mardi 1 novembre 2016

1er novembre 2016 : recueillement


Elle n’était pas morte encore. j’étais déjà seul.

(Marcel Proust, Le côté de Guermantes, Gallimard, 1921-1922)



Je reviens donc d’une virée dans le midi de la France : un petit séjour de trois jours dans l’Aveyron, chez les cousins de Claire, puis une semaine à Montpellier, hébergé par ma sœur et mon beau-frère, lieu où j’ai retrouvé aussi quelques amis venus du Gers ou de Bédarieux. En dehors du festival de Montpellier, j’ai pris l’air, notamment dans l’Aveyron, où j’ai marché dans la campagne, j’ai participé à la partie de belote hebdomadaire du club de 3ème âge de Brandonnet. La campagne aveyronnaise doit être un peu triste en hiver, déjà en automne, les brumes du matin qui montent des vallées peinent un peu à se déchirer. Mais c’est aussi ce qui en fait la beauté.

"Il faut tenter de vivre", semble nous dire cette plante
 
Et, en attendant de faire un saut prochainement au cimetière de Poitiers, j’ai visité celui de Brandonnet, trouvé la tombe de l’oncle et de la tante de Claire. J’ai toujours été un visiteur assidu de cimetières, partout où j’ai vécu. Et j’y vais à n’importe quel moment de l’année. Aujourd’hui où la mort est tabou, se promener dans un cimetière, c’est se souvenir de notre condition humaine, de notre finitude, tout autant que se rappeler "nos" morts. Et, Dieu merci, ce n’est pas un lieu où l’on peut se promener en voiture, mais au contraire où l’on se rappelle qu’on a un corps, même si ce dernier nous semble souvent incompréhensible.

  
Proust l’a bien remarqué, toujours dans Le côté de Guermantes : "C’est dans la maladie que nous nous rendons compte que nous ne vivons pas seuls, mais enchaînés à un être d’un règne différent, dont des abîmes nous séparent, qui ne nous connaît pas, et duquel il est impossible de nous faire comprendre : notre corps" ; Dieu sait si Claire a vécu ça dans sa chair pendant cinq ans. Ou Georges Pérec aussi : "Quelque part, je suis étranger par rapport à quelque chose de moi-même" (Ellis Island, P.O.L., 1995). Mais la promenade à pied ou à vélo, l’exercice physique d’une façon générale, nous font prendre conscience que, malgré cette étrangeté, cette apparente séparation du corps et de l’âme, nous ne faisons qu’un.

vie et mort des châtaignes
 
Et, dans les souvenirs répercutés par les balades au cimetière, où l’on reste quasi déconnecté, "Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit", on est frappé par cette conjonction non seulement de notre corps et de notre âme, mais de notre esprit avec les âmes de "nos" défunt(e)s, pour peu qu’on les ait beaucoup aimé(e)s. Pour ma part, est-ce un effet du vieillissement, de ma philosophie de vie, je n’ai nul besoin d’aller au cimetière pour parvenir à cette rencontre. D’ailleurs, il en est de même pour les vivants et les morts : si le seul fait de penser aux vivants, de leur écrire, opère immédiatement en moi une articulation avec eux, les morts aussi dans ma mémoire ont une place évidente, un branchement d’autant plus facile que, plus j’avance dans la vie, plus je sais que le moment de les rejoindre approche.

orties à Brandonnet : symbole du piquant de la vie
 
La littérature (je pense à Montaigne, Proust, Giono et Virginia Woolf), les arts (Van Gogh, Mozart, entre autres), le cinéma (Visconti, Kurosawa, en particulier), peuvent nous être d’une grande aide pour mieux comprendre ce phénomène. Pour mieux nous ressaisir dans notre totalité, alors que le monde contemporain, la société marchande, les technologies, essaient de nous éparpiller, de nous découper en tranches.

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