Presque
partout – et même souvent pour des problèmes purement techniques
– l’opération de prendre parti, de prendre position pour ou
contre, s’est substituée à l’obligation de la pensée.
(Simone
Weil, Note sur la suppression générale des partis
politiques, Allia, 2017)
Quand
j’ai vu ce titre
en
librairie,
improbable
aujourd’hui (écrit
en 1940), j’ai sauté dessus à pieds joints.
Simone Weil y
montrait
toute
son indépendance
d’esprit, sa
liberté totale de pensée. Il lui faut à peine une quarantaine de
pages pour démontrer
le
système pernicieux
des partis politiques pour la démocratie (il
est vrai que Hitler, Mussolini et Staline, etc., étaient alors
au
pouvoir).
Et
pourtant, en dépit de son âge, ce petit texte montre son actualité,
notamment dans les débats de notre temps électoral.
L’auteur
part de la volonté
générale,
idée due à Rousseau, dont procèdent les idéaux de 1789. Mais
elle note qu’il
"est
tout à fait évident que le raisonnement de Rousseau tombe dès
qu'il y a passion collective. Rousseau le savait bien. La passion
collective est une impulsion de crime et de mensonge infiniment plus
puissante qu'aucune passion individuelle".
Elle
en déduit qu’avec la constitution des partis, "nous
n’avons jamais rien connu qui ressemble même de loin à une
démocratie".
Car le peuple n’a jamais eu "à
exprimer son vouloir à l'égard des problèmes de la vie publique",
mais à faire "seulement
un choix de personnes".
On
ne saurait mieux dire !
Or,
un
"parti
politique est une machine à fabriquer de la passion collective. Un
parti politique est une organisation construite de manière à
exercer une pression collective sur la pensée de chacun des êtres
humains qui en sont membres".
Plus
de liberté de penser,
"tout
parti est totalitaire en germe et en aspiration"
et, à partir du moment où "la
croissance du parti constitue un critère du bien, il s'ensuit
inévitablement une pression collective du parti sur les pensées des
hommes".
Simone
Weil
assure qu’en
"entrant
dans un parti on renonce à chercher uniquement le bien public et la
justice".
D’ailleurs,
des
pénalités sont
imposées à ceux qui font montre d’indépendance vis-à-vis des
idées du parti, pénalités
"qui
atteignent presque tout — la carrière, les sentiments, l'amitié,
la réputation, la partie extérieure de l'honneur, parfois même la
vie de famille".
Or,
dès qu’il y a des partis, il est "impossible
d'intervenir efficacement dans les affaires publiques sans entrer
dans un parti et jouer le jeu".
Et
donc abdiquer le goût et la recherche de la vérité.
"Si
un homme disait, en demandant sa carte de membre : Je
suis d'accord avec le parti sur tel, tel, tel point ; je n'ai
pas étudié ses autres positions et je réserve entièrement mon
opinion tant que je n'en aurai pas fait l'étude,
on le prierait sans doute de repasser plus tard. Mais en fait, sauf
exceptions très rares, un homme qui entre dans un parti adopte
docilement l'attitude d'esprit qu'il exprimera plus tard par les
mots : Comme
monarchiste, comme socialiste, je pense que...
C'est tellement confortable ! Car c'est ne pas penser. Il n'y a
rien de plus confortable que de ne pas penser".
Elle
finit par conclure qu'il n'y a "pas grande différence entre l'attachement à un parti et
l'attachement à une Église ou bien à l'attitude antireligieuse. On
était pour ou contre la croyance en Dieu, pour ou contre le
christianisme, et ainsi de suite".
Car
l'opération
de "prendre
parti, de prendre position pour ou contre, s'est substituée à
l'obligation de la pensée. C'est là une lèpre qui a pris origine
dans les milieux politiques, et s'est étendue, à travers tout le
pays, presque à la totalité de la pensée. Il est douteux qu'on
puisse remédier à cette lèpre, qui nous tue, sans commencer par la
suppression des partis politiques".
Je
ne sais pas si tout cela vous allèche. Moi, j’ai trouvé toutes
ces phrases extrêmement stimulantes. Elles m’ont même fait
comprendre pourquoi je n’ai jamais pu adhérer à un parti
politique, car on y perd sa liberté de penser. Et pourquoi
vers 1994, j’avais fini par démissionner de l’association de
parents d’élèves du collège qui m’avait élu. Il n’y avait
pas moyen d’user librement de son droit de vote. Il fallait suivre
la ligne de la direction nationale, même si on n’était pas
d’accord ! Ce que je n'ai pas fait, et qui m'a valu d'être éjecté de candidature l'année suivante.
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