samedi 19 août 2023

19 août 2023 : Désmartphonisation ?

 

Piégés entre divertissements télévisés, réseaux sociaux et papiers glacés, les citoyens n’apparaissent à nos dirigeants que comme des lapins pris dans les phares d’une voiture, incapables de se défaire des sortilèges qu’ils ne cessent de produire afin des les soumettre et de les inhiber.

(Juan Branco, Abattre l’ennemi, M. Lafon, 2022)


Je m'aperçois que je ne suis pas le seul à pester contre le smartphone, cet instrument diabolique qui, loin de nous faciliter la vie, nous impose de nouvelles contraintes et, personnellement, me fait perdre un temps considérable de ce peu de temps qui me reste à vivre. 

Je viens de recevoir le dernier numéro de L’âge de faire, et j’y trouve l’appel suivant (https://lagedefaire-lejournal.fr/appel-pour-la-desmartphonisation-de-la-societe/) auquel je souscris des deux mains, surtout depuis que j’ai un smartphone. je vous le soumets. J'aimerais avoir votre avis.


Apparu il y a seulement une quinzaine d’années, le smartphone est devenu avec une incroyable rapidité un objet central de notre société. Il suffit d’observer nos contemporains, dans la rue, dans le métro, au restaurant, partout, pour se rendre compte de la place prépondérante qu’il occupe. Selon les dernières statistiques de l’Insee, 77 % de la population française âgée de 15 ans et plus en possèdent un. Ce pourcentage atteint 92 % chez les 30-40 ans, et 94 % pour les 15-29 ans. Signalons que ces statistiques portent sur l’année 2021 et que le taux d’équipement étant en hausse constante, il est assurément encore plus élevé aujourd’hui. Signalons aussi qu’il concerne des enfants de plus en plus jeunes. Selon une étude Médiamétrie, ces derniers se voient offrir leur premier smartphone, en moyenne, avant l’âge de 10 ans. Là encore, ces statistiques datent de 2020 et tout porte à croire que cet âge moyen a encore baissé.

Est-ce que chaque humain sera, d’ici quelques années, systématiquement relié au « grand tout » via un smartphone ?

Nous sommes un certain nombre à ne pas le souhaiter et à vivre sans smartphone, pour de multiples raisons. Ce petit objet est un concentré de pollutions industrielles. Il contient une cinquantaine de métaux différents quasiment impossibles à recycler dont l’extraction crée des situations dramatiques aux quatre coins du monde (1). Dans les usines de smartphones chinoises, ouvriers et ouvrières sont soumis aux conditions d’exploitation les plus extrêmes quand ils ne font pas l’objet de travail forcé, comme les Ouïgours (2). Nous pensons qu’à l’heure où l’on nous annonce des coupures d’électricité, l’énergie disponible ne doit pas être accaparée par cet appareillage, ainsi que par la gigantesque infrastructure nécessaire à son fonctionnement (antennes relais, serveurs…). Nous affirmons que les ondes électromagnétiques liées à cette technologie posent de sérieuses questions de santé publique.

Nous refusons d’être sollicités et pistés en permanence par des sociétés privées, et que celles-ci s’emparent de l’un de nos biens les plus précieux : notre attention. Nous constatons à quel point ce qui est appelé « outil de communication » altère en réalité nos relations sociales.

Le smartphone est si addictif qu’il a démultiplié les tensions et les conflits dans les foyers. C’est le pire ennemi des parents qui doivent se démener pour soustraire leurs enfants à ses mondes parallèles et marchands.

Nous avons aussi découvert à travers la mise en place du « passe sanitaire » l’utilisation qui pouvait être faite de cet objet, à savoir gérer, de manière individualisée, le moindre de nos déplacements en nous délivrant, ou non, l’autorisation de pénétrer dans tel ou tel lieu. Le problème n’est pas ici de savoir si ce dispositif a permis de limiter la propagation du virus. Ce que nous retenons, c’est que le smartphone s’est révélé être une interface entre l’humain et l’administration centrale, offrant à cette dernière un pouvoir inédit de surveillance et de contrôle.

L’industrie et le gouvernement multiplient les décisions rendant cet objet de plus en plus indispensable : disparition des cabines téléphoniques, des guichets « humains » et même des bornes automatiques dans les gares, envoi de codes pour réaliser un paiement en ligne, QR codes à scanner dans les musées ou les restaurants, administrations de plus en plus déshumanisées (« dématérialisées », selon le langage consacré…), etc. Au point de pousser la Défenseure des droits à lancer ce cri du cœur : « Il n’est pas possible d’imposer à tout le monde d’avoir un smartphone ! » (3)

Nous exigeons donc de l’État qu’il rétablisse les alternatives au smartphone pour permettre à chaque citoyen d’accéder à ses droits et aux biens communs sans y avoir recours. Nous revendiquons le droit de vivre pleinement dans cette société sans pour autant être équipé de cette prothèse incroyablement envahissante.

Parallèlement – et sans ignorer les contraintes, notamment professionnelles, qui peuvent s’imposer à certain·es – nous appelons celles et ceux qui le peuvent encore à abandonner au plus vite leur smartphone.

« On croit fabriquer des automobiles, on fabrique une société », prévenait le philosophe Bernard Charbonneau en 1967. Aujourd’hui plongés dans le modèle du « tout-bagnole », et alors que nous en connaissons les ravages écologiques, nous constatons l’extrême difficulté que nous avons à en sortir. En quinze ans, le smartphone ne nous a rendus ni plus heureux, ni plus libres. Il a simplement augmenté notre dépendance à des chaînes de production insoutenables et démultiplié les profits de l’industrie du numérique. Un bilan aussi désastreux appelle une réponse collective. C’est pourquoi nous appelons à démanteler tant qu’il est encore temps la société du smartphone.

Signataires : 

Matthieu Amiech, éditeur, auteur de L’industrie du complotisme (La Lenteur)

Fabien Benoit, journaliste, auteur de Techno-luttes (Seuil/Reporterre) ;

Nicolas Bérard, journaliste, auteur de Ce monde connecté qu’on nous impose (Le passager clandestin/L’âge de faire) ;

Nicolas Celnik, journaliste, auteur de Techno-luttes (Seuil/Reporterre) ;

Alain Damasio, auteur de Les Furtifs (La Volte) ;

Sabine Duflo, psychologue, autrice de Il ne décroche pas des écrans (Marabout) ;

Lisa Giachino, rédactrice en chef du mensuel L’âge de faire ;

Celia Izoard, journaliste, autrice de Merci de changer de métier (La dernière lettre) ;

François Jarrige, historien, auteur de On arrête (parfois) le progrès (L’échappée) ;

Fabien Lebrun, chercheur, auteur de On achève bien les enfants. Écrans et barbarie numérique (Le bord de l’eau)

Yves Marry, délégué général de l’association Lève les yeux, auteur de La guerre de l’attention (L’échappée) ;

Geneviève Pruvost, sociologue, autrice de Quotidien politique – féminisme, écologie, subsistance (La découverte)

1- Minerais de sang, C. Boltanski, Gallimard, 2014 ; Voilà pourquoi on meurt, Amnesty International, 2015
2- La Machine est ton seigneur et ton maître, Jenny Chan, Xu Lizhi et Yang, Agone, rééd. 2022.
3- Lors de la matinale de France Inter du 5 juillet 2022.

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