samedi 20 juillet 2013

20 juillet 2013 : une société aspirituelle



Ce n'est pas se ranger parmi les intégristes rabat-joie que de regretter le rabougrissement spirituel de notre société.

(Alain Accardo, De notre servitude involontaire, Agone, 2013)





Au moment où il y a de quoi être effrayé par les foules qui hantent les bords de mer ou les bords de routes du Tour de France, je vous livre à méditer des extraits du texte de Pierre Rahbi, publié sur son blog le mercredi 17 juillet, et intitulé C'est quoi, être en vacances ?

"Le concept contemporain des vacances est un phénomène assez nouveau, qui va de pair avec la modernité. […] La plupart des civilisations antérieures, souvent agraires ou nomades, ne connaissaient pas cette notion. Je n’en ai par exemple jamais entendu parler durant mon enfance, jusqu’à la découverte de mines houillères dans nos terres ; les Français sont alors venus les exploiter, embauchant du personnel et instaurant en même temps que ce type de travail de brèves périodes de vacances. Auparavant notre vie était cadencée par le travail de la terre, qui alterne les périodes d’activité avec les saisons dites « mortes ». L’hiver, saison où l’on ne peut agir, il n’y avait pas de travaux des champs, les phases de repos étaient déterminées par la nature et non par une organisation sociale particulière.

Aujourd’hui, dans le cadre de cette sorte de servitude quasiment à vie qu’est devenu le travail, où il faut chaque jour aller pointer, les vacances représentent naturellement un moment bienvenu, mais le temps de souffler, à peine a-t-on repris quelques forces qu’il faut reprendre le collier – expression en elle-même très évocatrice de la condition humaine dans le monde actuel.

Mais peut-on légitimement considérer les vacances comme un temps vraiment libéré ou bien encore soumis à des comportements prédéterminés par des attitudes collectives standardisées ? Il faut bien admettre que là aussi le profit règne. [...] L’importance attribuée au tourisme dans [les pays du Maghreb, dont est originaire Pierre Rhabi] les a d’ailleurs affaiblis, cette politique menée par leurs gouvernants est regrettable dans la mesure où elle les rend dépendants de l’extérieur au lieu de les inciter à cultiver leurs propres ressources naturelles. [...]

Le temps libre est bel et bien transformé en temps économique, il n’est plus consacré à la méditation, à l’épanouissement de l’esprit, au fait de se retrouver soi-même. [...] Cette question ne vient pas remettre en cause les activités nécessaires à notre survie mais interroge la répartition du temps dédié à l’avoir par rapport à celui qui concerne l’être. Selon les cadences millénaires auxquelles se sont adaptées les civilisations, c’est aux beaux jours d’été que la nature est en effervescence, l’hiver elle entre en dormance ; aujourd’hui les vacances estivales induisent plutôt une cessation du travail. L’administration du repos en fonction de l’économie et non selon les rythmes naturels de la terre et de ceux l’espèce humaine est complètement artificielle, c’est une sorte d’anomalie. Le véritable repos est plus harmonieux : la nature, les animaux, les sols et l’homme devraient goûter ce répit à l’unisson, c’est un temps d’inspiration très puissant où puiser des ressources vitales avant de reprendre une activité."

Oui, le monde a bien changé depuis l'époque de la jeunesse de Pierre Rhabi, né en 1933 dans le sud algérien. La civilisation s'est tout entière tournée vers le modèle américain de l'entertainment (= divertissement), sous l'impulsion des médias (cinéma, puis télévision, maintenant internet), modèle parfaitement explicité par Alain Accardo dans son livre cité en exergue : "les classes moyennes sont devenues le vecteur de cette conception impressionniste et de cette pratique libidinale d'une vie tout entière orientée vers la recherche au moindre coût de la plus grande jouissance possible, dans les meilleurs délais, qui est en somme la transposition sur le plan des mœurs de l'exigence de profit maximum dans le plus court terme qui commande les pratiques économiques." Et, avouons-le, c'est pendant les vacances qu'on voit le mieux ce que l'auteur appelle notre servitude involontaire (parce qu'on n'imagine plus pouvoir faire autrement) : celle que les marchés nous imposent, car le repos est devenu un gigantesque business. On voit aussi cette servitude à l’œuvre à la télévision où s'épanouit la pauvreté spirituelle et la servilité caractéristiques de la plupart des animateurs, et qui n'est que l'exact reflet de celles de notre temps. L'auteur conclut à une nécessité de changement intérieur de l'individu : "Non, une vie consacrée à la poursuite interminable et égoïste de plaisirs matériels au demeurant médiocres et de pouvoirs temporels au demeurant dérisoires est une vie de divertissement, une vie vide, une vie inutile, une vie sans honneur, une vie de m'as-tu-vu, une caricature de vie humaine..."

J'ai bien peur qu'aussi bien Pierre Rahbi qu'Alain Accardo ne soient entendus que par une toute petite minorité. Mais ne sont-ce pas les minorités qui transforment le monde ? Soyons optimistes !

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