mardi 25 avril 2023

25 avril 2023 : un roman polonais sur l'antichambre du goulag

 

Or n'est-ce pas justement quand la mort est sur le seuil, quand elle fait déjà son nid en nous, à l'intérieur, que le désir de vivre s'exalte et que l'on devient capable d'abattre des montagnes, et de ressusciter d'entre les morts ?

(Piotr Bednarski, Les neiges bleues, trad. Jacques Burko, Autrement, 2004)

 

Vous savez que je considère qu’il faut lire de la littérature pour découvrir l’âme d’un pays. Et je pars toujours en voyage avec un roman, un recueil de poèmes ou de nouvelles. Cette fois-ci, j’avais emporté Les neiges bleues de Piotr Benardski, traduit en français en 2004 et que je possédais depuis plusieurs années.

 


On trouvera dans ce « roman » autobiographique la vie quotidienne d'un enfant polonais en Sibérie, au cœur du système répressif soviétique. Petia, 8 ans, a vu son père (un petit aristocrate) expédié au goulag en 1939, lors du partage de la Pologne entre l’Allemagne nazie et la Russie soviétique. Lui-même est relégué dans un village en Sibérie avec sa sa grand-mère et sa mère (surnommée Beauté). Celle-ci est désirée par tous les hommes, particulièrement les chefs, communistes purs et durs, qui se croient tout permis, mais elle leur résiste et leur tient tête : "elle ne pouvait aimer que des hommes bons. Or, un homme bon, ici-bas, c’est plutôt un être raté, une sorte de merle blanc". Petia souffre quotidiennement et continûment de la faim, du froid, parmi tous ces déportés, considérés comme hostiles au régime et assignés à résidence. Ces Polonais étaient sans doute partisans de la Pologne libre et de son chef le maréchal Pilsudski.

Ils subissent aussi les humiliations et l’arbitraire des petits chefs. Et la mort rôde en permanence : un enfant ami, un garde-chiourme (qui se suicide), la grand-mère du narrateur, des soldats, des déportés. On peut vite être déporte au goulag dès qu’une parole contre les gardiens ou contre Staline est perçue, ou même abattu par ces gardes. La vie a l’air d’être fugitive dans ce climat glacial où la neige finit par devenir bleue. Heureusement il y a Beauté, qui a trouvé un emploi d’infirmière et qui veille sur son fils et le choie autant qu’elle peut. Beauté aide le petit garçon à survivre, lui fait connaître la Bible et découvrir ceci : "Je savais seulement qu’il y avait des hommes bons et des mauvais, et que le pouvoir était l’apanage des psychopathes et des mégalomanes".

Et il y a aussi l’école et les copains, et les petits plaisirs malgré le dénuement : un de ses copains, sans doute d’origine asiatique, lui dit : "Je me ferai moine bouddhiste. Vous, vous volerez, et moi, je prierai". Les enfants gardent la malice de leur âge pour tenter de survivre. Et Petia observe et s’efforce de retenir ce qui est beau (l’amitié, par exemple avec son petit groupe d’écoliers ou avec le déporte surnomme Bienheureux, l’amour de sa mère et de sa grand-mère, la compassion, la lecture de la Bible, la poésie qu’il découvre aussi, l’attente du retour du père), de ne pas perdre l’espoir et de devenir humain dans cet univers inhumain et mortifère. Et d’oublier le terreur de la dénonciation, la misère, le froid, la faim.

C’est évidemment une description du système répressif soviétique. Mais sans appuyer. Simplement, les détails font comprendre le surcroît de douleur qui domine chez bon nombre de personnages. Et pour Petia, le "temps est le meilleur allié de l’homme. Et le plus fidèle. Que nous le voulions ou non, il nous guide toujours vers notre but ; s’il nous précipite dans la tourmente, il nous en sort aussi ; sans cesse il nous blesse et soigne nos blessures".

Un des meilleurs livres sur le goulag, que j’ai trouvé sublime. Et on comprend pourquoi les Polonais n’aiment pas les Russes.

 

Aucun commentaire: