« Si
je ne m’occupe pas de moi, qui s’en chargera ? poursuivit le
jeune mendiant. Et
si je ne m’occupe pas de moi, qui suis-je ? »
(Hubert
Haddad, Palestine,
Zulma, 2007)
Karak : dessin publié sur son blog
http://karak.over-blog.com/
Quand
on subit un grand malheur, et qu’on est proche du côté de la Mort
(parfois même on y est déjà), il faut un électrochoc
pour nous ramener du côté de la vie, il faut accepter la générosité
du prochain, l’amitié, le partage, la solidarité des autres, il
faut se baigner dans cette "eau
vive que l’on entend avec la régularité assourdie d’un
battement de cœur",
nous dit Rezvani dans le final de son
Ultime amour. J’ai moi-même frôlé de très près la mort lors de ma perforation
d’estomac en novembre 1968, à la suite de quoi j’ai subi le
confinement de neuf semaines d’hôpital jusqu’au début février
1969, sublimement entouré par le personnel soignant et divers
membres de ma famille qui venaient me voir à tour de rôle (dans mon
souvenir, ma mère venait chaque jour).
À
mon retour, affaibli, mais guéri, j’ai encore passé environ deux
mois de convalescence chez les miens, entourant à mon tour de mon
affection mes petites sœurs, ma mère et ma grand-mère maternelle diminuée
par une attaque cérébrale (comme on disait à l’époque, avc
aujourd’hui) qui l’avait saisie d’effroi un mois environ après
mon admission à l’hosto (et ma mère s’était alors coupée en
deux, un jour pour moi, un jour pour elle). D’une certaine manière,
ce fut un électrochoc salutaire pour moi ; je suis sorti de mon
introversion adolescente pour m’occuper des autres, tant il est vrai que comme
nous disait ma grand-mère dans notre enfance, « quand on s’occupe des autres, on
s’occupe de soi ». Idée qui a guidé ma vie par la suite,
qui est même devenu ma ligne directrice, mon chemin, ma vérité, ma vie. Ça
m’a transformé. J’avais eu mon « électrochoc ».
Dans
les années 70, j’ai développé mes liens amicaux, mes relations
sociales, ma découverte du monde et, en fin de compte, j’étais prêt à la rencontre en
1978 de Claire qui fut pour moi un deuxième électrochoc :
jusque-là, mes amours avaient été des échecs plus ou moins
cinglants. Et mon effort de résilience de 1969 m’a été très
utile pour soutenir les difficultés que j’ai
rencontrées par la suite, notamment pour soutenir Claire jusqu’au
bout dans sa lente descente aux enfers de l’horrible tumeur au
cerveau, avec l’aide il est vrai, de quelques amis et de quelques
membres de ma tribu. Mais quand elle a disparu, j’étais désemparé,
et aidé de mon réseau d’amis, j’ai éprouvé de nouveau un
« électrochoc » qui m’a permis de me lancer dans une
vie nouvelle, d’écriture poétique, de festivalier de cinéma, de
voyageur (en cargo, en autocar, à vélo...), d’hôte hospitalier
et surtout d’amitiés et de rencontres parfois étonnantes et
toujours passionnantes...
Je
mesure les chances que j’ai eues dans ma vie : une famille
aimante, un travail qui m’a plu toujours (et, dès que je
commençais à en avoir fait le tour, je me faisais muter ou je
changeais d’emploi dans la même ville), des enfants qui m’aiment
(à cet égard, je suis comme le berger de Victor Hugo dans
Le roi de Perse
qui dit au roi : "Et
j’ai mon fils que j’aime, et c’est pourquoi je chante",
ce à quoi le roi, dont le jardin du palais "est plein d’hommes
armés, de peur de sa famille", rétorque : "Il
t’aime, dit le roi, pourtant il est ton fils"), une retraite
confortable et une habitude aguerrie du confinement par mes longues
années de célibat (j’ai
quitté mes parents à 18 ans et ne me suis marié qu’à 33 ans) et
de veuvage...
toujours Karak
Et
surtout, surtout, je suis né après la guerre, et je n’ai connu nos guerres
suivantes, les coloniales, que par ricochet. Quand je vois la
situation désastreuse du Proche-Orient
(Turquie/Syrie/Israël/Palestine/Yémen) ou dans d’autres lieux du
monde, la situation actuelle dans les EHPAD, les résidences
universitaires, les appartements surpeuplés d’HLM, les cellules de
prison, les nombreux SDF, je suis amené à conclure que mon confinement est un
isolement de privilégié. Je ne risque pas, quand je sors, de subir
un tabassage en règle comme dans certaines zones (où il est vrai
que c’est dans les habitudes policières) si je n’ai pas mon
attestation de sortie ou si celle-ci n’est pas correctement
remplie : on me demandera poliment (j’espère) de payer la
fameuse amende. Jusqu’à présent, je n’ai d’ailleurs pas été
contrôlé. Il est vrai que je n’ai pas dépassé le rayon de 1 km
autour de chez moi. Pourtant le vélo me manque terriblement. Mais il
faut, avant tout, savoir ne pas contaminer les autres.
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