La
ville [Paris] était maintenant définitivement muselée, devenue
vieille cocotte, aux mains des politiques et militaires, ces loyaux
garants de toute souveraineté, toujours aptes à se couvrir de
gloire en matant l’insupportable civelo comme, à plus d’un
siècle, cette même armée d’Ordre moral s’était vengée d’une
capitulation en flinguant
par tombereaux les Communards.
(Jean
Meckert, Comme
un écho errant,
Joseph K., 2012)
Avant de continuer mon compte rendu vénitien dans les prochains jours, permettez-moi, avec un jour de retard, de vous livrer le dernier discours de Salvador Allende le 11 septembre 1973, lors du coup d'état qui avait assombri mes dernières semaines à Angers. On peut l'écouter ici :
https://www.youtube.com/watch?v=jZNQPn5X-y0
Et revoyons le films de Patricio Guzman
Mes
amis,
C’est
certainement la dernière fois que j’aurai à m’adresser à vous.
La force aérienne a bombardé les tours de Radio Portales et de
Radio Corporación. Mes paroles ne sont pas marquées d’amertume
mais de déception, et seront le châtiment moral de ceux qui ont
trahi leur serment : les soldats du Chili, les commandants en
chef titulaires et l’amiral Merino, qui s’est promu lui-même,
sans oublier Monsieur Mendoza, général perfide qui, hier encore,
manifestait sa fidélité et sa loyauté au gouvernement, et
aujourd’hui vient de s’autoproclamer directeur général des
carabiniers.
Devant
ces faits, il n’y a qu’une seule chose que je puisse dire aux
travailleurs : je ne démissionnerai pas !
Placé
à un tournant historique, je paierai de ma vie la loyauté du
peuple. Et je suis certain que la semence déposée dans la
conscience digne de milliers et de milliers de Chiliens ne pourra
être arrachée pour toujours.
Ils
ont la force, ils pourront asservir, mais les processus sociaux ne
s’arrêtent avec le crime ni avec la force.
L’histoire
nous appartient et ce sont les peuples qui la font.
Travailleurs
de ma patrie,
Je
tiens à vous remercier de votre loyauté de toujours, de la
confiance que vous avez déposée en un homme qui ne fut que
l’interprète des grands désirs de justice, qui donna sa parole de
respecter la Constitution et la loi, et qui l’a tenue.
Dans
cet instant ultime, le dernier où je puisse m’adresser à vous, je
vous demande que vous mettiez à profit cette leçon : le
capital étranger et l’impérialisme, unis à la réaction, ont
créé le climat pour que les forces armées rompent leur tradition,
celle que leur enseigna le général Schneider et que réaffirma le
commandant Araya, qui tombèrent victimes de la même couche sociale
qui, aujourd’hui, attend bien au chaud qu’une main étrangère
lui rende le pouvoir pour continuer à défendre ses profits et ses
privilèges.
Je
m’adresse tout d’abord à la modeste femme de notre terre, à la
paysanne qui a cru en nous, à l’ouvrière qui a travaillé plus, à
la mère qui a compris notre préoccupation pour les enfants.
Je
m’adresse aux travailleurs des professions libérales qui ont eu
une conduite patriotique, à ceux qui ont agi contre la sédition
encouragée par les organisations corporatives, ordres de classe qui
ne cherchent qu’à défendre les avantages que la société
capitaliste n’accorde qu’à une poignée.
Je
m’adresse à la jeunesse, à ceux qui chantèrent et communiquèrent
leur joie et leur esprit de lutte.
Je
m’adresse à l’homme du Chili, à l’ouvrier, au paysan, à
l’intellectuel, à tous ceux qui seront persécutés... car dans
notre pays le fascisme s’est déjà fait connaître depuis
longtemps dans les attentats terroristes, faisant sauter les ponts,
coupant les voies ferrées, détruisant les oléoducs et les
gazoducs, bénéficiant du silence de ceux qui avaient l’obligation
d’assurer la défense... L’histoire les jugera !
Radio
Magallanes sera sûrement réduite au silence, et le son tranquille
de ma voix n’arrivera plus jusqu’à vous.
Peu
importe, vous continuerez à l’entendre, je resterai toujours à
vos côtés ; mon souvenir sera au moins celui d’un homme
digne qui fut fidèle à la loyauté des travailleurs.
Le
peuple doit se défendre, mais pas se sacrifier. Le peuple ne doit
pas se laisser cribler ni écraser, mais il ne doit pas non plus se
laisser humilier.
Travailleurs
de ma patrie,
Je
crois au Chili et en son destin. D’autres hommes sauront dépasser
ce moment gris et amer où la trahison prétend s’imposer. Allez de
l’avant et sachez que dans un avenir plus proche que lointain
s’ouvriront à nouveau les larges avenues par où s’avancera
l’homme libre pour construire une société meilleure.
Vive
le Chili ! Vive le peuple ! Vivent les travailleurs !
Celles-ci
sont mes dernières paroles.
J’ai
la certitude que mon sacrifice ne sera pas inutile ; j’ai la
certitude qu’il sera tout au moins une leçon morale pour châtier
la félonie, la couardise et la trahison.
Salvador
Allende
Ce
11 septembre-là, ce fut un coup de tonnerre dans notre ciel à peu
près serein de l’auberge de jeunesse associative autogérée de
Trélazé où j’ai passé mes derniers mois à Angers. John,
l’Américain, nous a immédiatement signalé l’implication des
USA et de la CIA. Nous étions atterrés. En l’absence d’un livre
définitif sur le sujet (peut-être paraîtra-t-il pour le 50ème
anniversaire, en 2023), on peut lire :
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