Le
cyclisme est une véritable religion : il y a ceux qui y croient
et ceux qui n’y croient pas. Y croire, c’est accepter le sens
qu’il donne à votre vie ; tout apparaît comme évidence à la
lumière de cette révélation. Les difficultés et les peines du
quotidien deviennent des côtes, des crevaisons, des pignons mal
ajustés, des vents de face ou de côté... Les joies quant à elles
s’incarnent dans les pentes, les échappées, les ravitaillements à
point nommé, les sprints victorieux...
(Benjamin
Coissard, Les
étoiles brilleront dimanche,
L’Éclisse,
2018)
Rares
sont les livres de littérature cycliste. Avec Les
étoiles brilleront dimanche,
Benjamin Coissard nous propose une première œuvre de qualité. Le
héros, Loïc Benoit, est d’une famille de coureurs
cyclistes,
le père était coureur
cycliste
amateur,
le frère aîné, Marc, a
failli avoir une carrière professionnelle. Mais Loïc, plus
introverti, fou d’Elvis Presley, qui a pourtant montré de solides
dispositions pour la course dans sa jeunesse, a abandonné après ses
dix-huit ans pour faire des études supérieures et devenir
expert-comptable dans un cabinet. Jusqu’au jour où le virus le
reprend et où il décide de participer à un cyclo-cross.
Il
reprend donc l’entraînement, se réapproprie son vélo et ses vêtements de coureur en
lycra. Retrouve
une certaine
tradition de famille qu’il
avait un moment honnie, car elle lui avait été imposée :
"Chez
les Benoit, on est vélo. Élevé depuis son plus jeune âge dans la
religion du cyclisme, Loïc essaie tant bien que mal de dissimuler
cette passion qu’il aime autant qu’elle lui fait honte."
C’est
qu’il y a une sorte de
tyrannie dans
ces familles de cyclistes
et
qu’il est difficile d’échapper à un destin.
Il
retrouve donc avec
une joie mêlée de peur ce milieu des coureurs du dimanche, des
supporters et des familles, des coureurs oubliés qui ne gagnent
jamais,
cette ambiance de fête sportive où l’on communie autour du vélo :
"Cette
suprême dévotion, stupide aux yeux de n'importe qui, ne pose aucun
cas de conscience au cycliste dont l'existence est régie ainsi : la
vie c'est le vélo."
Moi
qui n’ai jamais eu aucune prétention de compétition, mais qui ai
beaucoup pratiqué le vélo (et continue, aussi bien en ville qu’un
peu sur route, mais à mon allure), j’ai plongé avec délices dans
cette écriture
que
j’ai trouvée étonnamment
juste : la
description du petit milieu du cyclisme est précise,
parfois caustique. Les nombreux amateurs de ces fêtes que sont les courses amateurs de
village – dans ma jeunesse, il n’y avait pas de fête locale sans
course cycliste qui était suivie avec passion – retrouveront ici une merveilleuse recréation
de l’ambiance
de
ce genre de course, des préparatifs et des difficultés, des
sacrifices et des privations qu’elle entraîne. L’auteur utilise
un vocabulaire suffisamment précis pour que figure en fin de livre
un glossaire de
termes qu’il a disséminés tout au long du livre,
termes assez savoureux. J’ai appris ainsi qu’une
"chaudière"
était un "coureur adepte de produits dopants en grande
quantité". On
voit qu’il a lui-même été coureur cycliste amateur, c’est son
premier livre, chapeau !
Voici
un extrait : "Contrastant avec la puissance animale de son
accélération, il négocie les virages et épingles à cheveux du
circuit avec l’aisance et la précision d’un pianiste répétant
ses gammes. Les courbes s’enchaînent sans hésitation et du point
de vue des spectateurs on croirait à une promenade de santé. Sûr
de son coup de pédale il fixe l’horizon sans jamais se retourner
pour jauger de son avance. À la sortie d’une courbe, il jette
enfin un œil en arrière. Ils sont cinq lancés à sa poursuite.
L’écart n’est pas trop conséquent mais on dirait qu’aucun ne
veut prendre la chasse à son compte, soit par peur de se faire
contrer, soit par manque d’initiative."
les coureurs se présentent au départ de la course à Fort-Mahon plage en mai dernier
Pour
les fans de la petite reine, Les
étoiles brilleront dimanche
méritent
plus que le détour, en ce début du Tour de France. Ça m’a
rajeuni ("Et
qui donc a jamais guéri de son enfance ?" chantait Lucie Delarue-Mardrus en un beau poème), en ce temps où je suis obligé de me priver (un peu) de
vélo pour cause de chaleur et d’AIT.
1 commentaire:
Une autre lecture Jean Pierre: Socrate à vélo, de Guillaume Martin.
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