J'ai
commencé tôt à faire de moins en moins ce qui me plaisait, et puis
par ne plus le faire du tout, et puis, encore plus tard, à ne plus
même savoir ce qui m'aurait plu de faire à la place de ce que je
faisais.
(Marguerite
Duras, Des
journées entières dans les arbres)
Le
Lutetia
est un cargo au château luxueux, mais sans ascenseur, et je suis
logé au 6ème étage, juste au-dessus du commandant ! Jean (né
en 1950, ex-agent de voyage, et tout un tas d'autres métiers), le
co-passager de Lyon, qui m'a rejoint à Saint-Lazare, et avec qui
j'ai voyagé jusqu'au Havre, est, lui, dans la suite de l'armateur :
il devait partir le 14 janvier, mais on lui a changé sa date de
départ en lui offrant cette superbe suite, comprenant salon
indépendant et chambre. Janet (née en 1942, ex-éclusière), la
troisième passagère, néerlandaise, occupe la cabine voisine de la
mienne : c'est son quatrième voyage en cargo, elle est déjà
allée jusqu'en Chine.
Nos cabines sont vraiment spacieuses (3, 5 m x
6 m), avec un lit qui pourrait loger deux personnes, un bureau, une
armoire, deux commodes, un frigo, un téléviseur grand format avec
lecteur de dvd (j'ai bien fait d'apporter quelques dvd de cinéma et
d'opéra), un canapé trois personnes et une table de salon fixée au
sol. Le cabinet de toilette est étroit, mais suffisant, avec lavabo,
douche et W.-C. J'ai droit à trois serviettes de toilette.
ma cabine : derrière les rideaux, les sabords
Nous
mangeons au mess des Européens, servis par un jeune Philippin. Puis
chacun retourne à son travail ou remonte dans sa cabine. Le petit
déjeuner est servi de 7 h 30 à 8 h 30. Il y a presque toujours des
œufs (brouillés, en omelette ou au plat), des charcuteries, du
bacon, du fromage, des céréales, des tartines de pain qu'on peut
faire griller. La pratique de l'anglais n'est pas facile, j'ai du mal
à comprendre les Philippins ; je découvre que le second,
Lucian, un Roumain, me reconnaît, il était sur un des deux cargos
de la Guadeloupe en 2010 ! Et il parle français, habitant même
désormais notre pays ! L'équipage est très international,
venant de Bulgarie (le commandant), Roumanie, Lituanie, Ukraine,
Pologne et Philippines (deux officiers, les ouvriers et matelots, le
personnel de service de cuisine).
Sur la passerelle, le Champagne, offert par Ivan (commandant) et Lucian (second)
Quelques Philippins, au centre, Joseph le cook, à droite, le bon Ben
C'est
l'officier de sécurité philippin qui nous fait visiter le navire,
on découvre au sous-sol la salle de sport, où nous devrons nous
réfugier dare-dare en cas d'attaque de pirates (!) et y rester
barricadés : ce n'est pourtant pas grand, mais dans la cambuse
annexe, il y a des provisions pour trois jours, des matelas qu'on
installera par terre et, j'imagine, des toilettes ! Cette salle
est surnommé the
citadel.
Pas de bibliothèque à bord (tout le monde a un ordinateur et
beaucoup un e-book ou liseuse). Pas de grand salon non plus, sauf
dans les mess, et je comprends pourquoi chaque cabine a sa télé (du
moins celles des officiers et du personnel supérieur). Nous écoutons
sans rien y comprendre (du moins moi) les explications de sécurité
en cas d'évacuation du navire, car l'officier philippin parle un
anglais sans doute basique et simple, mais avec un accent
incompréhensible. Espérons que tout ira bien. Nous signons la
décharge pour les assurances (tout en anglais).
Jean
a eu une carrière bien remplie, il a fait tout un tas de métiers,
dès qu'il s'emmerdait, il changeait de boîte ! Et une vie
sentimentale bien agitée aussi, deux mariages, quatre enfants...
Une
chose est sûre, c'est que la loi anti-tabac française ne s'applique
pas ici, malgré les panneaux d'interdiction tous azimuts. Ça
pue le tabac froid dans les coursives, les escaliers, et les
officiers (européens, pas les Philippins) fument dans la passerelle
de commandement, pas trop, mais suffisamment pour m'incommoder. Aussi
me tardait-il beaucoup de pouvoir aller sur le pont respirer l'air
marin qu'au début et vers la fin, je ne pouvais humer ce bon air que
sur le pont adjacent à la passerelle, le pont inférieur, qui fait
tout le tour du bateau, étant interdit par houle trop importante, ce
qui fut le cas dans la Manche et au début de l'Atlantique ; par
ailleurs, il a commencé à faire bon (plus de 18°) qu'à la
latitude des Açores.
Aux
déjeuners (de 11 h 30 à 12 h 30) et dîners (de 17 h 30 à 18 h
30), les Européens mangent à une allure record, notamment Mariusz,
l'ingénieur stagiaire polonais qu'on a vite, Janet et moi, surnommé
Speedy, et chronométré, en dix minutes, parfois sept ou huit, c'est
expédié ! Janet, Jean et moi (puis Jochen au retour, qui a remplacé
Jean) nous efforçons de rester un peu plus longtemps, sous le regard
narquois et souriant de Ben, le jeune et sympathique steward
(messman) philippin.
Le mess : notre table au fond
Notre
premier tour du pont, nous l'avons fait sous un soleil magnifique,
conduits par un matelot philippin, qui doit avoir autant de mal à
comprendre mon anglais (avec l'accent français) que moi le sien
(avec l'accent philippin) ! Il faut dire que ça m'a fait
beaucoup de bien de respirer l'air du large, même si le pont est
moins bien que sur les cargos de la CGM, et en particulier, il n'y a
pas la possibilité de se mettre à la proue pour regarder le bateau
avancer. La proue est en effet une grande salle couverte avec certes
des ouvertures, mais aucune possibilité de s'asseoir pour jouir du
paysage ; donc je faisais mon tour, souvent après les repas du
matin et de midi. Il nous reste donc les ponts adjacents à chaque
côté de la passerelle pour jouir du grand air : des fauteuils
en plastique blanc (style jardin), un transatlantique même pour
bronzer) nous permettent de prendre l'air, tout en étant protégés
des ardeurs du soleil sous l'auvent qui couvre ces ponts (master
bridge).
Le master bridge (premier jour, sous la brume de la Manche)
Puis nous avons visité les salles des machines, costumés en combinaisons. Impressionnant.
Le moteur géant
À
suivre...
Prochains
chapitres : les escales, le canal de Panama, les fêtes à
bord...
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