L'homme
que je ne connais pas est par essence celui que je crains le moins !
J'aime toujours celui que je croise au premier regard, bien plus
d'ailleurs qu'au deuxième. Il y a forcément du beau en chacun, et
quand on se rencontre pour la première fois, ces deux beautés se
donnent à voir. Les plus belles rencontres sont pour moi éphémères,
on effleure, on ne prend que le meilleur.
(Daniel
Herrero, Partir : éloge de la bougeotte)
Deux
rencontres éphémères : Jean (27 jours) et Janet (54 jours) : mais peut-être se reverra-t-on !
Sur le master bridge, au fond les gratte-ciel de Carthagène
Un clone en piste pour la salle des machines
Exercice
de sécurité. Janet en est dispensée, elle qui en est à son
quatrième voyage en cargo ! En fait, tout le personnel navigant
était là, à l'exception du commandant, demeuré sur la passerelle.
Soit dix-neuf membres d'équipage et deux passagers. Nous avons donc
vu pour la première fois les électriciens et autres hommes des
machines qui ne mangent pas dans notre mess. Par contre, j'espère
qu'on n'aura pas de pépin, car je n'ai pas compris grand-chose aux
explications. L'anglais de bord a beau être simple, il m'échappe en
grande partie, les mots sont avalés, les vingt marins le parlent
avec leur accent particulier, philippin (ils sont douze), roumain
(ils sont quatre), ukrainien, bulgare, lituanien, et polonais (un de
chaque nationalité).
De
temps en temps, dès que nous arrivons, disons au sud de la latitude
38°, car plus au nord, il fait trop frais, j'ouvre mon sabord (le
deuxième ne s'ouvre pas) pour aérer, faire pénétrer l'air marin.
Mais il faut penser à tout. Pluie : faudra donc que je veille à
bien fermer mon sabord quand je quitte ma cabine pour les repas, les
promenades, la passerelle, les escales, car les grains tropicaux ne
préviennent pas et sont incroyablement puissants !
Le déluge tropical, vu d'un des sabords de la passerelle
La première
fois que ma chambre a été nettoyée par Ben, je me suis rendu
compte que je devrais absolument me déchausser quand j'y entre, car
mes semelles – moi qui passe tant de temps sur les ponts et les
escaliers extérieurs – récupèrent toutes les suies et autres
saletés du navire. Je comprends maintenant pourquoi devant chaque
cabine il y a des chaussures dans les coursives : les marins le
savent ! Désormais, je marche pieds nus ou en chaussettes dans
ma cabine, les chaussons ou chaussures resteront dans le couloir,
devant l'entrée, sinon je dégueulasse le parquet de ma cabine !
Nous
montons prendre un café, ou le thé, à la passerelle, non sans
avoir, pour ma part, mis la casquette et les lunettes de soleil.
La machine à café et la bouilloire (passerelle)
Puis
nous redescendons par les escaliers extérieurs (ce que je fais le plus souvent, l'escalier intérieur est ou me semble plus raide, et, en tout cas, on n'y respire pas l'air du large) jusque sur le pont.
L'escalier extérieur (la passerelle est au 7ème étage)
Janet –
plus maligne que moi, qui me suis sali les mains hier en descendant
puis remontant par l'extérieur, car comme les volées d'escaliers
sont situées à l'arrière du bateau, il y a de la suie sur les
montants auxquels on doit se cramponner à cause du roulis –, prend
un chiffon dans le placard de la passerelle, le coupe en deux et m'en
donne la moitié, ainsi au lieu que ce soit notre main qui touche et
essuie la rambarde, ce sera le chiffon.
Après
manger, je fais mon premier tour du pont de la journée.
Vue du pont : on passe sous les conteneurs
Ce qui est
extraordinaire, c'est les différences de bruits : sur les
côtés, le navire écarte les vagues dans des gerbes d'écume qui
préparent le long sillage écumeux de l'arrière ; on entend
également les craquements et grincements des conteneurs qui bougent
légèrement, le ronronnement des moteurs des conteneurs
frigorifiques, la rumeur du vent et le cri des vagues, ou celui des
oiseaux quand on est assez près des côtes.
Les conteneurs frigorifiques vus de mon tour du pont
Sur le pont avant
(couvert), même en se penchant par les ouvertures, il n'y a presque
pas de bruit : le léger frémissement des vagues, à peine le
bruissement du vent, le silence presque complet, une impression de
solitude, pas qu'une impression, du reste. Par contre, à l'arrière,
le ronron du moteur, le claquement des vagues qui s'écartent, une
sorte de pétillement du sillage.
Le sillage aux couleurs changeantes selon le moment de la journée
À
suivre...
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