Il
n’existe
qu’une seule voie : aimer l’être humain. Le fort et le
faible, le mal assuré et l’impitoyable. Le mortel et l’immortel.
L’autre.
(Svetlana
Alexiévitch, La guerre n’a pas un visage de femme,
trad. Galia Ackerman et Paul Lequesne, J’ai lu, 2015)
Comme
toujours, quand je viens à Venise, je lis de la littérature
italienne. Je possédais depuis cinquante ans un volume contenant Les
fiancés (I promessi sposi) d’Alessandro Manzoni, je l’avais
emporté et je l’ai lu, en train, dans ma chambre d’hôtel, puis
de nouveau dans le train du retour. C’est
le grand roman italien du XIXème siècle, un grand roman d’amour
et historique qui
se déroule dans
le Milanais
dominé
par les Espagnols de
1628 à 1630.
j'ai lu une traduction plus ancienne, assurée par Silvana Magrini et Louis Guilloux
Don
Rodrigo, petit aristocrate de la région,
menace
de mort
Don Abbondio, le
curé
du
village de Lecco, près du lac de Côme,
s’il
célèbre
le mariage de Renzo Tramaglino et Lucia Mondella : le
curé, par peur des représailles, obtempère.
Don
Rodrigo, symbole des injustices sociales de son temps ("Chacune
de ces petites oligarchies avait sa force particulière ; dans
chacune, l’individu trouvait l’avantage d’employer à son
profit, selon son crédit et son adresse, les forces réunies des
autres. Les plus honnêtes ne se prévalaient de ces avantages que
pour se défendre ; les fourbes et les scélérats pour
perpétrer les gredineries auxquels leurs moyens personnels
n’auraient pu suffire, et aussi pour s’assurer l’impunité"),
a, avec
sa bande d’affidés,
ses habitudes de libertin prédateur et désire déflorer Lucia,
voire
la garder pour lui tout seul.
Mais
les
deux jeunes gens, aidés par un capucin, le frère Cristoforo,
fuient ;
Lucia
et sa mère Agnese se
réfugient dans
un couvent
à
Monza ;
Renzo part
à Milan pour plaider sa cause, mais il tombe en plein milieu des
émeutes de la faim, où il participe à son corps défendant et,
menacé d’un mandat d’arrêt, doit s’enfuir du duché de Milan
pour
se réfugier à Bergame, dans l'état voisin (rappelons que l'Italie n'existait pas en tant qu'état, à l'époque).
Don Rodrigo, qui
n’a pas perdu son idée de départ, fait éloigner le
menaçant Cristoforo
de la région, et provoque
l’enlèvement
de
Lucia
par l’Innominato, un autre seigneur dévoyé
qui fait régner la terreur dans la région.
Mais quand
il découvre Lucia, si pitoyable, ce dernier
y voit un signe de Dieu et choisit de na pas livrer sa prisonnière à
Don Rodrigo. Sur ce, le
cardinal Federico
Borromeo
faisant
sa tournée dans la région, l’Innominato le rencontre et au
contact du saint homme, à qui il raconte sa dernière mauvaise
action, il décide de changer de vie et de se consacrer au bien, il
libère la jeune femme qu’il confie au cardinal, qui la place en
sûreté à Milan.
La guerre
puis l’épidémie de peste ravagent et désorganisent le pays.
Renzo, atteint par la peste, en guérit et il se met
en chemin pour Milan,
à
la recherche de
sa fiancée. Il retrouve
Lucia, survivante
elle aussi,
dans le
lazaret où sont mis à l’écart les pestiférés soignés par
le
frère Cristoforo ; ce dernier
convainc Renzo d’abandonner toute idée de vengeance, d’autant
que,
abandonné de tous depuis
la conversion de l’Innominato,
Don Rodrigo est
là, mourant.
Après
deux années d’épreuves, les fiancés pourront enfin être
mariés par
Don
Abbondio, maintenant
que
toute menace a
disparu.
Le
livre fourmille de personnages passionnants : les deux fiancés
d’abord, Renzo, jeune
et habile fileur de soie,
tout feu tout flamme ; Lucia, d’une pureté sans faille,
mais trop encline à subir les préceptes de la religion ;
Agnese, sa mère aimante et réaliste ; Don Abbondio, empreint
de peur, de lâcheté,
de
mesquinerie,
d’un
égoïsme
assez
monstrueux et indigne d’un prêtre (à
l’époque où la religion régit les âmes),
comme le lui fait remarquer le cardinal, et
incapable de prendre position entre le bien et le mal ;
Perpetua,
sa gouvernante, loin d’abonder dans sa couardise ; Don Rodrigo
et l’Innominato, les seigneurs tyranniques : si le second, touché
par la lumière et les paroles de Lucia, se transfigure et change de
vie, l’autre est irrémédiablement perdu ; le frère
Cristoforo et le cardinal Borromeo, deux figures d’une
ardeur évangélique
exaltante
qui contraste fortement avec le terre-à-terre
du
curé du village (et je me demande si Victor Hugo n’avait pas lu
Les fiancés,
dont il a pu s’inspirer, aussi bien pour dresser dans Les
misérables
le magnifique portrait de Mgr Myriel, proche de celui du cardinal, que pour
relater la conversion
au "bien" de Jean Valjean somme toute assez semblable à celle de l’Innominato)
et qui illuminent le roman de leur splendeur spirituelle, notamment
lors de la libération de Lucia et de l’épisode de la peste.
la dernière adaptation au cinéma, date de 1964, par Mario Maffei, n'est jamais sortie en France
Alors,
bien sûr, nous sommes dans un roman de l'époque romantique : impossible
d’échapper aux intentions moralisatrices et
aux digressions d’un
auteur qui, comme Victor Hugo, veut porter un message d’idéal,
alors que les personnages se débattent dans une période pleine de
bruit et de fureur, d’injustices de toutes sortes, de guerres, de
famines, d’épidémies meurtrières. Personnellement, ni
le côté moralisateur ni les digressions
ne m’ont en rien gêné. Car
c’est avant tout le
roman
du peuple,
pris
en otage
dans
un monde macabre et
qui, pourtant, cherche à
survivre
coûte
que
coûte. On trouve en quelque sorte dans ce splendide roman des cousins des
Misérables
du père Hugo ou de nos plus modernes gilets jaunes. Par ailleurs, j'ai appris, entre autres digressions, que le cardinal Borromeo (personnage réel) avait fondé la célèbre Bibliothèque Ambrosienne de Milan, qui fut une des premières à être ouverte au public, selon l'auteur...
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