l’anesthésie
d’une économie mondiale régie par les nouvelles technologies plus
« propres » que la Mort pour les habitants d’une
Planète-poubelle… qui fut pourtant si belle ! Pour cela
faisons confiance aux grands stratèges du commerce ! Bientôt
ils vont régir une planète exsangue avec l’imparable nouvelle
idéologie économique qu’ils sont en train d’inventer.
(Serge
Rezvani, Ultime amour,
Les Belles lettres, 2012)
Je
vous propose de lire ce texte d’Annie Ernaux, si vous ne l’avez
pas écouté à la radio ou s’il vous a échappé. Annie Ernaux,
c’est mon Prix Nobel de littérature à moi, mon écrivain vivant
préféré, celle vers qui je me tourne pour savoir qui je suis. Car
elle a clairement exposé, en long, en large et en détail la
problématique des gens qui, comme moi, ont pris en chemin
l’ascenseur social et se sont sentis déclassés vers le haut, mais
qui n’ont jamais oublié d’où ils viennent.
À
un moment où nous ressemblons tous à des pestiférés ou
à des invisibles –
avez-vous remarqué comment, quand on se croise, l’autre fait un
détour, exactement comme il (ou
elle)
le faisait habituellement
en croisant auparavant un SDF ou
quelque chose de déplaisant
dans la rue – ce texte,
certes discutable, mais très pondéré, peut nous aider à envisager
les suites du confinement pour qu’on pousse nos gouvernants à
prendre la mesure des erreurs commises depuis au moins trente ans de
casse sociale des services publics.
ce livre regroupe l'essentiel de ses œuvres
Cergy,
le 30 mars 2020
Monsieur
le Président,
« Je
vous fais une lettre/ Que vous lirez peut-être/ Si vous avez le
temps ». À vous qui êtes féru de littérature, cette entrée
en matière évoque sans doute quelque chose. C’est le début de la
chanson de Boris Vian Le déserteur, écrite en 1954, entre la
guerre d’Indochine et celle d’Algérie. Aujourd’hui, quoique
vous le proclamiez, nous ne sommes pas en guerre, l’ennemi ici
n’est pas humain, pas notre semblable, il n’a ni pensée ni
volonté de nuire, ignore les frontières et les différences
sociales, se reproduit à l’aveugle en sautant d’un individu à
un autre. Les armes, puisque vous tenez à ce lexique guerrier, ce
sont les lits d’hôpital, les respirateurs, les masques et les
tests, c’est le nombre de médecins, de scientifiques, de
soignants. Or, depuis que vous dirigez la France, vous êtes resté
sourd aux cris d’alarme du monde de la santé et ce qu’on pouvait
lire sur la banderole d’une manif en novembre dernier –
L’état compte ses sous, on comptera les morts – résonne
tragiquement aujourd’hui. Mais vous avez préféré écouter ceux
qui prônent le désengagement de l’État, préconisant
l’optimisation des ressources, la régulation des flux, tout ce
jargon technocratique dépourvu de chair qui noie le poisson de la
réalité. Mais regardez, ce sont les services publics qui, en ce
moment, assurent majoritairement le fonctionnement du pays : les
hôpitaux, l’Éducation nationale et ses milliers de professeurs,
d’instituteurs si mal payés, EDF, la Poste, le métro et la SNCF.
Et ceux dont, naguère, vous avez dit qu’ils n’étaient rien,
sont maintenant tout, eux qui continuent de vider les poubelles, de
taper les produits aux caisses, de livrer des pizzas, de garantir
cette vie aussi indispensable que l’intellectuelle, la vie
matérielle.
Choix
étrange que le mot « résilience », signifiant
reconstruction après un traumatisme. Nous n’en sommes pas là.
Prenez garde, Monsieur le Président, aux effets de ce temps de
confinement, de bouleversement du cours des choses. C’est un temps
propice aux remises en cause. Un temps pour désirer un nouveau
monde. Pas le vôtre ! Pas celui où les décideurs et financiers
reprennent déjà sans pudeur l’antienne du « travailler
plus », jusqu’à 60 heures par semaine. Nous sommes nombreux
à ne plus vouloir d’un monde dont l’épidémie révèle les
inégalités criantes, nombreux à vouloir au contraire un monde où
les besoins essentiels, se nourrir sainement, se soigner, se loger,
s’éduquer, se cultiver, soient garantis à tous, un monde dont les
solidarités actuelles montrent, justement, la possibilité. Sachez,
Monsieur le Président, que nous ne laisserons plus nous voler notre
vie, nous n’avons qu’elle, et « rien ne vaut la vie »
– chanson, encore, d’Alain Souchon. Ni bâillonner durablement
nos libertés démocratiques, aujourd’hui restreintes, liberté qui
permet à ma lettre – contrairement à celle de Boris Vian,
interdite de radio – d’être lue ce matin sur les ondes d’une
radio nationale.
lu
sur France inter le 30 mars 2020 : pour réécouter :
https://www.youtube.com/watch?v=QqU8lUuM-14
Et, sur Annie Ernaux, relire mes pages de blog des 28 et 29 septembre 2015 et du 14 mars 2019.
Et, sur Annie Ernaux, relire mes pages de blog des 28 et 29 septembre 2015 et du 14 mars 2019.
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