lundi 20 novembre 2023

20 novembre 2023 : le film du mois : Avant que les flammes ne s'éteignent

 

On peut avoir subi d’irréparables pertes et boire avidement à la source du jour, s’élancer vers les rencontres, s’inscrire encore dans le cercle des vivants.

(Marion Muller-Colard, L’autre Dieu : La plainte, la menace et la grâce, Labor et Fides, 2017)



Bien évidemment, depuis trois semaines, je ne vais pas au cinéma, puisque je suis reste quinze jours cloîtré, et que je ne recommence à marcher à l’extérieur qu’à petit pas. Au fond, avec ma capacité étonnante d’oubli, je ne savais plus vraiment ce qu’était la douleur, ni ce qu’avait vécu Claire pendant cinq ans. Et une douleur vraisemblablement pire, de par sa longueur, et de par sa localisation, la tête. Il se trouve que j’avais emprunté à la bibliothèque du quartier le livre de Marion Muller-Collard qui est un long commentaire du Livre de Job, un de mes passages préférés de la Bible, dans l’Ancien Testament. Je l’ai lu, l’auteure nous dit : "l’irréductible menace du sort plane, ne nous en déplaise, sur chacune de nos vies". Et, bien sûr, même au plus fort de la douleur, j’avais envie de "boire avidement à la source du jour". Pour rappel le Livre de Job raconte l'histoire de Job, un riche propriétaire et éleveur de bestiaux, aimant Dieu et d'une grande probité. Un jour, le diable, Satan fait pari avec Dieu que, s'il rendait pauvre Job, celui-ci finirait par le renier. Ce livre traite donc de la foi, en lien avec le Bien et le Mal. j'ai connu ce livre lors d'un stage œcuménique dans les Pyrénées en 1963, où l'on faisait du théâtre : une des pièces de théâtre était l'adaptation scénique du Livre de Job, qui fut donnée avec beaucoup de succès.

Et puis, qu’étaient mes petites misères par rapport à celles de Job (il perd ses troupeaux, ses enfants meurent, etc.) ? aux assiégés de Gaza ? aux trop nombreux SDF qu’on voit, enfin, que moi je vois (quelques autres aussi, heureusement, mais tant d'autres se détournent) dans la rue ? aux migrants qui affrontent la faim, la soif, les tortures, les viols, la mort, le cynisme des passeurs, pour traverser le Sahara ou la Méditerranée ? et pour certains d’entre eux, arrivés chez nous défier le froid, la faim, les lois scélérates, les flics et les contrôles trop fréquents (même quand ils sont là depuis longtemps, leurs descendants sont encore soumis au contrôle du faciès) ?

Justement, avant de partir à Montpellier, j’avais vu en avant-première Avant que les flammes ne s’éteignent, un film français, courageux, de Mehdi Fikri. Justement un film sur les violences policières en France, que d’aucuns continuent à nier. Camilla Jordana y joue le rôle de Malika, une femme dans la trentaine dont le jeune frère est mort à la suite d’une violente interpellation. Malika va se lancer dans un combat judiciaire sur les conseils de militants contre les violences policières. Elle risque de mettre en danger sa vie personnelle, mais ne veut pas que cet épisode tombe dans l’oubli, ce qui est le plus fréquent dans des cas comme ça : c’est le pot de terre contre le pot de fer, comme chez La Fontaine.

Le réalisateur s’est inspiré de plusieurs affaires qu’il avait suivies à l’époque où il était journaliste. Il s’est bien gardé de faire du manichéisme : le jeune victime n’est pas un ange, loin de là ! Bien qu’inspiré de plusieurs affaires, ce film semble le premier à désinvisibiliser les familles concernées loin des sentiers battues des télés en continu et de leur désinformation. À ce titre les images vidéo d’actualités qui ponctuent le générique final (à ne pas manquer) montrent le chemin parcouru pour faire connaître les violences policières, et la chemin qui reste à parcourir.

J’attends avec impatience de tels films de fiction sur la répression des gilets jaunes, sur celle des manifestants de tous bords, en particulier désormais sur les groupes écologiques opposés aux bassines comme à l’extension des autoroutes, aux lignes à grande vitesse et autres grands travaux soi-disant indispensables, et plus généralement, la répression de tous ceux qui sont à contre-courant, qui ne jouent pas le jeu, qui refusent le conditionnement et la domestication (pensons au smartphone et à la servitude volontaire qu’il nous impose à tous). 

 

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