samedi 21 septembre 2019

21 septembre 2019 : polar, cinéma et théâtre


Le bonheur qui arrive : c’est le vent salé qui te frappe au visage, un frémissement qui te parcourt la peau et qui te donne envie d’embrasser tout le monde.
(Eduardo Galeano, La chanson que nous chantons, trad. Régine Mellac et Annie Morvan, Albin Michel, 1977)


Pour parler comme les pédants, Luc Chomarat (invité du Festival Polar en cabanes, et présent à ma bibliothèque de quartier ce samedi 21 septembre) réalise dans Le dernier thriller norvégien une mise en abyme (et aussi un pastiche) du polar nordique. Il nous présente un éditeur parisien, Delafeuille, envoyé par son patron à Copenhague pour négocier les droits de traduction du nouveau roman, et best-seller en puissance, d’un auteur incontournable. Sauf que deux autres maisons d’édition sont prêtes à décrocher le jackpot et ont envoyé aussi leurs émissaires. Les trois Parisiens se retrouvent dans le même hôtel. Or, un tueur en série, surnommé l’Esquimau, sévit en ce moment même dans la capitale danoise. Et voilà que Delafeuille, à qui on vient d’apporter le livre à traduire, commence à le lire, et s’aperçoit que dans Le Dernier Thriller norvégien, titre du roman qu’il est en train de lire, L’Esquimau est désigné comme un tueur en série, que lui-même, Delafeuille, est un des protagonistes de ce même roman, et que Sherlock Holmes, le héros de Conan Doyle, est sur les lieux pour enquêter. La réalité se brouille avec la fiction. Je n’en dirai pas plus, sinon que le résultat reste un polar réussi, à la fois pastiche et hommage au genre. On est parfois saisi de vertige, on se demande si l’auteur va retomber sur ses pieds. On rigole pas mal aussi, pour peu qu’on soit familier et du polar nordique et de Sherlock Holmes. Car l’auteur ne manque pas d’humour, et il en faut pour dénouer l’intrigue un tant soit peu macabre. S’y ajoute une saine critique du milieu éditorial, prêt à s’étriper pour n’importe quelle nullité, pourvu qu’elle se pare des plumes d’auteur de polar "scandinave" et présumée futur best-seller international. Ce qui montre bien que le chiffre de vente semble le seul critère des actionnaires de certaines maisons d’édition ; une des éditrices dit à Delafeuille : "Je ne peux pas prendre le risque d’avoir l’air cultivée. Cela signifierait que je consacre une partie non-négligeable de mon temps à des choses dont la rentabilité peut être sujette à caution. Je vois. Vous le savez comme moi, Delafeuille, notre milieu est dur, cruel. Il l’est d’autant plus qu’un lecteur, aujourd’hui, est devenu très difficile à attraper. C’est une espèce en voie de disparition." Le troisième candidat aux droits de traduction avoue ingénument qu’il ne lira même pas le livre, qu’il n’en lit plus, que ce sont des "produits" à vendre, point-barre. Cette satire du milieu éditorial fait froid dans le dos.













 
Luc Chomarat, présent en chair et en os, nous a parlé de ses livres, et en particulier aussi de son « roman » Les dix meilleurs films de tous les temps (trouvé en vente sur place, et que je me suis empressé d’acheter). On y voit le narrateur tenter vainement de dresser cette fameuse liste. Il s’embourbe d’abord dans une rapide évocation du Japonais Yasujirō Ozu, dont chacun des films pourrait figurer dans la liste, puis de son compatriote Naruse, avant de sauter sur des auteurs de second rang qui paraissent aussi incongrus dans une telle liste que l’Italien Mario Bava (il possédait un livre sur ce cinéaste dans sa bibliothèque personnelle, mais n’avait jamais rien vu de lui), ce qui le mène au maître de l’horreur sanguinolente transalpine Dario Argento et à Lucio Fulci, autre épigone du genre. Et de s’embarquer sur le western (et là, John Ford tient la corde, car il peut soutenir la comparaison avec Ozu, selon le narrateur), avant de terminer sur le Russe Tarkovski, devant les films de qui il a souvent envie de s’enfuir avant la fin.


Beaucoup d’humour là encore dans cette description de la cinéphile obsessionnelle, que le narrateur égratigne pourtant à l’occasion. Il met sa compagne à contribution pour qu'elle lui suggère quelque titre (ainsi Shaolin soccer, qui lui rappelle son goût pour les films "de baston") ou pour voir ensemble les Tarkovski, ce dont elle se serait peut-être passée. Et ça se termine ainsi : "Il tombe vraiment des cordes. Où vais-je bien pouvoir me réfugier ? Je vais me faire un ciné." Réflexion typique du cinéphile, à laquelle je souscris…


Et ce soir au théâtre La Lucarne de Saint-Michel, je viens de voir Solitarité, une pièce (publiée chez Actes sud) de la dramaturge roumaine Gianina Cărbunariu, une sorte de théâtre d’intervention, pour dénoncer la classe moyenne roumaineose de façon implacable : rejet des roms, absence de solidarité, individualisme généralisé et corruption. Cinq tableaux composent la pièce. Dans le dernier tableau, le maire de la ville, soucieux d’ordre, de sûreté publique et de salubrité, décide d’ériger une ligne de démarcation – en fait, un mur – entre le quartier rom et le quartier bourgeois. La scène est féroce, sous couvert de démocratie, le maire associe un rom enrichi au projet, ce dernier, entrepreneur comptant bien avoir le chantier en main ! Dans un autre tableau, une famille se réunit pour rassembler la somme nécessaire à l'opération d'un enfant. Mais ceux qui pourraient ne donnent rien, et c’est finalement une vente aux enchères du mobilier de la famille des parents qui permet à ces derniers de trouver un arrangement. Le premier tableau montre le cercueil d’une grande actrice, "Eugenia Ionescu", clin d’œil à Eugène Ionesco. L’actrice avait acheté une concession perpétuelle dans le quartier du cimetière national consacré aux personnes VIP, mais son fils veut vendre cette concession pour s’offrir une place de parking ! Le titre de la pièce, Solitarité, est une contraction de "solidarité" et "solitude". Car que reste-t-il quand la société va mal ? La haine des autres ethnies, le repli sur soi, un retour exacerbé à la religion, un nationalisme étroit. Un théâtre politique qui nous renvoie notre image dans un miroir : le discours du maire ressemblait à un discours de nos gouvernants.. Finalement, la Roumanie n’est pas si exotique !


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