Rebelles
vous étiez en vos vingt ans, rebelles vous êtes restés.
(Azucena
Rubio del Olmo, ¡Mala puta !,
CIRA,2019)
Voici
que mes excellents amis du CIRA (Centre international de recherches
sur l’anarchisme, Marseille) rencontrés lors du voyage Istrati en
Roumanie ont eu l’heureuse idée de m’envoyer le dernier
numéro de leur Bulletin dans lequel est publié le récit
autobiographique de Azucena Rubio del Olmo, ¡Mala puta !,
dans lequel la vieille dame, réfugiée républicaine espagnole
venue en France à l'âge de cinq ans, raconta à près de 80 ans, en 2012,
l’arrivée de sa famille en France en février 1939 dans des conditions dantesques : elle décrit
l’internement, les pérégrinations qui suivirent, et nous
rappelle dans ces souvenirs qui se lisent d’une traite la dureté
de l’époque, la misère, le
froid, la faim, la
honte, la chasse aux punaises dans des logements insalubres, le
statut d’étranger qui fut le leur pendant les années de guerre et
celles qui suivirent, ses difficultés d’insertion à l’école de
la petite "Espingouine" confrontée à "la méchanceté
gratuite, immonde, sadique" de la maîtresse d’école (c’est
elle la "Mala puta", la sale garce du titre) et
aux moqueries des autres filles. Elle raconte comment elle et les
siens ont réussi à se faire une place dans cet univers, avec la
chance d’avoir des parents qui savaient parler français, ayant
travaillé en France au début des années 30. Fièrement
anarchistes, ils n’ont jamais abdiqué ni renoncé à leurs idées.
"Un peuple avec s’est levé avec souvent pour armes son seul
courage et a dit : « NON ! Vous ne passerez pas ! »
Un peuple a dit : « Attention compagnons, camarades,
amis : aujourd’hui l’Espagne, demain l’Europe ».
L’Europe est restée sourde et aveugle aux cris, aux souffrances de
milliers d’hommes, de
femmes et d’enfants…"
Voilà
un récit qui remet Franco et ses admirateurs à leur place :
des renégats, des assassins et des tortionnaires. C’est écrit dans une langue
limpide, avec un souci du détail qui fait mouche, au fil des
souvenirs qui s’égrènent, pas toujours dans l’ordre
chronologique, dans l’ordre de la vie et de la mémoire.
Comment
ne pas penser, à la lecture de ce poignant témoignage, aux migrants
d’aujourd’hui qui endurent eux
aussi les misères, les souffrances, les maladies et la mort, devant
une Europe repue de sa
sacro-sainte "croissance",
soucieuse seulement de se divertir devant les imbécilités
télévisuelles et internetiennes, et qui demeure sourde et aveugle,
en dehors de quelques saints laïques, de justes, marins (comme
ceux de SOS Méditerranée),
médecins (comme le médecin
de Lampedusa, Pietro Bartolo, cf ma page du 18 décembre 2017),
paysans (comme Cédric Herrou, cf ma page du 28 septembre dernier),
qui sauvent
encore l’honneur de l’humanité ? Où
sont nos intellectuels ? Où sont nos Zola ? Où sont nos
hommes de gauche ?
Peut-être
les découvre-t-on en lisant le beau polar grec de Pétros Márkaris,
Le Che s’est suicidé,
où l’on voit d’anciens
gauchistes intellos grecs du temps de la dictature des colonels (où
ils furent emprisonnés et torturés) devenus qui un homme
d’affaires florissant, qui un homme politique puissant, qui un
journaliste qui fait la pluie et le beau temps et qui ont renié
toutes leurs idées de jeunesse. Car, pour réussir dans la vie,
n’est-ce pas, mieux vaut se mettre du côté du manche ! Dans
Le Che s’est suicidé,
deux seulement des amis de
jeunesse ne se sont pas reniés et n’ont pas pris part à la course
à l’argent et aux honneurs (et aux combines plus ou moins
louches) : l’un s’est suicidé en constatant le reniement et
l'arrivisme de ses anciens collègues, l’autre vit une vie
austère, a pris du recul et regarde tout ça avec tristesse. "Le
malheur est rarement héroïque", écrivait Remarque dans Cette
terre promise.
On
comprend que je préfère les rebelles aux apostats !
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