Pierre
était le parfait produit d’une société capitaliste basée sur la
circulation des biens, acquérant toujours le dernier cri de la
technologie, renouvelant souvent sa garde-robe, se lassant vite du
même environnement.
(Olivier
Lebleu, Passer
la nuit,
H&O, 2003)
dessin de Karak
Tombons
les masques, et faisons la liste des
avantages que le gouvernement français a retiré et retire toujours
du confinement :
Fin
des protestations
contre le régime des retraites, fin
de toutes manifestations (gilets jaunes, 1er
mai, etc.) et de toutes réunions (y compris associatives) ;
suspension
de la
liberté
de se déplacer ;
crise économique
qui
couve, avec les
banques exsangues à force de spéculations, sous perfusion de la
planche à billets, et
dont les
faillites possibles risquent
de
faire tomber
toute notre économie (déjà
après deux mois de cessations d’activités, de nombreux secteurs
vont être en grosse difficulté et ce ne sont pas les banques qui
vont les aider)
; mise
en place du permis
de se déplacer
sur smartphone, uniquement sur le site du gouvernement, qui ne
manquera pas de conserver nos
données IP (Dieu
merci, ça me donne une raison de plus de n’avoir point de
smartphone)
; mise
en place d’une application de pistage,
qui rentrera officiellement dans votre répertoire et saura à qui
vous parlez et combien de temps :
on
pourra
ainsi
être
suivi,
fliqué,
fiché,
ce qui se passe déjà
en
Italie et en Chine (nouvelle
raison de ne pas...).
Et
comme le pouvoir exécutif
n’a plus de contre-pouvoir pour lui tenir tête, pourquoi
se gênerait-il ? Les masques tomberont-ils ?
Juste
après la
seconde guerre mondiale, l'écrivain Georges Bernanos signe un
violent réquisitoire contre la "civilisation
des machines"
:
l’homme est aliéné par la technique, réduit à un animal
économique, dépourvu de toute vie intérieure (Jacques
Ellul reprendra cette idée dans les années 50 et
suivantes).
Une nouvelle espèce d’ "imbéciles"
est
née capable de détruire la planète avec elle, écrivait
Bernanos dans cet
essai : La
France contre les robots
(1947).
Georges
Bernanos (1888-1948) fut
non seulement un grand romancier, mais aussi
un
intellectuel
engagé dans les combats de son temps, un
pamphlétaire acéré qui
passa
de la droite maurassienne à une
attitude
libertaire. La
France contre les robots,
publié en 1947, n’est pas son
premier
pamphlet.
En 1931, il
publia
La
grande peur des bien-pensants,
un livre féroce où il s’en prend à son époque, à la IIIe
République, à
la
politique politicienne, à
la
bourgeoisie bien-pensante. Bien
que ce
livre montre
un
certain antisémitisme
(lié
à la haine de l’auteur contre
la finance),
il
révéla
aussi un style d’écriture unique. Un
peu
plus tard, résidant
aux Baléares,
Bernanos rédigea
un
deuxième pamphlet, Les
grands cimetières sous la lune (1938).
Cette fois-ci il
mit
l’accent sur
le franquisme et
annonça
la
guerre
qui
allait bientôt ensanglanter
le
monde :
"la
colère des imbéciles remplit le monde".
Parti
ensuite en Amérique
Latine, il y
prit
parti pour
la France libre du Général de Gaulle et
fustigea
Pétain et sa "révolution
des ratés".
Enfin
il rédige
La
France contre les robots
et tire ses propres conclusions de
la seconde guerre
mondiale.
Puis
il fait
une tournée de
conférences
en Europe,
cherchant
à mettre en garde contre les
périls liés au capitalisme industriel et à la prétendue
"religion"
du progrès, qu’aussi
bien le capitalisme, le communisme et le libéralisme brandissent et
où
il voit "une
conspiration contre toute espèce de vie intérieure".
Il
y
célèbre la Révolution française, où
il voit la foi, l’espérance, l’enthousiasme. Il annonce
"les
massacres à venir dus au triomphe du règne de la machine, […]
l’homme, volontairement, [… s’étant] placé sous la dictature
implacable d’une technique tournant à vide".
Il
voit dans la modernité un monde dominé par l’efficacité, la
performance, la rentabilité, la
perte de
la liberté et de la vie intérieure :
"Une
vie tout entière orientée par la notion de rendement, d’efficience
et finalement de profit (…) Les âmes ! On rougit presque
d’écrire aujourd’hui ce mot sacré".
L’homme
se
réduit
à une fonction de production, à
la
tyrannie du nombre : "La
Civilisation des machines est la civilisation de la quantité opposée
à celle de la qualité. Les imbéciles y dominent donc par le
nombre, ils y sont le nombre".
L’homme
est aliéné, dessaisi de son libre arbitre par la technique, car
on ne doit jamais la
remettre en question :
"vous
lirez dans les journaux [et
je pense aux chaînes de télé en continu, BFP, Cnews, etc.]
les mêmes slogans mis définitivement au point pour les gens de
votre sorte, car la dernière catastrophe a comme cristallisé
l’imbécile [et
il n’a pas connu les experts péroreurs
de nos jours]". Bernanos
ajoute :
"nous
sommes désormais en possession d’une certaine espèce d’imbécile
capable de résister à toutes les catastrophes jusqu’à ce que
cette malheureuse planète soit volatilisée, elle aussi, par quelque
feu mystérieux dont le futur inventeur est probablement un enfant au
maillot [il
ne connaissait pas Trump]".
Relisons
Bernanos et La
France contre les robots
(Le
castor astral, 2015), il y fustige le militarisme
("La
paix venue vous recommencerez à vous féliciter du progrès
mécanique"),
le culte de la vitesse ("Paris-Marseille
en un quart d’heure, c’est formidable ! Car vos fils et vos
filles peuvent crever : le grand problème à résoudre sera
toujours de transporter vos viandes à la vitesse de l’éclair")
et la servitude volontaire si chère à La Boétie, l’ami de
Montaigne. Et il ajoute :
"On
ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on
n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle
contre toute espèce de vie intérieure. Hélas ! la liberté n’est
pourtant qu’en vous, imbéciles !"
Ah !
ça fait du bien de s’éloigner un instant de nos écrans
serviles ! Et
de bouquiner... Et merci à Juan Asensio, excellent lecteur de Bernanos, qui m'a inspiré.
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