dimanche 26 avril 2020

26 avril 2020 : confinement 2


Pierre était le parfait produit d’une société capitaliste basée sur la circulation des biens, acquérant toujours le dernier cri de la technologie, renouvelant souvent sa garde-robe, se lassant vite du même environnement. 
(Olivier Lebleu, Passer la nuit, H&O, 2003)




dessin de Karak
Tombons les masques, et faisons la liste des avantages que le gouvernement français a retiré et retire toujours du confinement : 
Fin des protestations contre le régime des retraites, fin de toutes manifestations (gilets jaunes, 1er mai, etc.) et de toutes réunions (y compris associatives) ; suspension de la liberté de se déplacer ; crise économique qui couve, avec les banques exsangues à force de spéculations, sous perfusion de la planche à billets, et dont les faillites possibles risquent de faire tomber toute notre économie (déjà après deux mois de cessations d’activités, de nombreux secteurs vont être en grosse difficulté et ce ne sont pas les banques qui vont les aider) ; mise en place du permis de se déplacer sur smartphone, uniquement sur le site du gouvernement, qui ne manquera pas de conserver nos données IP (Dieu merci, ça me donne une raison de plus de n’avoir point de smartphone) ; mise en place d’une application de pistage, qui rentrera officiellement dans votre répertoire et saura à qui vous parlez et combien de temps : on pourra ainsi être suivi, fliqué, fiché, ce qui se passe déjà en Italie et en Chine (nouvelle raison de ne pas...). Et comme le pouvoir exécutif n’a plus de contre-pouvoir pour lui tenir tête, pourquoi se gênerait-il ? Les masques tomberont-ils ?
 
Juste après la seconde guerre mondiale, l'écrivain Georges Bernanos signe un violent réquisitoire contre la "civilisation des machines" : l’homme est aliéné par la technique, réduit à un animal économique, dépourvu de toute vie intérieure (Jacques Ellul reprendra cette idée dans les années 50 et suivantes). Une nouvelle espèce d’ "imbéciles" est née capable de détruire la planète avec elle, écrivait Bernanos dans cet essai : La France contre les robots (1947).


Georges Bernanos (1888-1948) fut non seulement un grand romancier, mais aussi un intellectuel engagé dans les combats de son temps, un pamphlétaire acéré qui passa de la droite maurassienne à une attitude libertaire. La France contre les robots, publié en 1947, n’est pas son premier pamphlet. En 1931, il publia La grande peur des bien-pensants, un livre féroce où il s’en prend à son époque, à la IIIe République, à la politique politicienne, à la bourgeoisie bien-pensante. Bien que ce livre montre un certain antisémitisme (lié à la haine de l’auteur contre la finance), il révéla aussi un style d’écriture unique. Un peu plus tard, résidant aux Baléares, Bernanos rédigea un deuxième pamphlet, Les grands cimetières sous la lune (1938). Cette fois-ci il mit l’accent sur le franquisme et annonça la guerre qui allait bientôt ensanglanter le monde : "la colère des imbéciles remplit le monde".

 
Parti ensuite en Amérique Latine, il y prit parti pour la France libre du Général de Gaulle et fustigea Pétain et sa "révolution des ratés". Enfin il rédige La France contre les robots et tire ses propres conclusions de la seconde guerre mondiale. Puis il fait une tournée de conférences en Europe, cherchant à mettre en garde contre les périls liés au capitalisme industriel et à la prétendue "religion" du progrès, qu’aussi bien le capitalisme, le communisme et le libéralisme brandissent et où il voit "une conspiration contre toute espèce de vie intérieure". Il y célèbre la Révolution française, où il voit la foi, l’espérance, l’enthousiasme. Il annonce "les massacres à venir dus au triomphe du règne de la machine, […] l’homme, volontairement, [… s’étant] placé sous la dictature implacable d’une technique tournant à vide".
Il voit dans la modernité un monde dominé par l’efficacité, la performance, la rentabilité, la perte de la liberté et de la vie intérieure : "Une vie tout entière orientée par la notion de rendement, d’efficience et finalement de profit (…) Les âmes ! On rougit presque d’écrire aujourd’hui ce mot sacré". L’homme se réduit à une fonction de production, à la tyrannie du nombre : "La Civilisation des machines est la civilisation de la quantité opposée à celle de la qualité. Les imbéciles y dominent donc par le nombre, ils y sont le nombre".
L’homme est aliéné, dessaisi de son libre arbitre par la technique, car on ne doit jamais la remettre en question : "vous lirez dans les journaux [et je pense aux chaînes de télé en continu, BFP, Cnews, etc.] les mêmes slogans mis définitivement au point pour les gens de votre sorte, car la dernière catastrophe a comme cristallisé l’imbécile [et il n’a pas connu les experts péroreurs de nos jours]". Bernanos ajoute : "nous sommes désormais en possession d’une certaine espèce d’imbécile capable de résister à toutes les catastrophes jusqu’à ce que cette malheureuse planète soit volatilisée, elle aussi, par quelque feu mystérieux dont le futur inventeur est probablement un enfant au maillot [il ne connaissait pas Trump]".
Relisons Bernanos et La France contre les robots (Le castor astral, 2015), il y fustige le militarisme ("La paix venue vous recommencerez à vous féliciter du progrès mécanique"), le culte de la vitesse ("Paris-Marseille en un quart d’heure, c’est formidable ! Car vos fils et vos filles peuvent crever : le grand problème à résoudre sera toujours de transporter vos viandes à la vitesse de l’éclair") et la servitude volontaire si chère à La Boétie, l’ami de Montaigne. Et il ajoute : "On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure. Hélas ! la liberté n’est pourtant qu’en vous, imbéciles !"


Ah ! ça fait du bien de s’éloigner un instant de nos écrans serviles ! Et de bouquiner... Et merci à Juan Asensio, excellent lecteur de Bernanos, qui m'a inspiré.

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