Mais
les moyens, me direz-vous. Ils font défaut, nous touchons le plafond
de ce qui est possible. Tout d'abord, ce n'est pas vrai, nous avons
toujours les moyens de tout un tas de saletés. Surtout de saletés,
dirais-je.
(Carl-Henning
Wijkmark, La mort moderne)
Il
ne faut pas cesser de dénoncer l'oppression sociale, et c'est
pourquoi les manifestations contre l'austérité qui ont eu lieu hier
avaient leur raison d'être. On est en train de réitérer les
prolégomènes de la crise de 1929 : comparons la Grèce
d'aujourd'hui et l'Allemagne d'alors. Cure d'austérité
(rassurons-nous, pas pour tout le monde, les financiers, les
spéculateurs et les grands groupes continuent toujours à tenir le
haut du pavé et les « pigeons » continuent à faire des
profits éhontés), chute des salaires et des retraites, chômage
alarmant, voilà qui a fait le lit d'un certain Hitler : est-ce
cela que veulent nos hiérarques ? Avec pour finir une guerre
démentielle à la clé ?
Hier
aussi, pendant la manif, à laquelle je n'ai, hélas, pas pu
participer, j'étais au Palais de justice de Bordeaux, Cour d'appel,
section des litiges de prudhommes, pour accompagner et soutenir mon
ami F., en procès avec son ex-employeur, un exploiteur, que dis-je,
un négrier, comme on va en voir malheureusement de plus en plus.
J'attends avec impatience le résultat du délibéré (en janvier
prochain), pour voir si, une fois n'est pas coutume, la justice n'est
pas toujours du côté du manche. Voilà l'affaire. F., pendant trois
ans, a effectué le gardiennage d'une grande propriété du
Cognaçais, résidence secondaire d'un Anglo-Français, chirurgien à
Londres. Il était mis à disposition de F. un logement de fonction,
F. devait effectuer les tâches de nettoyage (pelouses, taille des
haies, entretien des piscines, ménage et divers travaux), ainsi que
le contrôle des gîtes ruraux du propriétaire (réservations des
clients, accueil et vérifications lors de leur départ). F. n'avait
pas de contrat de travail, tout s'était fait oralement ou par
courriel, et il se faisait rémunérer (très chichement par rapport
au nombre d'heures passées) par factures qu'il envoyait
mensuellement au dit propriétaire, selon les modalités que ce
dernier avait fixées (comprenant un pourcentage de 10 % sur les
honoraires encaissés pour les locations). Bien entendu, le négrier
espérait ainsi échapper aux lois sociales françaises, qui exigent
un vrai contrat de travail, et le paiement de cotisations URSSAF et
autres. Son avocat a bien tenté de contester la qualité d'employeur
de l'Anglais, arguant qu'il n'avait pas de moyens de contrôle pour
savoir ce que F. faisait réellement, et que ce dernier était un
travailleur indépendant (!) qui faisait là des prestations de
service. L'avocat de F. a été brillant, a démontré que l'activité
aurait dû être salariée, qu'il existait des conventions
collectives pour le gardiennage des résidences secondaires, et que
même, puisque F. effectuait des tâches de gestion (réservations de
locations, encaissement des loyers de ces locations), il avait
quasiment été régisseur pendant la période. Le juge a
parfaitement vu qu'il y avait là une tentative de travail dissimulé
et d'échapper au fisc, que F. s'était trouvé dans un lien de
dépendance économique et de subordination abusif. Sauf erreur, le
négrier devrait être condamné à verser des salaires pour les
trois années, les cotisations sociales afférentes, une amende et
des dommages et intérêts. Mais bien sûr, j'attends de voir,
d'autant que le négrier peut encore se pourvoir en cassation. Et
qu'il semble avoir le bras long. Il doit se croire en Angleterre !
Tiens,
par la même occasion, j'apprends que nos soi-disant « pigeons »
de patrons ont trouvé de nouvelles techniques pour frauder et
échapper aux cotisations sociales qu'ils trouvent exorbitantes :
ils veulent bien embaucher des chômeurs, mais au noir, à condition
que ceux-ci continuent à percevoir leurs indemnités de chômage
(alors que les caisses sont vides). « C'est tout bénéf,
disent-ils aux malheureux qui frappent à leur porte, vous aurez
votre chômage, plus un salaire en liquide, c'est vous qui y
gagnez ! » Ben voyons !
Et
dans la presse, on commence à préparer tout doucement la population
(gros titre d'Aujourd'hui en France
de ce jour : « Faudra-t-il revoir nos salaires à la
baisse ? ») à une flexibilité plus grande de l'emploi,
aussi bien en termes d'horaires que de mobilité et de salaires. Pour
faire comme en Angleterre ou aux USA ? Pourquoi pas comme en
Chine ? Comme nous dit l'auteur suédois cité en exergue (et excellemment traduit par l'ami Philippe Bouquet), pour
"faire
des saletés",
on trouve "toujours
les moyens".
Et nos nouveaux pigeons imitent drôlement les volatiles, on va
crouler sous leurs excréments !
Décidément,
l'avenir est en marche arrière...
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