mardi 9 mai 2023

9 mai 2023 : Ah ! le smartphone, 6, la vitesse

 

Et si le temps gagné par l'entremise de la vitesse était inutilisable pour le bonheur ?

(Denis Grozdanovitch, L'Art difficile de ne presque rien faire, Denoël, 2009)



Ah ! Cette satanée vitesse ! C’est totalement vrai qu’elle ne nous apporte aucun bonheur. « Pourquoi êtes-vous si pressés, vous autres les métros (on désignait ainsi en Guadeloupe les expatriés venus de la France métropolitaine) ? On va tous vers le cimetière : autant y arriver le plus lentement possible », me disait un "vieux" Guadeloupéen. Je n’ai jamais oublié sa leçon, ni même sa phrase chuchotée en français de façon chantante, moi qui ai maintenant à peu près atteint son âge.

La vitesse nous fait oublier les plaisirs de l’attente : au supermarché ce matin, j’ai fait la queue, quand je suis passé, le caissier s’est mis à me fredonner une chanson de Brassens, ce qui m’a mis en joie. L’aurai-je connue, cette joie, si j’étais allé à une caisse automatique, plus rapide sans doute, mais sans contact humain digne de ce nom ? Le plaisir de la marche, du vélo et même de la course à pied, n’est-il pas propice à la méditation, à la contemplation, à la concentration ou aux rencontres, au contraire de ces machines à aller vite, où on n’a même pas le temps de regarder le paysage, des fenêtres d’un TGV par exemple.

C’est pourquoi la plupart du temps, ça m’endort ou ça me pousse à lire, au contraire de la plupart des voyageurs, obnubilés par leurs smartphones et autres tablettes. Et mon smartphone ne changera rien, je l'y mettrai en mode avion. D’abord pour ne pas déranger mes voisins. Ensuite parce que je n’ai rien à y regarder et que, quand je voyage, je me déconnecte. Il sera bien temps de voir mes mails et autres infos plus tard, à tête reposée. D’où sort ce besoin d’instantanéité actuel ? Mes amis le savent bien et ne m’inondent pas de nouvelles soi-disant urgentissimes.

Pensons à Jean-Jacques Rousseau, dans Les confessions : "Je n’ai voyagé à pied que dans mes beaux jours, et toujours avec délices. Bientôt les devoirs, les affaires, un bagage à porter, m’ont forcé de faire le monsieur et de prendre des voitures ; les soucis rongeants, les embarras, la gêne, y sont montés avec moi, et dès lors, au lieu qu’auparavant dans mes voyages je ne sentais que le plaisir d’aller, je n’ai plus senti que le besoin d’arriver". Que dirait-il aujourd’hui avec les TGV ou les avions ? De mon dernier voyage en avion, je n’ai pas pris un vol direct : mais les escales à Munich de 3 h à l’aller, 2 h au retour, ont constitué un délice par le plaisir de l’attente et les rencontres faites, notamment de ce jeune Français qui se rendait en Thaïlande qu’il allait sillonner avec les moyens de transports locaux. Et pourtant, je n’avais pas de smartphone : seuls ceux qui en avaient un s’impatientaient quand ils ont annoncé au retour un retard de 3/4 d‘heure. Je suis resté zen.

Déjà, depuis que j’ai cet engin machiavélique, je suis davantage stressé ; ma tension à grimpé vertigineusement (15/9). Hier, je ne sais comment j’ai fait, j’ai réussi à verrouiller l’engin : heureusement que j’avais eu la bonne idée d’inviter mes amis bangladais (ils sont passés directement de pas de téléphone du tout au smartphone) qui m’ont aidé à déverrouiller grâce au code PUK, que j’ai retrouvé dans mon contrat de la "box" et que je me suis empressé de noter sur un carnet, des fois que je recommencerai ! Peu à peu j’apprends, mais pour ne pas être importuné sans cesse, je le mets en mode avion dès que je peux ou je l’éteins même. Car c'est un fil à la patte, une corde au cou, une drogue addictive... Et, en plus, c’est un énorme consommateur d’énergie : il faut le recharger au minimum tous les deux jours, contre une fois par semaine pour mon ancien téléphone ordinaire. Qui était bien plus simple et plus facile de fonctionnement.

Mais il faut vivre avec son temps, comme disent les imbéciles. À ce compte-là, il faudrait être guerrier et massacrer en Ukraine et en Russie, il aurait fallu avoir des esclaves dans l’Antiquité et dans les colonies, il faudrait continuer à fomenter la misère sociale et économique, il faut accepter de perdre un œil ou une main quand on manifeste, il faut tolérer l’intolérable (laisser les migrants arrivés chez nous en situation illégale, femmes ou enfants battus, usage de la torture, assassinats ciblés ici ou là, ne pas secourir les migrants en Méditerranée, etc.). Trop facile de fermer les yeux, par exemple continuer à ne pas voir les SDF (ou penser qu’ils l’ont bien cherché), parce qu’on est scotché sur son smartphone et que ça ne nous concerne pas, alors que jouer à un jeu vidéo débile et se nourrir des "fake news" des réseaux sociaux, ça, ça nous concerne au plus haut point !

                                            les effets du smartphone, selon KARAK : bien vu !

Promis, je ne parlerai plus de smartphone, avant six mois, pour ne pas me stresser davantage. Je vais m’inscrire à un stage de zénitude cet été au mois d’août pendant lequel l’engin sera au repos complet ! Pour conclure avec Rousseau (toujours Les confessions) : "Jamais je n’ai tant pensé, tant existé, tant vécu, tant été moi, si j’ose ainsi dire, que dans [les voyages] que j’ai faits seul et à pied". Et tant pis si on le (et me) taxe d’égoïsme...

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