Des
amis précisément, ce sont des gens avec qui l’on peut
s’abandonner à ses rêves, discrètement, délicieusement, parce
que leur présence crée autour de nous une atmosphère, tandis que
les confidences, discrètes, les alimentent et les concrétisent un
peu. Peu importe même s’ils écoutent et compatissent, ou suivent
leurs propres rêves.
(Valico
Leizerovsky, Ma
sempiternelle dignité : La Santé, Fresnes, Drancy,
Correspondance 1941-1942,
Les Moments littéraires, 2007)
Eh
oui, l’amitié peut naître entre des êtres très différents par
l’âge. Ainsi entre Steffi Herrera, adolescente de quinze ans qui
vit à Björke, dans le Värmland et qui achève péniblement ses
années de collège, victime d’un harcèlement
scolaire, peut-être à cause de l’origine cubaine de son père, et
Alvar Svensson, âgé de quatre-vingt-dix ans, pensionnaire d’une
maison de retraite… Car tous deux partagent la même passion :
le jazz et la basse. Leur rencontre, assez improbable, due à un
hasard, va sortir Steffi de son isolement et l’encourager dans la
voie qu’elle a choisie : préparer son admission dans un lycée
musical, l’idéal étant celui de Stockholm.
Alvar
avait quitté Björke en 1942 à dix-sept ans pour se rendre à
Stockholm ; c’était la guerre, l’Allemagne occupait la
Norvège voisine et laissait planer la menace sur ce pays neutre. Il partait habiter chez sa tante Hilda, qui avait horreur du jazz, cette
"musique de nègres". Il trouva rapidement un travail de
coursier et dut inventer des excuses pour rentrer tard le soir après avoir passé la soirée dans les clubs et caves où on swinguait. Il devint, à
l’instar de ses compagnons, un zazou, puis un des jazzmen assez connus sous le nom d’Alvar « P’tit gars » Svensson,
pour qu’un article de journal parle de lui et tombe sous les yeux
de sa tante, qui le chassa illico ! C’est ce que peu à peu,
il raconte à Steffi, apprivoisant peu à peu la jeune fille, et la
poussant à rester elle-même et à sa consacrer à sa passion. Bien
que ne jouant plus, il délivre un peu de son savoir à Steffi, tout
en lui donnant confiance en elle.
Steffi
est une adolescente
solitaire, élevée dans une famille aimante (malgré
des frictions avec sa sœur aînée),
d’ailleurs
sa mère l’accompagne pour le concours d’entrée dans les lycées
musicaux. Le
roman fait part des brimades qui lui tombent dessus (c’est raconté
au présent) et de ses rencontres avec Alvar
(avec
des
flash-back au
passé sur les jeunes années du musicien). Alvar lui raconte son grand amour
pour Anita, issue d’un milieu huppé et plus âgée que lui de sept
ans,
et
pour la jeune fille sevrée d’amour (hors du cercle familial),
c’est une enchantement. Pour le lecteur aussi. L’ensemble forme
une
ode
au Jazz et,
plus généralement, à la musique, aussi bien qu'à l'amour. On découvre
avec Alvar
le
jazz
suédois des années 40 et la
difficulté à se faire connaître.
Le
Jazz de la Vie
nous
propose ainsi de suivre en parallèle le destin d’une jeune fille
qui
pourrait être brisée par la violence d’un
harcèlement scolaire quotidien, terrifiant,
car elle ne peut en parler à personne ; heureusement, Alvar est
là, à qui on peut tout dire, et qui lui permet de développer sa
force de caractère et la
possibilité
de s’évader grâce à la musique. Car
il a une fabuleuse collection de disques 78 tours qu’il fait
écouter sur un gramophone archaïque.
Il rappelle à la jeune fille combien le
jazz était mal vu à
l’époque.
À
aucun moment,
Alvar ne
traite
Steffi comme
une enfant
et elle-même
ne considère pas Alvar
comme un vieux plus
ou moins débile.
Ils se considèrent
comme des être humains égaux, ce qui leur permet de créer
une singulière
amitié.
Elle
culmine vers la fin quand Alvar fait la surprise d’inviter Steffi à la Maison de retraite
pour fêter le succès de sa réussite au concours du lycée, dans
une scène magnifique, presque magique, que je vous laisse découvrir.
Le
Jazz de la Vie
est un roman fébrile,
où
l’on sent le swing
et
le rythme
jazzy.
On
a presque envie de
danser
le jitterbug.
C’est
aussi un roman sur la liberté, sur la quête de soi et sur
l’authenticité :
deviens
ce que tu es et reste-le, semble en être la leçon.
Oui,
les vieux peuvent aider les jeunes à se sentir moins mal, et les
jeunes aider les vieux à sortir de leur isolement. On y trouve ce
beau poème :
Dans
chaque pré tu ne trouveras qu’une seul
Trèfle
à quatre feuilles
Alors
saisis ta chance
À
chaque étape de
ta vie un seul ami
Te
sera utile
Alors
saisis ta chance
Mais
vite avant qu’elle ne s’enfuie
Car
le bon temps passe vite
Oh
oui trop vite
Un
roman à recommander à tous les jeunes de 13 à 113 ans qui croient
que la vie peut être riche de rencontres insolites, quand on décide
d’être soi et non de chercher à être comme les autres...
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