dimanche 21 juillet 2019

21 juillet 2019 : coupables d'être nés


Aujourd’hui, sans passeport, même le Christ serait jeté en prison.
(Erich Maria Remarque, Arc de triomphe, trad. Michel Hérubel, Plon, 1963)


 

Les funérailles de ma belle-sœur Béatrice ont eu lieu hier samedi. Elle avait demandé à ce que la quête organisée soit l’occasion de dons à des associations d’aide aux migrants. Comme je viens de lire le roman posthume (et inachevé) d’Erich Maria Remarque consacré aux émigrés (l’exil était déjà un thème majeur dans Les exilés, Arc de triomphe, La nuit de Lisbonne et Ombres), Cette terre promise m’offre l’occasion de reparler de ce qui est devenu un très grave problème aujourd’hui, avec les trafics humains, les guerres, les morts par noyades, les pays qui se referment comme des huîtres, le retour de la xénophobie (si tant est qu’elle ait jamais disparu) et de la violence d’État, y compris dans nos belles démocraties : "on voudrait que nous croyions encore à cette farce des élections démocratiques ?" ai-je lu récemment dans un autre roman : L’instant décisif, de Pablo Martín Sánchez (La Contre-allée, 2017), à propos des violences policières en Espagne, qui n'ont rien à envier aux nôtres.


J’ai déjà écrit sur l’auteur, et notamment sur la tétralogie des exilés dans mon chapitre de D’un livre l’autre qui lui est consacré. Je ne vais donc pas m’étaler longuement, je vous y renvoie (L'Harmattan, 2009, pp. 105-116). Je rappelle toutefois que l’auteur, fuyant le nazisme dès 1933 (avec ses livres brûlés en place publique), connut toutes vicissitudes de l’exil, en France puis aux USA et qu’il refusa de se réinstaller en Allemagne après la guerre. C’est dire qu’il connaît bien l’émigration de l’intérieur, comme de nombreux artistes et intellectuels allemands. Il connut de près l’internement dans les camps français (nos modernes camps de rétention ne sont pas une invention nouvelle, hélas) et l’arrivée aux États-Unis, où Ellis Island semble laisser aux émigrés des souvenirs tout aussi pénibles, dont on a un aperçu au début du roman. Cette terre promise, auquel il travailla jusqu’à sa mort, est une version plus longue et largement remaniée d’Ombres, dont il n’était pas satisfait.


Ici, il reprend et amplifie les thèmes récurrents qui irriguaient ses précédents romans. La terre promise en question, les USA, où ils ne sont que des "refugees", voire des "enemy aliens", est loin d’être un pays de cocagne, et le mal-logement, la misère, la lutte pour survivre, le travail au noir faute d’un permis de séjour, la peur des contrôles policiers, sont le lot de tous. Leur vie tient à un papier, un permis de séjour, un répondant installé ici depuis longtemps, à l’amitié et à la solidarité. Ils rencontrent à New York des réfugiés de toutes origines. "Heureux ! Quel drôle de mot, pour un émigré ! Un émigré n’est jamais heureux. Nous sommes condamnés à ne pas tenir en place. Nous sommes étrangers. Nous ne pouvons pas retourner chez nous, et ici nous ne sommes que tolérés."
Le héros, qui vit sous un faux nom, Ludwig Sommer, après un premier exil en Belgique et en France, où il a acquis quelques compétences dans le monde de l’art, parvient à se faire embaucher, au noir, chez un antiquaire new-yorkais. Il s’éprend d’une jeune émigrée, Maria, qui pose pour des photos de mode. Mais il n’arrive pas à se délivrer de la peur, commune à tous les émigrés, des cauchemars de torture qui leur ont imprimé des traces indélébiles. La fin reste ouverte : l’espoir de retourner au pays, de se venger des nazis, avait permis à ces émigrés de faire face aux épreuves. Mais ils savent que, dès la fin de la guerre, aucun Allemand ne se reconnaîtra comme nazi. Et l’émigré sera considéré comme un "reproche" vivant, un reflet de la mauvaise conscience, voire même comme un déserteur. Et finalement, même malmenés dans leurs pays d’accueil, beaucoup n’auront pas envie de rentrer, tel l’auteur lui-même. Ils savent pourtant qu’il "faut un cœur solide, pour vivre sans racines".
Comment ne pas penser à nos modernes migrants, malgré le contexte bien différent ?



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