L'amour
est un imprévu. On appelle cela un hasard ; et il n'y a pas de
hasard. C'est un rayon qui vient du ciel et qui ne nous embrase que
quand le moment est venu pour nous. C'est une espèce de miracle qui
subjugue les plus récalcitrants, mais il faut attendre qu'il se
fasse, car le mariage sans amour, c'est les galères à perpétuité.
(George
Sand, Lettre à
Maurice Dudevant-Sand,
17 décembre 1850)
Ah !
le mariage, on n'en a jamais autant parlé que ces derniers temps,
avec cette histoire du mariage pour tous. J'ai déjà dit que, après
tout – et même si je trouve étrange, à une époque où à peine
un mariage sur deux tient le coup – ce droit élargi ne peut faire
de mal à personne, à la condition expresse que ce ne soit pas des
« galères à perpétuité », comme le dit si bien George
Sand.
Moi-même,
je me suis marié sur le tard, après quelques expériences
amoureuses désastreuses (ou du moins qui auraient été désastreuses
si je les avais poursuivies par le mariage, me condamnant aux
galères, mais il faut croire que j'étais d'une lucidité rare, et
les arrêtant à temps, je n'en fus quitte que pour un risque évité
!) et je ne suis pas le seul ; ainsi, Virginia Stephen avait
trente ans quand elle rencontra Leonard Woolf. Elle hésita
longuement avant de s'engager, comme le montre cet extrait d'une
lettre à Molly Mac Carthy de mars 1912 : "Loin
de moi l'idée de te faire croire que je suis contre le mariage. Ce
n'est pas le cas, même si le sentiment d'extrême sécurité et de
sérieux des jeunes couples m'épouvante quelque peu ; d'un
autre côté, la mélancolie excentrique des vieilles filles a sur
moi le même effet. Je suis partie dans la vie avec un idéal du
mariage démentielle et absurde, et puis ce que j'ai pu voir de
beaucoup de couples autour de moi m'a dégoûtée, et j'ai pensé que
je demandais sans doute l'impossible."
À son futur mari, elle écrit le
1er mai 1912 : "Nous
souhaitons l'un comme l'autre un mariage qui soit formidablement
vivant, toujours vivant, toujours brillant, qui ne soit pas quelque
chose d'éteint, ni de facile comme le sont certains mariages. Nous
attendons beaucoup de la vie, tu ne crois pas ? Peut-être
l'obtiendrons-nous, mais alors, quelle victoire ! "
Louise
Michel, elle, ne s'est jamais mariée. On ne lui connaît même qu'un
amour fou, ardent, pour Théophile Ferré, un de ses compagnons de la
Commune, de seize ans son cadet, fusillé en 1871 à vingt-cinq ans,
et qu'elle n'oublia jamais. Mais le refus du mariage, chez elle,
outre qu'elle était née bâtarde, hors mariage, s'ancrait dans
une perspective plus vaste. "Pourquoi
je n'ai pas voulu me marier ? […] 1° C'est que la femme qui
se marie sans amour se vend, et que toute prostitution m'a toujours
fait horreur. 2° C'est que je n'ai jamais accepté l'inégalité
entre l'homme et la femme, je ne pouvais donc accepter le rôle
d'esclave. 3° Je ne voulais pas non plus donner d'esclaves [en
faisant des enfants] à l'Empire [celui de Napoléon III]"
(Lettre
à M. Fayet,
publiée dans La
révolution sociale,
16 janvier 1881).
Oui,
quelle victoire qu'un mariage toujours vivant, toujours brillant, qui
ne soit ni éteint ni facile... Alors, pourquoi vouloir refuser de
le tenter à des personnes qui s'aiment, fussent-elles de même sexe ?
Au moins, dans ces cas-là, pour reprendre le point n° 2 de Louise
Michel, il n'y a pas d'inégalité. Enfin, aujourd'hui, on peut
toujours garder l'espoir que faire des enfants (ou les élever, dans
le cas de ces mariages particuliers), sera peut-être ne pas donner
des esclaves et des exploités à la société future, puisqu'ils
auront été choisis librement, et élevés dans la liberté.
Le
problème reste, derrière tout ça, celui du pouvoir. Louise Michel,
toujours optimiste, écrit dans La
Commune, histoire et souvenirs :
"Nous ne valons
pas mieux que les hommes, mais le pouvoir ne nous a pas encore
corrompues."
C'est aussi pourquoi elle est devenue anarchiste, car elle sait que
le pouvoir corrompt, car "la
force soutiendra le privilège" constamment (preuve qu'elle
était aussi réaliste), et que, ce qu'il faudrait, selon elle, c'est abolir le
pouvoir, tout pouvoir. Or, dans le mariage, et je suis assez d'accord avec elle, il
y a très souvent une inégalité flagrante, dès le départ :
deux individus n'ont pas forcément la même idée derrière la tête,
quand ils se mettent ensemble. La nécessité de réfléchir est donc
là aussi encore plus importante qu'ailleurs.
J'ai
été frappé, en lisant sur le cargo plusieurs romans de George
Sand, qu'elle a longuement exploré ces thèmes de l'amour
impossible, à cause des inégalités dues aux différences de situation sociale. Dans Le
Compagnon du tour de France,
le héros, Pierre Huguenin, ouvrier compagnon, tombe amoureux
de la châtelaine dont il retape la chapelle, mais il "aimait
trop pour désirer. Yseult lui apparaissait comme un être céleste
qu'il aurait craint de profaner en effleurant seulement les plis de
sa robe." Dans Simon, le héros,
fils d'une humble paysanne, a pu faire des études, mais n'a pas de
situation. Il tombe amoureux de la fille du comte de Fougères,
Fiamma. Mais difficile de combattre les préjugés de l'époque.
Eh
bien aujourd'hui, il y a une autre sorte de préjugé, c'est celui
contre les amours entre personnes de même sexe. Y a-t-il plus de
légèreté, plus de personnes volages chez les homosexuel(le)s que
chez les soi-disant « normaux » ? J'ai soixante-sept
ans, j'ai connu des tas de gens, la plupart hétérosexuel(le)s, certain(e)s m'ont raconté leur vie,
se vantaient-ils (elles), je n'en sais rien, mais que de volages là-dedans. Ce qui est sûr, c'est
qu'il y a des gens fidèles (je pense que ce sont les plus rares) et d'autres qui ne le sont pas, et que ça
ne dépend absolument pas de leur orientation sexuelle. Et,
aujourd'hui, avec la liberté de mœurs actuelle, je crois que tout
ça est très partagé : voir des films récents comme Les coquillettes (des jeunes femmes font les festivals de cinéma, pas tellement pour voir des films, mais pour se dégotter un mec) ou 20 ans d'écart (là aussi, un autre préjugé, celui de la différence d'âge). Le monde manque surtout d'amour, et de la
conscience de l'amour. Sans ça, on ne protesterait pas contre le
mariage pour tous !
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