Il
avait la santé de celui qui ne s'aventurait pas vers les excès
inutiles.
(Abdellah
Taïa, Le
Jour du roi,
Seuil, 2010)
Me
voici revenu de Marrakech. J'aurais bien du mal à vous joindre une
photo, car ayant changé au dernier moment mon sac à dos contre une
valise "spéciale
cabine",
j'ai oublié dans le sac l'appareil photo, niché au fin fond.
J'avais pourtant le cordon pour recharger la batterie ! Et
impossible de retrouver dans mes fichiers les photos de Marrakech
prises en 2010... J'ai dû perdre ce fichier quand j'ai fait les
mises à jour du note-book. Mais je peux vous confirmer que j'étais
bien là-bas, avec le ciel bleu et le soleil pendant toute la
semaine, en compagnie de cinéphiles bordelais et d'ailleurs :
deux personnes du groupe venaient de la Drôme, deux des
Pyrénées-orientales, une de Bruxelles et deux de Tours. La moyenne
d'âge tournant entre 75 et 80 ans, j'étais un des benjamins (cinq
hommes pour treize femmes). Et, sur place, j'ai fait la connaissance
d'autres Français venus aussi pour le Festival, notamment de
Pontarlier (ils m'ont appris qu'il y avait là-bas aussi un festival,
qu'ils animent), ou vivant au Maroc tout ou une partie de l'année.
Sans compter les Marocains venant en nombre et avec qui j'ai causé
ici ou là, ou même les ai photographiés avec leur smartphone quand
ils le souhaitaient.
Vue de l'hôtel côté boulevard
Nous
étions logés à l'hôtel Les
Idrissides
(4 *, ma chambre était aussi vaste que deux, ou peut-être trois, cabines du cargo, je
retrouvais toujours mon pyjama artistiquement disposé sur le lit
géant (on aurait pu y dormir à trois) après le passage des femmes
de ménage),
tout contigu au Palais des Congrès, dont deux salles (la salle des
Ministres, au moins mille places, et la salle des Ambassadeurs,
environ cinq cents places) étaient réservées aux projections, et à
un quart d'heure à pied du Colisée,
la troisième salle de projection, et ordinairement salle de cinéma
commercial. Nous y étions en pension complète (cuisine
internationale, avec cependant couscous et tajines de temps à autre)
et donc rentrions pour manger le midi et le soir, entre deux films.
Je m'allais coucher le plus souvent après le repas du soir, ayant ma
dose de cinéma et étant peu, comme vous le savez, d'humeur
nocturne. Mais j'ai alterné entre les trois salles, car la salle des
Ministres était réservée aux films en compétition, avec présence
du jury (présidé par Isabelle Huppert) et des équipes de films, et le public y était un peu plus
guindé. Dans les deux autres salles, surtout au Colisée,
un public populaire était là, ce qui n'était pas pour me
déplaire. Pendant
les films marocains, ça hurlait, ça sifflait, ça riait, ça
applaudissait. Parfois, la salle se vidait peu à peu en cours de
séance (notamment pour les films japonais en noir et blanc de
Mizoguchi, Rue de la honte et de
Naruse, Nuages flottants,
pourtant excellents classiques des années 50, et que je voyais pour la première fois sur
grand écran).
L'affiche du Festival
Au
programme donc, un hommage au cinéma japonais, un hommage à Viggo
Mortensen (extraordinaire : il parle arabe, espagnol, français,
anglais et danois, et peut-être d'autres langues !) et à quelques autres acteurs moins connus, des
films coup de cœur, des films marocains et une kyrielle d'environ
douze films nouveaux en compétition pour l'Étoile
d'or. Mon grand favori n'a rien obtenu : Nabat,
film venu d'Azerbaïdjan, est sans doute d'une humanité trop
austère ; quasi muet, il raconte les derniers jours d'une
vieille femme dans un village menacé par la guerre (ça se passe
vers 1992) et déserté par ses habitants. C'est un film de poète (donc pour moi),
sublime. Autre film de poète, qui a eu un prix (je l'avais placé
dans les trois premiers), Labour
of love,
venant d'Inde ; ici, on suit pendant une journée, en montage
parallèle, un couple. L'homme travaille la nuit, la femme travaille
le jour. Ils se croisent une demi-heure le matin, entre le retour du
mari et le départ de la femme. Film donc quasi muet également, qui
nous livre une poésie des gestes du quotidien. Magnifique. Mon
troisième, qui a obtenu l'étoile d'or, Corrections
class
(Classe
d'adaptation),
nous vient de Russie ; c'est
l'histoire d'une jeune fille, handicapée (myopathie ?), qui vient en
fauteuil roulant et cherche à s'intégrer dans une classe spéciale de lycée.
Film terrible, tragique, d'une cruauté inouïe – ces jeunes ne se
font pas de cadeaux ! – admirablement bien joué. À ne pas
manquer lors de leurs sorties françaises (s'ils arrivent à trouver
un distributeur !).
D'autres
films étaient dignes d'intérêt, notamment le western américain
The
keeping room
(où l'on voit, à la fin de la guerre de Sécession, trois femmes se
battre contre des hommes que la guerre a pervertis), le film hongrois
Mirage
(où
l'on sent la déliquescence mafieuse d'un pays ex-communiste, dans de
beaux paysages de la puszta), le film iranien Red
rose
(qui se passe en 2009, au moment des émeutes post-électorales de
Téhéran), le
film égyptien Éléphant
bleu qui traite de la psychiatrie, le
film coréen The
Sea fog
(un patron de chalutier se voit, pour gagner de l'argent, contraint
d'embarquer clandestinement dans sa cale des immigrés chinois, et ça se termine très
mal) qui m'a naturellement passionné à quelques encablures de mon
départ sur les océans : j'espère que tout s'y passera bien !
Et
puis, tout de même, puisque j'étais là-bas, j'ai vu presque tous
les films marocains projetés en ou hors compétition : Atlantic
raconte l'odyssée d'un véliplanchiste marocain qui veut gagner
l'Europe sur sa planche à voile (!),
The narrow frame of midnight
a pour sujet la traite des petites filles destinées à être vendues
en Europe comme bonnes à tout faire (terrifiant, avec un acteur
formidable dans le rôle du méchant), Un
pari pimenté
est une comédie qui a électrisé le public (un trentenaire fait le
pari avec son ami qu'il dînera en tête-à-tête avec une actrice
célèbre dont il est amoureux, et il s'ensuit des quiproquos
hilarants), L'orchestre
des aveugles
conte l'histoire, vue par un enfant, d'un de ces orchestres qui
animent toutes les fêtes marocaines (mariages, circoncision, etc.) et
Bollywood
dream est l'histoire d'amour d'un trentenaire qui vit par procuration à
travers le cinéma indien farci de chansons sirupeuses, pour oublier
le bidonville où il habite. Tous ces films m'ont intéressé. Bref,
un festival très recommandable, réservé à ceux qui n'ont pas peur
d'aller au Maghreb, c'est-à-dire qui ne sont pas découragés par
les infos télévisuelles ! Ce qui est mon cas, je ne les
regarde jamais, sauf parfois chez les autres.
Et
puis, tout de même, Marrakech, une très très jolie ville... J'ai pris contact
avec des Français qui y passent l'hiver, je crois bien que je vais
tester ça l'hiver 2015-2016. Y en a marre de la grisaille et du
froid... vive la lumière !
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