lundi 15 décembre 2014

15 décembre 2014 : retour de Marrakech


Il avait la santé de celui qui ne s'aventurait pas vers les excès inutiles.
(Abdellah Taïa, Le Jour du roi, Seuil, 2010)


Me voici revenu de Marrakech. J'aurais bien du mal à vous joindre une photo, car ayant changé au dernier moment mon sac à dos contre une valise "spéciale cabine", j'ai oublié dans le sac l'appareil photo, niché au fin fond. J'avais pourtant le cordon pour recharger la batterie ! Et impossible de retrouver dans mes fichiers les photos de Marrakech prises en 2010... J'ai dû perdre ce fichier quand j'ai fait les mises à jour du note-book. Mais je peux vous confirmer que j'étais bien là-bas, avec le ciel bleu et le soleil pendant toute la semaine, en compagnie de cinéphiles bordelais et d'ailleurs : deux personnes du groupe venaient de la Drôme, deux des Pyrénées-orientales, une de Bruxelles et deux de Tours. La moyenne d'âge tournant entre 75 et 80 ans, j'étais un des benjamins (cinq hommes pour treize femmes). Et, sur place, j'ai fait la connaissance d'autres Français venus aussi pour le Festival, notamment de Pontarlier (ils m'ont appris qu'il y avait là-bas aussi un festival, qu'ils animent), ou vivant au Maroc tout ou une partie de l'année. Sans compter les Marocains venant en nombre et avec qui j'ai causé ici ou là, ou même les ai photographiés avec leur smartphone quand ils le souhaitaient. 

Vue de l'hôtel côté boulevard
 
Nous étions logés à l'hôtel Les Idrissides (4 *, ma chambre était aussi vaste que deux, ou peut-être trois, cabines du cargo, je retrouvais toujours mon pyjama artistiquement disposé sur le lit géant (on aurait pu y dormir à trois) après le passage des femmes de ménage), tout contigu au Palais des Congrès, dont deux salles (la salle des Ministres, au moins mille places, et la salle des Ambassadeurs, environ cinq cents places) étaient réservées aux projections, et à un quart d'heure à pied du Colisée, la troisième salle de projection, et ordinairement salle de cinéma commercial. Nous y étions en pension complète (cuisine internationale, avec cependant couscous et tajines de temps à autre) et donc rentrions pour manger le midi et le soir, entre deux films. Je m'allais coucher le plus souvent après le repas du soir, ayant ma dose de cinéma et étant peu, comme vous le savez, d'humeur nocturne. Mais j'ai alterné entre les trois salles, car la salle des Ministres était réservée aux films en compétition, avec présence du jury (présidé par Isabelle Huppert) et des équipes de films, et le public y était un peu plus guindé. Dans les deux autres salles, surtout au Colisée, un public populaire était là, ce qui n'était pas pour me déplaire. Pendant les films marocains, ça hurlait, ça sifflait, ça riait, ça applaudissait. Parfois, la salle se vidait peu à peu en cours de séance (notamment pour les films japonais en noir et blanc de Mizoguchi, Rue de la honte et de Naruse, Nuages flottants, pourtant excellents classiques des années 50, et que je voyais pour la première fois sur grand écran).

L'affiche du Festival

Au programme donc, un hommage au cinéma japonais, un hommage à Viggo Mortensen (extraordinaire : il parle arabe, espagnol, français, anglais et danois, et peut-être d'autres langues !) et à quelques autres acteurs moins connus, des films coup de cœur, des films marocains et une kyrielle d'environ douze films nouveaux en compétition pour l'Étoile d'or. Mon grand favori n'a rien obtenu : Nabat, film venu d'Azerbaïdjan, est sans doute d'une humanité trop austère ; quasi muet, il raconte les derniers jours d'une vieille femme dans un village menacé par la guerre (ça se passe vers 1992) et déserté par ses habitants. C'est un film de poète (donc pour moi), sublime. Autre film de poète, qui a eu un prix (je l'avais placé dans les trois premiers), Labour of love, venant d'Inde ; ici, on suit pendant une journée, en montage parallèle, un couple. L'homme travaille la nuit, la femme travaille le jour. Ils se croisent une demi-heure le matin, entre le retour du mari et le départ de la femme. Film donc quasi muet également, qui nous livre une poésie des gestes du quotidien. Magnifique. Mon troisième, qui a obtenu l'étoile d'or, Corrections class (Classe d'adaptation), nous vient de Russie ; c'est l'histoire d'une jeune fille, handicapée (myopathie ?), qui vient en fauteuil roulant et cherche à s'intégrer dans une classe spéciale de lycée. Film terrible, tragique, d'une cruauté inouïe – ces jeunes ne se font pas de cadeaux ! – admirablement bien joué. À ne pas manquer lors de leurs sorties françaises (s'ils arrivent à trouver un distributeur !).
D'autres films étaient dignes d'intérêt, notamment le western américain The keeping room (où l'on voit, à la fin de la guerre de Sécession, trois femmes se battre contre des hommes que la guerre a pervertis), le film hongrois Mirage (où l'on sent la déliquescence mafieuse d'un pays ex-communiste, dans de beaux paysages de la puszta), le film iranien Red rose (qui se passe en 2009, au moment des émeutes post-électorales de Téhéran), le film égyptien Éléphant bleu qui traite de la psychiatrie, le film coréen The Sea fog (un patron de chalutier se voit, pour gagner de l'argent, contraint d'embarquer clandestinement dans sa cale des immigrés chinois, et ça se termine très mal) qui m'a naturellement passionné à quelques encablures de mon départ sur les océans : j'espère que tout s'y passera bien !
Et puis, tout de même, puisque j'étais là-bas, j'ai vu presque tous les films marocains projetés en ou hors compétition : Atlantic raconte l'odyssée d'un véliplanchiste marocain qui veut gagner l'Europe sur sa planche à voile (!), The narrow frame of midnight a pour sujet la traite des petites filles destinées à être vendues en Europe comme bonnes à tout faire (terrifiant, avec un acteur formidable dans le rôle du méchant), Un pari pimenté est une comédie qui a électrisé le public (un trentenaire fait le pari avec son ami qu'il dînera en tête-à-tête avec une actrice célèbre dont il est amoureux, et il s'ensuit des quiproquos hilarants), L'orchestre des aveugles conte l'histoire, vue par un enfant, d'un de ces orchestres qui animent toutes les fêtes marocaines (mariages, circoncision, etc.) et Bollywood dream est l'histoire d'amour d'un trentenaire qui vit par procuration à travers le cinéma indien farci de chansons sirupeuses, pour oublier le bidonville où il habite. Tous ces films m'ont intéressé. Bref, un festival très recommandable, réservé à ceux qui n'ont pas peur d'aller au Maghreb, c'est-à-dire qui ne sont pas découragés par les infos télévisuelles ! Ce qui est mon cas, je ne les regarde jamais, sauf parfois chez les autres.
Et puis, tout de même, Marrakech, une très très jolie ville... J'ai pris contact avec des Français qui y passent l'hiver, je crois bien que je vais tester ça l'hiver 2015-2016. Y en a marre de la grisaille et du froid... vive la lumière !

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