En
voyage, mon œil agit comme un filtre, il sépare le beau du laid. Je
ne retiens pas les déceptions et les rencontres balourdes. Ma
mémoire fait sa petite sélection.
(Daniel
Herrero, Partir :
éloge de la bougeotte)
La
vie quotidienne peut sembler monotone sur un cargo, surtout pour les
passagers, officiers, ingénieurs, techniciens et matelots ayant,
eux, leur boulot.
Pour
ma part, voici une journée ordinaire :
lever
7 h. Toilette, habillage, gymnastique et prière (ben oui, où
peut-on être plus près de Dieu, s'il existe, qu'en pleine mer ?).
7 h
30 : à la passerelle, pour voir on est. Relevé de la
longitude, de la latitude, de la température, de la vitesse pour les
reporter sur mon journal de bord.
7 h
50 : petit déjeuner suivi, quand on y fut autorisé (si la mer
n'est pas trop houleuse), d'un premier tour du pont.
8 h
30 – 10 h : cabine, lecture, écriture...
10 h
– 11 h 45 : passerelle pour le thé, écriture de poèmes dans
mes carnets en observant la mer ou conversation avec l'officier de
quart et Janet ou Jean, éventuellement descente à la salle de
sports pour un peu d'exercice (vélo, haltères) ou deuxième tour du
pont.
11 h
45 : déjeuner suivi d'un tour du pont, et remontée par les
escaliers extérieurs.
12 h
30 – 15 h : sieste, lecture, écriture...
15 h
– 17 h 45 : passerelle pour le thé, lecture sur le master
bridge ou conversation avec l'officier de quart et les passagers,
éventuellement descente à la piscine et bronzage consécutif ou
tour du pont...
17 h
45 : dîner suivi d'une remontée à la passerelle pour assister
au coucher du soleil.
19
h : soirée conviviale avec Jean pour regarder un dvd (film ou
opéra) ou soirée en solitaire de lecture, je finis toujours par de la lecture.
23
h : extinction des feux.
Mais
de temps en temps (outre les jours d'escale), certaines soirées ont
été différentes : ainsi l'invitation à un karaoké au mess
des Philippins.
Gerardo, un deux officiers philippins, au micro
Et nous voilà avec eux, qui nous offrent une bière
et qui chantent des chansons américaines. Ils me passent le
catalogue, pas un titre français ! Je repère Singing in the
rain, et me lance dans un karaoké assez grotesque, Gene Kelly a
dû se retourner dans sa tombe (s'il est mort, je n'en suis pas
certain !).
Je feuillette le catalogue des chansons
Ensuite, sur une autre chanson, je danse avec Janet un
slow. Petit amusement, au fur et à mesure de la danse, ma culotte pirate bleue, qui me tient mal à la ceinture, descend, descend, puis finit par me tomber à mi-cuisse, au rire tonitruant des assistants ! Sympa, toutes ces chansons, mais un peu répétitif, et surtout
bruyant. Mais c'est vrai que les Philippins sont très gentils. On
discute. J'apprends que leur langue véhiculaire est le tagalog.
Et
puis il y a eu les soirées barbecue ou grill party. Il y en a
eu trois, une à l'aller, peu avant l'arrivée à Callao, deux au
retour, une juste avant le canal de Panama, la dernière après les
Antilles, quand on était encore sous les Tropiques. Car ça se passe
en plein air, sur le muster bridge, au troisième étage, qui est le
lieu où on doit se rassembler en cas d'évacuation du navire, pour
s'engouffrer dans le « suppositoire », le canot de survie
qui plonge dans la mer, et où on est enfermés, avec chacun une
place attitrée.
Au barbecue, au fond, le suppositoire orange dont aperçoit la porte d'entrée
Les grill parties, qui commencent vers 17 h 30 et
s'achèvent dans la nuit, ont été particulièrement réussies, tout
le monde est là (à l'exclusion de l'officier de quart, ils se
sont relayés), vingt-trois personnes, tous les 12 Philippins et les
8 Européens, certains Philippins que j'ai vus pour la première
fois, plus les 3 passagers. Tout ça, au son d'une musique très forte !
A table, à côté de Joseph. A l'arrière, la table des "Philippins".
J'y ai mangé du poisson (un maquereau), des crevettes grillées
et du riz cuisiné à l'asiatique, et, pour le dernier, un cochon de
lait qu'ils ont fait griller à la broche tout l'après-midi. Mais il
y avait aussi de la viande, du poulet, des saucisses diverses, des
calamars, à mettre en brochettes. J'y ai bu du whisky (Bourbon) coca, de la bière aussi,
dans l'espoir que ça me ferait dormir (le sommeil est très agité
sur un cargo, à cause du roulis), pris aussi quelques photos.
La table des Philippins
Lors
du premier barbecue, nous avons décidé avec Jean de préparer un
menu français pour le mardi 12 février – c'est son anniversaire
(64 ans) à deux jours près, et avec l'accord du capitaine, nous
irions donc en cuisine, je ferai des crêpes pour tout le monde, ce
qui fera un dessert. Et Jean improvisera un plat selon ce qu'il
trouvera dans les réserves de la cambuse !
8
h 30 : je rentre dans la cuisine, où je prépare la pâte à
crêpe. Sur la suggestion de Jean, je rajoute de la bière, il paraît
que ça les rend plus légères. Pendant ce temps il repéré dans la
chambre froide le gigot d'agneau qu'il a piqué d'ail, beurré, puis
est allé préparer ses tomates mimosa.
Les tomates mimosa de Jean
Les Européens
apprécieront-ils tout cela ? Vers 10 h 30, je redescends pour
faire cuire les crêpes. J'arrive dans la cuisine, me mets en marcel,
car il fait une chaleur d'enfer, prend la poêle à crêpes, et
commence ; je les sucre au sucre roux de Jamaïque. J'arrête à
11 h 45, j'en ai fait 36, et il reste encore de la pâte.
Je fais des crêpes
J'en ai mis
de côté une douzaine pour le mess des Philippins (une pour chacun,
on était censés ne cuisiner que pour notre mess, mais le gigot,
énorme, ira aussi pour les deux) et les deux autres douzaines pour
notre mess, ce qui fera un peu plus de deux par personne, puisque il
y a huit officiers et ingénieurs ou techniciens européens et trois
passagers. Pendant ce temps, Jean a fait rissoler les pommes de terre
auxquelles il a ajouté sur la fin quelques haricots verts
préalablement bouillis ! Il avait préparé comme entrée onze
tomates mimosas, mais, les ayant placées au frais dans le frigo du
mess des Philippins (notre frigo était plein), il a la surprise au
moment de servir de n'en trouver que dix. Je lui ai dit que ce
n'était pas grave, que je m'en passerai et que je prendrai de la
soupe de légumes, fort bonne au demeurant, car Joseph, le cuisinier,
a continué son travail de son côté. À trois dans la cambuse pour
cuisiner, on était assez serrés.
Joseph, le cook, enfourne le gigot
Le
repas a été un joli succès pour Jean, quoique le gigot d'agneau
soit resté un peu trop longtemps au four pour son goût. Il a reçu
moultes félicitations des mangeurs, et mes crêpes aussi ont eu du succès. J'ai cuisiné la pâte restante sitôt après le repas, ça a fait douze crêpes de plus, qui ont fait le bonheur des Philippins ! Merci au
commandant (master) qui nous a donné l'autorisation d'aller en
cuisine, ce qui n'est pas forcément dans les règles, et qui a de
plus accordé à chaque table une bouteille de vin rouge.
À
suivre...
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