Comme
au désert, c’est en ralentissant le rythme que l’on a la
sensation d’avoir plus de temps. Comme au désert, c’est l’espace
et la solitude qui sont les vraies richesses.
(Vivi
Navarro, Géants
des mers,
Magellan & Cie, 2014)
Ce
temps de confinement qui ne me change pas énormément, puisque je
sortais du cargo – moyen de transport que je ne conseille pas à
tous ceux qui détestent le confinement, et il y en a beaucoup, si
j’en juge par l’agressivité de certaines personnes que je
rencontre – est peut-être celui qui nous permet de mieux mesurer
ce que peut être la solitude aussi bien que la solidarité. Car il y
a des gens confinés un peu partout, en prison, à l’hôpital
(certains préfèrent la politique de l’autruche et ne pas
consulter, pour éviter l’hôpital), dans des camps en France (lire
Bienvenue
à Calais
de Marie-Françoise Colombani, Actes sud, 2016, relire mon blog du 23
novembre 2016) et à l’étranger (Grèce, Turquie, Syrie, Soudan,
Gaza, etc.), en résidence universitaire (surtout des étrangers,
mais aussi des étudiants éloignés de chez eux), les SDF parqués
désormais dans des hôtels réquisitionnés, et chez soi,
actuellement, pour une durée indéterminée. Et sans solidarité
(qui
fait partie des vraies
richesses),
ils sont mal barrés !
L’isolement
volontaire (les moines dans leurs couvents, l’écrivain dans son
bureau ou l’artiste dans son atelier, le
navigateur solitaire...)
n’a rien à voir avec le confinement imposé. Et ce dernier n’est
pas le même quand on est confiné dans 9 m² (étudiant), dans 60 m²
pour une famille de six personnes ou
plus,
ou dans 100 m² (comme
moi)
pour un célibataire ou un couple. Il n’est pas le même non plus
quand on dispose chez soi d’une bibliothèque abondante, d’une
discothèque variée, d’une collection de dvd à voir ou à revoir,
de jeux de société pertinents, ou quand on ne dispose que de la
télévision, de jeux vidéo répétitifs ou du fameux smartphone qui
est déjà – en
soi -
un signe de confinement. Je l’ai bien vu lors de mon séjour en
Guadeloupe où tout le monde (du moins les jeunes, mais pas que) en a
un, ne le quitte pas des mains ou de l’œil, y
ajoute les écouteurs dans les oreilles,
et se confine soi-même dans une sorte de retrait du monde
ahurissant, un
autisme sociétal.
J’en
arrive à penser que tout cela est voulu, cette espèce de
déculturation généralisée qui a commencé avec l’usage intensif
de la télévision dans les années 60, divertissement à domicile
qui se fait sans choix réel. Les programmes sont devenus si nombreux
(et nos yeux ne sont que deux) que trop de choix nuit à un vrai
choix, et la plupart se concentrent sur les émissions sursaturées
de publicité et qui poussent à refuser tout ce qui donnerait un
tant soit peu à réfléchir. Ainsi les enfants et les adolescents
des classes déjà défavorisées sont prisonniers d’un médium
abrutissant, privés d’emprunter le fameux ascenseur social. S’ils
ne rencontrent pas un copain ou une copine qui les initient à
d’autres univers, ils seront perdus. Ainsi, les jeunes de mon
quartier : ils ne veulent pas faire le métier de leurs parents
(ouvriers, déménageurs, éboueurs, femmes de ménage, saisonniers
agricoles, etc.),
ce que je peux
comprendre,
ils ont raté leurs études (souvent dès le primaire et surtout les
garçons) et préfèrent glander et vivre de petits trafics, seule
liberté qu’on leur laisse. Quand on va autoriser
le cannabis en
vente légale,
ce sera l’explosion ! Et ils supportent très mal le
confinement actuel, car ils aiment se regrouper et faire corps. Si au
moins ce confinement ramenait les gens à se parler à domicile, à
parler et à jouer avec leurs enfants, à
leur apprendre à cuisiner, à faire leurs lits et ranger leurs chambres, etc.,
mais…
Quand
j’ai vu que la consommation de jeux vidéo s’était multipliée
depuis le début du confinement (alors que dans mon
incurable
naïveté, je pensais que c’est
la lecture de livres qui
allait exploser) sans tout de même en être le moins du monde
surpris, je me suis dit : voilà où on en arrive après des
décennies de bourrage de crâne publicitaire, d’incitation au
divertissement le plus pauvre possible destiné à empêcher les
classes les plus défavorisées de s’élever. Est-il utile de
regarder la télévision pendant tous
les
repas (très fréquent dans les classes populaires) ? Est-il
courtois de passer
son temps à regarder
son smartphone quand on est en compagnie ? Est-ce si urgent de
le regarder sans cesse et de ne plus regarder autour de soi ?
Bonjour l’absence
de communication :
au restaurant, à Bordeaux, à Venise, en Guadeloupe et ailleurs,
dans des
tablées
pleines,
il
m’est arrivé de voir
quatre personnes les yeux rivés sur leur engin sur lequel chacune
pianotait ! J’étais sidéré...
Je
fais partie des derniers réfractaires au
smartphone,
cet outil démentiellement
addictif,
et je recommande vivement à cet égard la lecture roborative de Le
téléphone portable, gadget de destruction massive
(L’Échappée, 2008 : déjà on pouvait analyser les effets de
l‘engin qui n’était pourtant pas encore le
smartphone)
dont voici la notice descriptive de l’éditeur : "En
dix ans le téléphone portable a colonisé nos vies, avec l’active
participation du public, et pour le bénéfice de l’industrie. Il
n’est pas exclu que sa possession devienne obligatoire pour
survivre à Technopolis. Ce
déferlement signe la victoire du marketing technologique contre les
évidences. Non seulement les ravages – écologiques, sanitaires,
sociaux, psychologiques – du portable sont niés, mais peu
s’imaginent exister sans ce gadget. À l’échelle
planétaire (déchets électroniques, massacres de populations et
d’espèces menacées), nationale (surveillance, technification des
rapports sociaux, bombardement publicitaire), locale (pollutions,
pillage des ressources et des fonds publics) et individuelle
(addiction, santé, autisme social) : découvrons le fléau
absolu qu’est le portable".
Et,
je
le répète,
il ne s’agissait pas encore du smartphone !
Et,
avec tout ça, on ne parle que
de
« numérisation », « digitalisation »,
« dématérialisation », « automatisation »,
« robotisation »,
tous mots aussi froids que ces machines et leurs serviteurs, au lieu de
parler « relation », « contact », « amitié »,
« rapports humains », « vivre ensemble »,
mots et expressions chauds et vivants, qui nous rappellent notre
humanité vivante. Ça fait longtemps que je me dis que je ne suis plus fait
pour ce monde "presse-boutons"
(expression
assez juste de
mon amie Monique R. dès la fin des années 80, alors
qu’on
n’avait encore presque rien vu) et je finis par dire comme mon ami
Philippe B., 83 ans et assez mal en point : « Il est temps
que je parte, et le coronavirus sera le bienvenu ! »
Certes,
étant plus jeune que lui et
en plutôt bon état,
j’aimerais bien pousser
jusqu’à 80, mais franchement, à moins d’aller dans des trous
perdus (comme la Désirade et c’est pourquoi j’y ai tant aimé
mon séjour de trois semaines, en dépit d’incidents techniques
comme les fréquentes coupures d’eau), on est partout
contaminé
par la technocratie : jusqu’à la fameuse attestation
de déplacement dérogatoire qui
a déjà changé depuis une semaine, qu’il faut imprimer (et donc
avoir un ordinateur, une imprimante, bonjour le gâchis de papier et
le coût d’encre), et théoriquement en faire une par jour et par
action (faire les courses, déplacement d’activité physique,
etc.). J’avoue que j’utilise toujours la même depuis le début
pour
chaque action,
j’y mets
la date au
crayon
(et maintenant
l’heure pour celle destinée au déplacement physique) et je gomme
et change ça chaque jour. On verra ce qu’on me dira en cas de
contrôle, je sens que je vais péter un câble si
on me fait des réflexions sur l’usage du crayon. Et je ne suis pas le seul, j’ai vu dans Sud-ouest
qu’un gars a été mené en garde à vue pour « menaces,
outrage et rébellion », pour avoir répliqué
sans doute un peu trop fort.
Toujours
à Bordeaux, une vieille dame aurait été verbalisée pour avoir
descendu sa poubelle sans attestation dérogatoire
de
sortie ! Mieux
vaut garder ses ordures chez soi...
* * *
PS :
Et pendant ce temps-là, tandis que Cuba a envoyé un bon nombre de
médecins en renfort en
Italie,
j’apprends par la presse que "Les
USA [...]
appellent les autres pays à refuser l’assistance médicale de Cuba
! Le tigre de papier tremble devant la vague de sympathie que suscite
la solidarité médicale cubaine".
Et
aussi
que des
"paramilitaires
armés jusqu’aux dents" s’entraînent
en Colombie
"pour attaquer le Venezuela", alléchés
par
la
prime de
"15 millions de dollars pour la tête du président Maduro"
promise
par Donald Trump. Que ne ferait-on pas pour déconsidérer des
régimes qui n’obéissent pas au doigt et à l’œil aux USA :
non
contents de les affamer quasiment et de les étrangler financièrement
et économiquement par un blocus infâme (qu’ils
pratiquent aussi contre
l’Iran) sur
lequel l’Europe s’est alignée,
l’impérialisme américain ferait mieux de s’occuper de ses
oignons et d’empêcher le gouvernement brésilien d’anéantir la
forêt amazonienne, poumon vert de la planète, et par
voie de conséquence ses
indigènes.
Mais voilà, le Brésil s’est mis au garde-à-vous, lui !
Et
ça
nous
rappelle la formule consacrée : « Un bon Indien est une
Indien mort », déformation
par
le
cinéma de la phrase exacte du général Sheridan : "The
only good Indians I ever saw were dead"
[Les
seuls bons Indiens que j’ai vus étaient morts] !
C’était
mon jour d’humeur noire !
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