Aujourd’hui,
sans passeport, même le Christ serait jeté en prison.
(Erich
Maria Remarque, Arc de triomphe,
trad. Michel
Hérubel,
Plon, 1963)
Les
funérailles de ma belle-sœur Béatrice ont eu lieu hier samedi.
Elle avait demandé à ce que la quête organisée soit l’occasion
de dons à des associations d’aide aux migrants. Comme je viens de
lire le roman posthume (et
inachevé) d’Erich
Maria Remarque consacré aux émigrés (l’exil était déjà un
thème majeur dans Les
exilés,
Arc
de triomphe,
La
nuit de Lisbonne
et Ombres),
Cette
terre promise
m’offre l’occasion de reparler de ce qui est devenu un très
grave problème aujourd’hui, avec les trafics humains, les guerres, les morts par
noyades, les pays qui se referment comme des huîtres, le retour de
la xénophobie (si tant est qu’elle ait jamais disparu) et de la
violence d’État,
y compris dans nos belles démocraties : "on
voudrait que nous croyions encore à cette farce des élections
démocratiques ?"
ai-je lu récemment dans un autre roman : L’instant
décisif,
de Pablo Martín Sánchez (La Contre-allée, 2017), à propos des
violences policières en Espagne, qui n'ont rien à envier aux nôtres.
J’ai
déjà écrit sur l’auteur, et notamment sur la tétralogie des
exilés dans mon chapitre de D’un livre l’autre
qui lui est consacré. Je ne vais donc pas m’étaler longuement, je vous y renvoie (L'Harmattan, 2009, pp. 105-116). Je
rappelle toutefois que l’auteur, fuyant le nazisme dès 1933 (avec ses livres brûlés en place publique),
connut toutes vicissitudes de l’exil, en France puis aux USA et
qu’il refusa de se réinstaller en Allemagne après la
guerre. C’est dire qu’il connaît bien l’émigration de
l’intérieur, comme de nombreux artistes et intellectuels
allemands. Il connut de près l’internement dans les camps français
(nos modernes camps de rétention ne sont pas une invention nouvelle,
hélas) et l’arrivée aux États-Unis, où Ellis Island semble
laisser aux émigrés des souvenirs tout aussi pénibles, dont on a un aperçu au début du roman. Cette
terre promise, auquel il travailla jusqu’à sa mort, est une
version plus longue et largement remaniée d’Ombres, dont il
n’était pas satisfait.
Ici,
il
reprend et amplifie
les thèmes récurrents qui
irriguaient ses précédents romans.
La
terre
promise en
question,
les USA, où
ils ne sont que des
"refugees",
voire
des "enemy
aliens",
est
loin d’être un pays
de
cocagne,
et le mal-logement, la misère, la lutte pour survivre, le travail au
noir faute d’un permis de séjour,
la
peur des contrôles policiers, sont le lot de tous. Leur vie tient à un papier, un permis de séjour, un
répondant installé ici depuis longtemps, à l’amitié et à la
solidarité.
Ils
rencontrent à
New York des
réfugiés
de toutes origines. "Heureux !
Quel drôle de mot, pour un émigré ! Un émigré n’est
jamais heureux. Nous sommes condamnés à ne pas tenir en place. Nous
sommes étrangers. Nous ne pouvons pas retourner chez nous, et ici
nous ne sommes que tolérés."
Le
héros, qui vit sous un faux nom, Ludwig Sommer, après un premier exil en
Belgique et en France, où il a acquis quelques compétences dans le
monde de l’art,
parvient
à se faire embaucher, au noir, chez un antiquaire new-yorkais.
Il
s’éprend d’une jeune émigrée,
Maria,
qui pose pour des photos de mode. Mais il n’arrive pas à se
délivrer de la peur,
commune
à tous les émigrés, des cauchemars de torture qui leur ont imprimé
des traces indélébiles.
La
fin reste ouverte : l’espoir de retourner
au pays, de
se venger des nazis,
avait
permis à ces émigrés de
faire face aux
épreuves.
Mais ils savent que, dès la fin de la guerre, aucun Allemand ne
se reconnaîtra comme nazi. Et l’émigré sera considéré comme un
"reproche"
vivant, un reflet de la mauvaise conscience, voire même comme un
déserteur. Et finalement, même malmenés
dans leurs pays d’accueil, beaucoup
n’auront pas envie de rentrer, tel l’auteur lui-même.
Ils
savent pourtant qu’il
"faut
un cœur solide, pour vivre sans racines".
Comment
ne pas penser à nos modernes migrants, malgré le contexte bien
différent ?
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