dimanche 7 juillet 2019

7 juillet 2019 : "Les étoiles brilleront dimanche"


Le cyclisme est une véritable religion : il y a ceux qui y croient et ceux qui n’y croient pas. Y croire, c’est accepter le sens qu’il donne à votre vie ; tout apparaît comme évidence à la lumière de cette révélation. Les difficultés et les peines du quotidien deviennent des côtes, des crevaisons, des pignons mal ajustés, des vents de face ou de côté... Les joies quant à elles s’incarnent dans les pentes, les échappées, les ravitaillements à point nommé, les sprints victorieux...
(Benjamin Coissard, Les étoiles brilleront dimanche, L’Éclisse, 2018)




Rares sont les livres de littérature cycliste. Avec Les étoiles brilleront dimanche, Benjamin Coissard nous propose une première œuvre de qualité. Le héros, Loïc Benoit, est d’une famille de coureurs cyclistes, le père était coureur cycliste amateur, le frère aîné, Marc, a failli avoir une carrière professionnelle. Mais Loïc, plus introverti, fou d’Elvis Presley, qui a pourtant montré de solides dispositions pour la course dans sa jeunesse, a abandonné après ses dix-huit ans pour faire des études supérieures et devenir expert-comptable dans un cabinet. Jusqu’au jour où le virus le reprend et où il décide de participer à un cyclo-cross.


Il reprend donc l’entraînement, se réapproprie son vélo et ses vêtements de coureur en lycra. Retrouve une certaine tradition de famille qu’il avait un moment honnie, car elle lui avait été imposée : "Chez les Benoit, on est vélo. Élevé depuis son plus jeune âge dans la religion du cyclisme, Loïc essaie tant bien que mal de dissimuler cette passion qu’il aime autant qu’elle lui fait honte." C’est qu’il y a une sorte de tyrannie dans ces familles de cyclistes et qu’il est difficile d’échapper à un destin. Il retrouve donc avec une joie mêlée de peur ce milieu des coureurs du dimanche, des supporters et des familles, des coureurs oubliés qui ne gagnent jamais, cette ambiance de fête sportive où l’on communie autour du vélo : "Cette suprême dévotion, stupide aux yeux de n'importe qui, ne pose aucun cas de conscience au cycliste dont l'existence est régie ainsi : la vie c'est le vélo."
Moi qui n’ai jamais eu aucune prétention de compétition, mais qui ai beaucoup pratiqué le vélo (et continue, aussi bien en ville qu’un peu sur route, mais à mon allure), j’ai plongé avec délices dans cette écriture que j’ai trouvée étonnamment juste : la description du petit milieu du cyclisme est précise, parfois caustique. Les nombreux amateurs de ces fêtes que sont les courses amateurs de village – dans ma jeunesse, il n’y avait pas de fête locale sans course cycliste qui était suivie avec passion retrouveront ici une merveilleuse recréation de l’ambiance de ce genre de course, des préparatifs et des difficultés, des sacrifices et des privations qu’elle entraîne. L’auteur utilise un vocabulaire suffisamment précis pour que figure en fin de livre un glossaire de termes qu’il a disséminés tout au long du livre, termes assez savoureux. J’ai appris ainsi qu’une "chaudière" était un "coureur adepte de produits dopants en grande quantité". On voit qu’il a lui-même été coureur cycliste amateur, c’est son premier livre, chapeau !
Voici un extrait : "Contrastant avec la puissance animale de son accélération, il négocie les virages et épingles à cheveux du circuit avec l’aisance et la précision d’un pianiste répétant ses gammes. Les courbes s’enchaînent sans hésitation et du point de vue des spectateurs on croirait à une promenade de santé. Sûr de son coup de pédale il fixe l’horizon sans jamais se retourner pour jauger de son avance. À la sortie d’une courbe, il jette enfin un œil en arrière. Ils sont cinq lancés à sa poursuite. L’écart n’est pas trop conséquent mais on dirait qu’aucun ne veut prendre la chasse à son compte, soit par peur de se faire contrer, soit par manque d’initiative."

les coureurs se présentent au départ de la course à Fort-Mahon plage en mai dernier

Pour les fans de la petite reine, Les étoiles brilleront dimanche méritent plus que le détour, en ce début du Tour de France. Ça m’a rajeuni ("Et qui donc a jamais guéri de son enfance ?" chantait Lucie Delarue-Mardrus en un beau poème), en ce temps où je suis obligé de me priver (un peu) de vélo pour cause de chaleur et d’AIT.

1 commentaire:

Carmen a dit…

Une autre lecture Jean Pierre: Socrate à vélo, de Guillaume Martin.