre une fresque admirable visuellement, fort
bien jouée, qui mêle habilement l'histoire d'amour et la grande
histoire en train de se vivre, les scènes d'intérieur et les beaux
paysages irlandais, le calme apparent et les tempêtes (aussi bien
climatiques que dans les consciences). Encore un film qui me convainc
que l'amour ne peut fonctionner correctement entre deux êtres mal
assortis ! Et qui correspond à la triple fonction indiquée par
Julien Gracq dans la phrase en exergue : "communication,
signification, et évocation"
sont ici étroitement mêlées dans la beauté de l'art. Peu de films
aujourd'hui atteignent une telle maîtrise et une telle splendeur.
Et puis, le Festival de cinéma de La Rochelle, c'est aussi un lieu de rencontre, on discute dans les files d'attente, on fait connaissance, on prend des adresses même, on commente ce qu'on a vu, on prend note de ce qu'on n'a pas vu et qui mérite le détour, on en apprend de belles sur d'autres festivals (dont celui d'Ouagadougou !)... Bref, c'est une mine de richesse humaine inégalée. Je reviendrai à La Rochelle !
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