Ce
n'est pas se ranger parmi les intégristes rabat-joie que de
regretter le rabougrissement spirituel de notre société.
(Alain
Accardo, De notre servitude involontaire, Agone, 2013)
Au
moment où il y a de quoi être effrayé par les foules qui hantent
les bords de mer ou les bords de routes du Tour de France, je vous
livre à méditer des extraits du texte de Pierre Rahbi, publié sur
son blog le mercredi 17 juillet, et intitulé C'est
quoi, être en vacances ?
"Le
concept contemporain des vacances est un phénomène assez nouveau,
qui va de pair avec la modernité. […] La plupart des civilisations
antérieures, souvent agraires ou nomades, ne connaissaient pas cette
notion. Je n’en ai par exemple jamais entendu parler durant mon
enfance, jusqu’à la découverte de mines houillères dans nos
terres ; les Français sont alors venus les exploiter,
embauchant du personnel et instaurant en même temps que ce type de
travail de brèves périodes de vacances. Auparavant notre vie était
cadencée par le travail de la terre, qui alterne les périodes
d’activité avec les saisons dites « mortes ». L’hiver,
saison où l’on ne peut agir, il n’y avait pas de travaux des
champs, les phases de repos étaient déterminées par la nature et
non par une organisation sociale particulière.
Aujourd’hui,
dans le cadre de cette sorte de servitude quasiment à vie qu’est
devenu le travail, où il faut chaque jour aller pointer, les
vacances représentent naturellement un moment bienvenu, mais le
temps de souffler, à peine a-t-on repris quelques forces qu’il
faut reprendre le collier – expression en elle-même très
évocatrice de la condition humaine dans le monde actuel.
Mais
peut-on légitimement considérer les vacances comme un temps
vraiment libéré ou bien encore soumis à des comportements
prédéterminés par des attitudes collectives standardisées ?
Il faut bien admettre que là aussi le profit règne. [...]
L’importance attribuée au tourisme dans [les pays du Maghreb, dont
est originaire Pierre Rhabi] les a d’ailleurs affaiblis, cette
politique menée par leurs gouvernants est regrettable dans la mesure
où elle les rend dépendants de l’extérieur au lieu de les
inciter à cultiver leurs propres ressources naturelles. [...]
Le
temps libre est bel et bien transformé en temps économique, il
n’est plus consacré à la méditation, à l’épanouissement de
l’esprit, au fait de se retrouver soi-même. [...] Cette question
ne vient pas remettre en cause les activités nécessaires à notre
survie mais interroge la répartition du temps dédié à l’avoir
par rapport à celui qui concerne l’être. Selon les cadences
millénaires auxquelles se sont adaptées les civilisations, c’est
aux beaux jours d’été que la nature est en effervescence, l’hiver
elle entre en dormance ; aujourd’hui les vacances estivales
induisent plutôt une cessation du travail. L’administration du
repos en fonction de l’économie et non selon les rythmes naturels
de la terre et de ceux l’espèce humaine est complètement
artificielle, c’est une sorte d’anomalie. Le véritable repos est
plus harmonieux : la nature, les animaux, les sols et l’homme
devraient goûter ce répit à l’unisson, c’est un temps
d’inspiration très puissant où puiser des ressources vitales
avant de reprendre une activité."
Oui,
le monde a bien changé depuis l'époque de la jeunesse de Pierre
Rhabi, né en 1933 dans le sud algérien. La civilisation s'est tout
entière tournée vers le modèle américain de l'entertainment (=
divertissement), sous l'impulsion des médias (cinéma, puis
télévision, maintenant internet), modèle parfaitement explicité
par Alain Accardo dans son livre cité en exergue : "les
classes moyennes sont devenues le vecteur de cette conception
impressionniste et de cette pratique libidinale d'une vie tout
entière orientée vers la recherche au moindre coût de la plus
grande jouissance possible, dans les meilleurs délais, qui est en
somme
la transposition sur le plan des mœurs de l'exigence de
profit maximum dans le plus court terme qui
commande les pratiques économiques."
Et, avouons-le, c'est pendant les vacances qu'on voit le mieux ce que
l'auteur appelle notre servitude involontaire (parce qu'on n'imagine
plus pouvoir faire autrement) : celle que les marchés nous imposent, car le repos est devenu un gigantesque business. On voit aussi cette servitude à l’œuvre à la
télévision où s'épanouit la pauvreté spirituelle et la servilité caractéristiques
de la plupart des animateurs, et qui n'est que l'exact reflet de
celles de notre temps. L'auteur conclut à une nécessité de
changement intérieur de l'individu : "Non,
une vie consacrée à la poursuite interminable et égoïste de
plaisirs matériels au demeurant médiocres et de pouvoirs temporels
au demeurant dérisoires est une vie de divertissement,
une vie vide, une vie inutile, une vie sans honneur, une vie de
m'as-tu-vu, une caricature de vie humaine..."
J'ai
bien peur qu'aussi bien Pierre Rahbi qu'Alain Accardo ne soient
entendus que par une toute petite minorité. Mais ne sont-ce pas les
minorités qui transforment le monde ? Soyons optimistes !
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