Depuis
qu‘il est libre, il n‘a jamais connu l‘ennui, ni le
désœuvrement. Il lui suffit de regarder autour de lui pour être
distrait.
(Edouard
Peisson, Hans
le marin)
La
chaleur est tellement excessive (il y avait 27° dedans hier au
soir, et la chaleur nocturne est restée supérieure à 20°, et il
y a encore 26°5 ce matin en dépit des courants d'air nocturne)
qu'en ce moment les ouvriers du chantier commencent très tôt et
m'ont réveillé à six heures ce matin, mais peut-être même
ont-ils commencé plus tôt encore. J'ai dormi sans même un drap,
enveloppé quand même dans mon pyjacourt, faisant des rêves
bizarres que j'ai déjà oubliés...
Quelques
personnes, à qui j'ai déjà envoyé mon recueil, m'ont remercié du
poème qui leur est dédié. R., un des jeunes couch-surfeurs qui a
transité l'an passé par chez moi, et qui, entre autres activités,
enregistre des livres à haute voix pour les aveugles, me dit qu'il
va l'enregistrer. J'en suis d'autant plus content que je considère
ces poèmes comme ayant été souvent conçus et travaillés pour
l'oralisation. Rabiyah, Irakienne de Poitiers, qui en a écouté
quelques-uns lors de mon petit récital vendredi dernier en l'honneur
de Georges Bonnet et Odile Caradec, veut en traduire en arabe !!!
J'ai presque achevé l'envoi du Temps
écorché
aux personnes à qui je veux l'offrir. Je l'ai envoyé aussi à
quatre revues de poésie pour qu'ils en signalent la parution et en
fassent, éventuellement, une critique. Il me reste à voir avec
Sud-Ouest
s'ils peuvent faire un article avec photo et à l'offrir aussi lors
de mon prochain voyage à Poitiers aux amis de la région, plus
quelques envois à des amis éloignés. En particulier je le porterai
à Léone, la Montmorillonnaise de 93 ans, à qui je vais rendre
visite le 25 juillet, et qui souhaite en apprendre par cœur pour les
dire à la radio locale ! Elle m'a appris que son désir de
voyage n'était toujours pas apaisé, elle a encore fait une grande
croisière en Méditerranée l'an passé : paraît que
l'orchestre de bord jouait exprès La
vie en
rose pour elle, la doyenne !
Sacrée Léone !
Mes
couch-surfeurs polonais sont arrivés hier : Krzysztof, déjà
venu à Poitiers il y a deux ans pour le 14 juillet, est accompagné
cette fois de Dorota, Anita et Renata. Nous avons fait en fin
d'après-midi une visite du centre ville (Monument des Girondins,
Grand Théâtre, Cathédrale, Place de la Bourse et miroir d'eau,
Pont de pierre, petites rues pittoresques du quartier Saint-Pierre),
j'ai trempé mes pieds souffrants dans le miroir d'eau (dont l'effet
miroir n'existait guère, vu les nombreux piétineurs, sauteurs,
baigneurs couchés, coureurs, aspergeurs qui s'en donnaient à cœur
joie !) et nous avons mangé dans un des restaurants de la rue des
Faussets : ils ont goûté à la salade de gésiers, à la
gratinée d'oignons, au boudin aux pommes et à la croustille de porc
confit, voulant manger local. Ce jour, ils vont se débrouiller tout
seuls, prendre le tram et le batcub (le bateau bus), j'irai peut-être
les rejoindre au Musée des Compagnons du tour de France, que je ne
connais pas encore (je connais celui de Tours), dans l'après-midi.
Ce soir, ils (elles plutôt) vont me préparer une cuisine polonaise
(ingrédients achetés hier), et demain, je les emmène à la dune du
Pyla le matin et Arcachon l'après-midi.
Et,
pour compléter mon propos d'hier, je vous invite à méditer sur le
texte suivant :
Valeur
J'attache
de la valeur à toute forme de vie, à la neige, la fraise, la
mouche.
J'attache
de la valeur au règne animal et à la république des étoiles.
J'attache
de la valeur au vin tant que dure le repas, au sourire involontaire,
à la fatigue de celui qui ne s'est pas épargné, à deux
vieux qui s'aiment.
J'attache
de la valeur à ce qui demain ne vaudra plus rien et à ce qui
aujourd'hui vaut encore peu de chose.
J'attache
de la valeur à toutes les blessures.
J'attache
de la valeur à économiser l'eau, à réparer une paire de souliers,
à se taire à temps, à accourir à un cri, à demander la
permission avant de s'asseoir, à éprouver de la gratitude sans se
souvenir de quoi.
J'attache
de la valeur à savoir où se trouve le nord dans une pièce, quel
est le nom du vent en train de sécher la lessive.
J'attache
de la valeur au voyage du vagabond, à la clôture de la moniale, à
la patience du condamné quelle que soit sa faute.
J'attache
de la valeur à l'usage du verbe aimer et à l'hypothèse qu'il
existe un créateur.
Bien
de ces valeurs, je ne les ai pas connues.
(Erri
De Luca, Œuvre
sur l'eau, Seghers, 2002, trad. par Danièle Valin)
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