jeudi 21 mars 2019

21 mars 2019 : une singulière amitié


Des amis précisément, ce sont des gens avec qui l’on peut s’abandonner à ses rêves, discrètement, délicieusement, parce que leur présence crée autour de nous une atmosphère, tandis que les confidences, discrètes, les alimentent et les concrétisent un peu. Peu importe même s’ils écoutent et compatissent, ou suivent leurs propres rêves.
(Valico Leizerovsky, Ma sempiternelle dignité : La Santé, Fresnes, Drancy, Correspondance 1941-1942, Les Moments littéraires, 2007)

Eh oui, l’amitié peut naître entre des êtres très différents par l’âge. Ainsi entre Steffi Herrera, adolescente de quinze ans qui vit à Björke, dans le Värmland et qui achève péniblement ses années de collège, victime d’un harcèlement scolaire, peut-être à cause de l’origine cubaine de son père, et Alvar Svensson, âgé de quatre-vingt-dix ans, pensionnaire d’une maison de retraite… Car tous deux partagent la même passion : le jazz et la basse. Leur rencontre, assez improbable, due à un hasard, va sortir Steffi de son isolement et l’encourager dans la voie qu’elle a choisie : préparer son admission dans un lycée musical, l’idéal étant celui de Stockholm. 

 
Alvar avait quitté Björke en 1942 à dix-sept ans pour se rendre à Stockholm ; c’était la guerre, l’Allemagne occupait la Norvège voisine et laissait planer la menace sur ce pays neutre. Il partait habiter chez sa tante Hilda, qui avait horreur du jazz, cette "musique de nègres". Il trouva rapidement un travail de coursier et dut inventer des excuses pour rentrer tard le soir après avoir passé la soirée dans les clubs et caves où on swinguait. Il devint, à l’instar de ses compagnons, un zazou, puis un des jazzmen assez connus sous le nom d’Alvar « P’tit gars » Svensson, pour qu’un article de journal parle de lui et tombe sous les yeux de sa tante, qui le chassa illico ! C’est ce que peu à peu, il raconte à Steffi, apprivoisant peu à peu la jeune fille, et la poussant à rester elle-même et à sa consacrer à sa passion. Bien que ne jouant plus, il délivre un peu de son savoir à Steffi, tout en lui donnant confiance en elle.
Steffi est une adolescente solitaire, élevée dans une famille aimante (malgré des frictions avec sa sœur aînée), d’ailleurs sa mère l’accompagne pour le concours d’entrée dans les lycées musicaux. Le roman fait part des brimades qui lui tombent dessus (c’est raconté au présent) et de ses rencontres avec Alvar (avec des flash-back au passé sur les jeunes années du musicien). Alvar lui raconte son grand amour pour Anita, issue d’un milieu huppé et plus âgée que lui de sept ans, et pour la jeune fille sevrée d’amour (hors du cercle familial), c’est une enchantement. Pour le lecteur aussi. L’ensemble forme une ode au Jazz et, plus généralement, à la musique, aussi bien qu'à l'amour. On découvre avec Alvar le jazz suédois des années 40 et la difficulté à se faire connaître.
Le Jazz de la Vie nous propose ainsi de suivre en parallèle le destin d’une jeune fille qui pourrait être brisée par la violence d’un harcèlement scolaire quotidien, terrifiant, car elle ne peut en parler à personne ; heureusement, Alvar est là, à qui on peut tout dire, et qui lui permet de développer sa force de caractère et la possibilité de s’évader grâce à la musique. Car il a une fabuleuse collection de disques 78 tours qu’il fait écouter sur un gramophone archaïque. Il rappelle à la jeune fille combien le jazz était mal vu à l’époque. À aucun moment, Alvar ne traite Steffi comme une enfant et elle-même ne considère pas Alvar comme un vieux plus ou moins débile. Ils se considèrent comme des être humains égaux, ce qui leur permet de créer une singulière amitié. Elle culmine vers la fin quand Alvar fait la surprise d’inviter Steffi à la Maison de retraite pour fêter le succès de sa réussite au concours du lycée, dans une scène magnifique, presque magique, que je vous laisse découvrir.
Le Jazz de la Vie est un roman fébrile, où l’on sent le swing et le rythme jazzy. On a presque envie de danser le jitterbug. C’est aussi un roman sur la liberté, sur la quête de soi et sur l’authenticité : deviens ce que tu es et reste-le, semble en être la leçon. Oui, les vieux peuvent aider les jeunes à se sentir moins mal, et les jeunes aider les vieux à sortir de leur isolement. On y trouve ce beau poème :
Dans chaque pré tu ne trouveras qu’une seul
Trèfle à quatre feuilles
Alors saisis ta chance


À chaque étape de ta vie un seul ami
Te sera utile
Alors saisis ta chance


Mais vite avant qu’elle ne s’enfuie
Car le bon temps passe vite
Oh oui trop vite

Un roman à recommander à tous les jeunes de 13 à 113 ans qui croient que la vie peut être riche de rencontres insolites, quand on décide d’être soi et non de chercher à être comme les autres...

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