samedi 27 juillet 2019

27 juillet 2019 : rebelles et apostats


Rebelles vous étiez en vos vingt ans, rebelles vous êtes restés.
(Azucena Rubio del Olmo, ¡Mala puta !, CIRA,2019)



Voici que mes excellents amis du CIRA (Centre international de recherches sur l’anarchisme, Marseille) rencontrés lors du voyage Istrati en Roumanie ont eu l’heureuse idée de m’envoyer le dernier numéro de leur Bulletin dans lequel est publié le récit autobiographique de Azucena Rubio del Olmo, ¡Mala puta !, dans lequel la vieille dame, réfugiée républicaine espagnole venue en France à l'âge de cinq ans, raconta à près de 80 ans, en 2012, l’arrivée de sa famille en France en février 1939 dans des conditions dantesques : elle décrit l’internement, les pérégrinations qui suivirent, et nous rappelle dans ces souvenirs qui se lisent d’une traite la dureté de l’époque, la misère, le froid, la faim, la honte, la chasse aux punaises dans des logements insalubres, le statut d’étranger qui fut le leur pendant les années de guerre et celles qui suivirent, ses difficultés d’insertion à l’école de la petite "Espingouine" confrontée à "la méchanceté gratuite, immonde, sadique" de la maîtresse d’école (c’est elle la "Mala puta", la sale garce du titre) et aux moqueries des autres filles. Elle raconte comment elle et les siens ont réussi à se faire une place dans cet univers, avec la chance d’avoir des parents qui savaient parler français, ayant travaillé en France au début des années 30. Fièrement anarchistes, ils n’ont jamais abdiqué ni renoncé à leurs idées. "Un peuple avec s’est levé avec souvent pour armes son seul courage et a dit : « NON ! Vous ne passerez pas ! » Un peuple a dit : « Attention compagnons, camarades, amis : aujourd’hui l’Espagne, demain l’Europe ». L’Europe est restée sourde et aveugle aux cris, aux souffrances de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants…"


Voilà un récit qui remet Franco et ses admirateurs à leur place : des renégats, des assassins et des tortionnaires. C’est écrit dans une langue limpide, avec un souci du détail qui fait mouche, au fil des souvenirs qui s’égrènent, pas toujours dans l’ordre chronologique, dans l’ordre de la vie et de la mémoire.
Comment ne pas penser, à la lecture de ce poignant témoignage, aux migrants d’aujourd’hui qui endurent eux aussi les misères, les souffrances, les maladies et la mort, devant une Europe repue de sa sacro-sainte "croissance", soucieuse seulement de se divertir devant les imbécilités télévisuelles et internetiennes, et qui demeure sourde et aveugle, en dehors de quelques saints laïques, de justes, marins (comme ceux de SOS Méditerranée), médecins (comme le médecin de Lampedusa, Pietro Bartolo, cf ma page du 18 décembre 2017), paysans (comme Cédric Herrou, cf ma page du 28 septembre dernier), qui sauvent encore l’honneur de l’humanité ? Où sont nos intellectuels ? Où sont nos Zola ? Où sont nos hommes de gauche ?


Peut-être les découvre-t-on en lisant le beau polar grec de Pétros Márkaris, Le Che s’est suicidé, où l’on voit d’anciens gauchistes intellos grecs du temps de la dictature des colonels (où ils furent emprisonnés et torturés) devenus qui un homme d’affaires florissant, qui un homme politique puissant, qui un journaliste qui fait la pluie et le beau temps et qui ont renié toutes leurs idées de jeunesse. Car, pour réussir dans la vie, n’est-ce pas, mieux vaut se mettre du côté du manche ! Dans Le Che s’est suicidé, deux seulement des amis de jeunesse ne se sont pas reniés et n’ont pas pris part à la course à l’argent et aux honneurs (et aux combines plus ou moins louches) : l’un s’est suicidé en constatant le reniement et l'arrivisme de ses anciens collègues, l’autre vit une vie austère, a pris du recul et regarde tout ça avec tristesse. "Le malheur est rarement héroïque", écrivait Remarque dans Cette terre promise.
On comprend que je préfère les rebelles aux apostats !



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