tout
ce système est bâti sur un mépris sans borne envers l’être
humain. Si j’étais naïf, j’exigerais la justice pour nous
autres, les silicosés. Mais je sais que la justice c’est bon pour
ceux qui ont le pouvoir ; nous autres, les petits, nous n’avons
rien à voir avec elle.
(Kurt
Salomonson, Les
grottes,
trad. Philippe Bouquet, Plein chant, 1987)
Bien entendu, le roman de Kurt Salomonson, que je viens de lire, ne parle pas de la crise actuelle (il date des années 60 et a été traduit en France dans les années 80), mais sa dénonciation sociale vaut largement pour ce qui nous arrive aujourd'hui. C'est pourquoi je le mets en exergue.
Et, après Annie Ernaux, il y a cinq jours, c'est encore une femme qui nous aide à y voir clair dans la situation actuelle : Coline Serreau, cinéaste dont plusieurs films m'ont passionné, La crise (1992), La belle verte (1996), Chaos (2001), Saint-Jacques La Mecque (2005), Solutions locales pour un désordre global (2010). Les femmes sauveront-elles notre monde en folie ?
LE
MONDE QUI MARCHAIT SUR LA TÊTE EST EN TRAIN DE REMETTRE SES IDÉES À
L’ENDROIT par Coline Serreau (texte paru dans Médiapart)
[...] Les virus sont des êtres puissants, capables de modifier notre
génome, traitons-les sinon avec respect, du moins avec modestie.
Apprenons
à survivre parmi eux, à s'en protéger en faisant vivre l'espèce
humaine dans des conditions sanitaires optimales qui renforcent son
immunité et lui donnent le pouvoir d'affronter sans dommage les
microbes et virus dont nous sommes de toute façon entourés
massivement, car nous vivons dans la grande soupe cosmique où tout
le monde doit avoir sa place. [...]
Dans
cette crise, ce qui est stupéfiant c’est la rapidité avec
laquelle l'intelligence collective et populaire se manifeste. En
quelques jours, les Français ont établi des rites de remerciement
massivement suivis, un des plus beaux gestes politiques que la France
ait connus et qui prolonge les grèves contre la réforme des
retraites et l'action des gilets jaunes en criant haut et fort qui et
quoi sont importants dans nos vies.
Dans
notre pays, ceux qui assurent les fonctions essentielles, celles qui
font tenir debout une société sont sous-payés, méprisés [...],
touchent des salaires de misère [...]. Dans notre monde le mot
paysan est une insulte, mais des gens qui se nomment "exploitants
agricoles" reçoivent des centaines de milliers d'euros pour
faire mourir notre terre, nos corps et notre environnement tandis que
l'industrie chimique prospère.
Et
voilà que le petit virus remet les pendules à l'heure, voilà
qu'aux fenêtres, un peuple confiné hurle son respect, son amour, sa
reconnaissance pour les vrais soldats de notre époque, ceux qui sont
prêts à donner leur vie pour sauver la nôtre alors que depuis des
décennies les gouvernements successifs se sont acharnés à
démanteler nos systèmes de santé et d'éducation, alors que les
lobbies règnent en maîtres [...].
Nous
manquons d'argent pour équiper nos hôpitaux, mais bon sang, prenons
l'argent où il se trouve, que les GAFA payent leurs impôts, qu'ils
reversent à la société au minimum la moitié de leurs revenus. [...] ils doivent payer leurs impôts et rendre aux peuples
ce qui leur est dû.
Il
faudra probablement aussi revoir la question de la dette qui nous
ruine en enrichissant les marchés financiers. [...] Je ne vois pas
comment à la sortie de cette crise, quand les comptes en banque des
petites gens seront vides, quand les entreprises ne pourront plus
payer leurs employés qui ne pourront plus payer les loyers,
l'électricité, le gaz, la nourriture, comment le gouvernement
pourra continuer à gaspiller 90% de son budget à rembourser une
dette qui ne profite qu'aux banquiers.
[...] il faudra
relocaliser, produire de nouveau chez nous, se contenter de nos
ressources, qui sont immenses, et détricoter une partie de la
mondialisation qui n'a fait que nous appauvrir. [...] Ne
nous y trompons pas, il n'y aura pas de retour en arrière après
cette crise.
Parce
que malgré cette souffrance, malgré ces deuils terribles qui
frappent tant de familles, malgré ce confinement dont les plus
pauvres d'entre nous payent le plus lourd tribut, à savoir les
jeunes, les personnes âgées isolées ou confinées dans les EHPAD,
les familles nombreuses, coincés qu'ils sont en ville, souvent dans
de toutes petites surfaces, malgré tout cela, le monde qui marchait
sur la tête est en train de remettre ses idées à l'endroit.
Où
sont les vraies valeurs ? Qu'est-ce qui est important dans nos vies ?
Vivre virtuellement ? Manger des produits issus d'une terre
martyrisée et qui empoisonnent nos corps ? Enrichir par notre
travail ceux qui se prennent des bonus faramineux en gérant les
licenciements ? Encaisser la violence sociale de ceux qui n'ont eu de
cesse d'appauvrir le système de soin et nous donnent maintenant des
leçons de solidarité ? Subir une médecine [...] aux ordres des laboratoires pharmaceutiques
? Alors que la seule médecine valable, c’est celle qui s'occupe de
l'environnement sain des humains, qui proscrit tous les poisons, même
s'ils rapportent gros. Pourquoi croyez-vous que ce virus qui atteint
les poumons prospère si bien ? Parce que nos poumons sont malades de
la pollution [...].
En
agriculture, plus on cultive intensivement sur des dizaines
d'hectares des plantes transformées génétiquement ou hybrides dans
des terres malades, plus les prédateurs, ou pestes, les attaquent et
s'en régalent, et plus il faut les arroser de pesticides pour
qu'elles survivent, c’est un cercle vicieux qui ne peut mener qu'à
des catastrophes.
Mais
ne vous faites pas d'illusions, on traite les humains les plus
humbles de la même façon que les plantes et les animaux martyrisés. [...] seuls une alimentation et un environnement sains
permettront de se défendre efficacement et à long terme contre les
virus.
Le
confinement a aussi des conséquences mentales et sociétales
importantes pour nous tous, soudain un certain nombre de choses que
nous pensions vitales se révèlent futiles. Acheter toutes sortes
d'objets, de vêtements, est impossible [...] on ne perd plus de temps en transports harassants et polluants [...]. On prend le temps de cuisiner [...], on
se parle, on s'envoie des messages qui rivalisent de créativité et
d'humour. Le télétravail [...]
permettra plus tard à un nombre croissant de gens de vivre et de
travailler à la campagne, les mégapoles pourront se désengorger.
Pour
ce qui est de la culture, les peuples nous enseignent des leçons
magnifiques : la culture n'est ni un vecteur de vente, ni une usine à
profits, ni la propriété d'une élite qui affirme sa supériorité,
la culture est ce qui nous rassemble, nous console, nous permet de
vivre et de partager nos émotions avec les autres humains. Quoi de
pire qu'un confinement pour communiquer ? Et pourtant les italiens
chantent aux balcons, on a vu des policiers offrir des sérénades à
des villageois pour les réconforter, à Paris des rues entières
organisent des concerts du soir, des lectures de poèmes, des
manifestations de gratitude, c’est cela la vraie culture, la belle,
la grande culture dont le monde a besoin, juste des voix qui chantent
pour juguler la solitude.
C’est
le contraire de la culture des officines gouvernementales qui ne se
sont jamais préoccupées d'assouvir les besoins des populations, de
leur offrir ce dont elles ont réellement besoin pour vivre, mais
n'ont eu de cesse de conforter les élites, de mépriser toute
manifestation culturelle qui plairait au bas peuple. [...] Si les
manifestations si généreuses, si émouvantes des peuples confinés
pouvaient avoir une influence sur le futur de la culture ce serait un
beau rêve !
Pour
terminer, je voudrais adresser une parole de compassion aux nombreux
malades et à leurs proches, et leur dire que du fin fond de nos
maisons ou appartements, enfermés que nous sommes, nous ne cessons
de penser à eux et de leur souhaiter de se rétablir. Je ne suis pas
croyante, les prières m'ont toujours fait rire, mais voilà que je
me prends à prier pour que tous ces gens guérissent. Cette prière
ne remplacera jamais les soins de l'hôpital, le dévouement héroïque
des soignants et une politique sanitaire digne de ce nom, mais c’est
tout ce que je peux faire, alors je le fais, en espérant que les
ondes transporteront mon message, nos messages, d'amour et d'espoir à
ceux qui en ont besoin.
Coline
Serreau
«
…notre véritable vocation n’est pas de produire et de consommer
jusqu’à la fin de nos vies mais d’aimer, d’admirer et de
prendre soin de la vie sous toutes ses formes »
Pierre
Rabhi
Texte intégral du texte de Coline sur Médiapart :
https://blogs.mediapart.fr/mariethe-ferrisi/blog/010420/le-monde-qui-marchait-sur-la-tete-coline-serreau
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