Nous
naissons à la poésie par le contact physique et la lecture.
(Tomaž
Šalamun, Poèmes choisis,
Éditions Est-Ouest internationales, 2001)
Me
voici donc revenu d’une de ces aventures qu’on ne trouve qu’assez
rarement dans la vie : participer
à une soirée poésie dont on n’est pas l’initiateur.
Nous
sommes donc partis en voiture, Mathieu et moi, en traversant la
France par le sud du Massif central, Bordeaux – Brive – Rodez –
Florac – Le Collet de Dèze, petite ville cévenole où A. nous a
accueillis pour la nuit. Le lendemain, passant par Alès, contournant
Nîmes et Beaucaire, nous avons pris la route d’Apt pour rejoindre
Forcalquier où nous attendaient Christophe et Kerilya, maîtres
d’œuvre
de la manifestation, chez qui nous devions aussi dormir. Étaient
déjà arrivés Thibaud et Emma. Christophe
est un artiste quadragénaire qui peint, fait des films, écrit et
retape une vieille maison qu’il a acquise dans cette ville. Sa
compagne fabrique et commercialise des baumes à partir des plantes
locales. Thibaud était un des compagnons de Mathieu à l’École
des beaux-arts de Grenoble, il écrit beaucoup (c'est un fan d'Une saison en enfer, de Rimbaud), sa compagne est
étudiante en physique. Nous avons mangé assez gaiement, j’ai fait
connaissance.
dans une rue très pentue
Dans
l’après-midi, je me suis baladé seul dans Forcalquier, histoire
de prendre le pouls de cette petite ville qui fut autrefois un centre
important de la Provence (capitale des comtes de Provence au XIe siècle, et une commune libre au Moyen âge. Elle
est bâtie sur une colline que j’ai gravie jusqu’au sommet pour
voir les restes de la Citadelle. En redescendant, j’ai admiré les
maisons, les portes, les ruelles, je suis passé par la cathédrale, aperçu le
cinéma d’art et d’essai qui propose une programmation alléchante
et variée, lu des affiches qui montrent la qualité des activités
culturelles de la ville, nantie de nombreuses galeries et ateliers
d’art, et déniché le Vieux Temple protestant du XVIe
siècle dont Mathieu m’avait parlé. Il paraît que les guerres de
religion furent particulièrement féroces dans le coin !
la porte du vieux Temple protestant du XVIe
Au
retour, j’ai trouvé Serge, un voisin sexagénaire, auteur de
Phloèmes :
il me montre le manuscrit qu’il
a lui-même illustré,
et se
montre un blagueur
impénitent : on
ne s’ennuiera pas, avec lui, tout au long du voyage vers Reillanne.
Puis
nous prenons deux voitures pour nous rendre à Reillanne, à une
vingtaine de km, où doit avoir lieu la soirée dans une ancienne
chapelle devenue lieu d’animation municipal, non sans avoir empli
les coffres de victuailles et de duvets, pour pouvoir éventuellement
s’assoupir sur place. Un peu plus loin, nous récupérons Julien,
autre artiste-écrivain, qui nous suit avec sa voiture (et son chien), car il ne
connaît pas les lieux.
Il
fait déjà nuit quand on débarque à Reillanne. La chapelle, très
bien chauffée, nous accueille. Peu à peu, quelques autres personnes
viennent. Maurin, par exemple, la libraire de Reillanne aussi,
Charlotte et d’autres dont je n’ai pas retenu les noms. On
installe le décor, un banc pour le diseur ou lecteur (mais qui peut
aussi bien rester debout), des chaises pour les autres. Au fond, nous
préparons l’installation de matelas et duvets. Sur une table, les
victuailles et boissons. Vers 19 h, nous prenons une collation, puis
la soirée commence, qui va se poursuivre jusque vers 4 h du matin. À
tour de rôle, chacun(e) se lève comme il
(elle)
le
sent, pour
dire ou lire en principe ses propres productions écrites. C’est le
jeune Thibaud qui commence dans une logorrhée verbale qui finit par
fasciner : une trentaine de pages. Puis Maurin se lance – sans
papier – dans un slam rageur (improvisé ou su par cœur ?). Serge
poursuit avec une histoire d’amour. Puis, c’est Julien, la
libraire...
J’avais
préparé à Bordeaux cinq textes de Danse
sur les flots,
que j’avais commencé d’apprendre par cœur, mais dans
l’après-midi, au retour de ma promenade dans Forcalquier, je ne
les sentais plus et, rapidement, j’ai feuilleté le volume et
sélectionné une quinzaine d’autres textes qui me parlaient
davantage au moment présent. De plus, l’amie Odile m’avait dit
jeudi que ce n’était pas forcément une bonne idée de réciter,
qu’il valait mieux lire. Je pense m’en être assez bien tiré, je
suis resté debout pour dire une douzaine, en fin de compte. J’étais plutôt content ;
au café-poésie de Bordeaux en décembre, j’avais mal dit les
poèmes choisis, sans doute par manque de préparation. Là, on
sentait, je pense, un souffle qui passait. J’ai donné le livre à
la libraire, lui disant d’essayer de le mettre dans sa librairie et
de le vendre.
Thibaud dans sa partition
Et
la nuit a continué, avec des hauts et des bas. Dans ce genre
d’auberge espagnole, on aime certains textes, on en aime moins
d’autres. Ce n’est pas seulement une affaire de qualité
littéraire ou de lecteur, c’est que l’esprit peut se disperser.
Vers 1 h du matin, je suis allé m’étendre dans le duvet. Je n’ai
pas pu m’endormir, car les textes continuaient, que j’écoutais
peut-être avec plus d’attention dans cette position, les yeux
fermés. Quelqu’un,
une
femme,
a lu des textes de Jules Mougin, le facteur-poète (que je connais, car l'ami Edmond Thomas, éditeur de Plein chant, l'a publié dans la belle collection Voix d'en bas) : ce
n’était pas prévu au programme. Mais, après tout, pourquoi ne
pas accueillir, outre des auteurs venus d’ailleurs (comme moi), des
auteurs disparus ? Je me suis relevé, et la soirée s’est
achevée dans des discussions amicales. Vers 5 h du matin, après avoir rangé
la chapelle, nous repartions vers Forcalquier, où nous nous sommes de nouveau couchés jusque vers 10 h. Je crois que la nuit a été
filmée et le son enregistré.
Ça
faisait une bonne dizaine d’années que je n’avais pas passé de
nuits blanches : c’était l’été, pendant mes stages de qi
gong, donc en plein air. Je me suis rappelé aussi la nuit magnétique,
lyrique, des 100 km de Millau en 1978, où j’ai accompli les
soixante derniers km sous la nuit étoilée. Plus éloignée encore,
la nuit blanche de l’hiver 1964, où m’étant attardé avec une
copine au-delà de l’heure de fermeture de ma pension d’étudiant
(dont je n’avais pas de clé), après avoir en vain essayé de
réveiller quelques collègues endormis en jetant du gravier sur
leurs volets, j’avais dû errer dans les rues de la ville, par un
froid glacial, jusqu’à la réouverture des portes à 6 h du matin.
Ici,
la nuit et la poésie se sont superbement mariées avec l’amitié,
j’ai atteint l’état second qui m’arrive parfois quand je me
sens extraordinairement bien, léger comme un ange, volant comme dans
mes rêves au-dessus des maisons endormies. Nous étions en Provence,
il faisait bien moins froid qu’ici, je dansais sur les flots de la
nuit...
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