Elle
n’était pas morte encore. j’étais déjà seul.
(Marcel
Proust, Le côté de Guermantes,
Gallimard, 1921-1922)
Je
reviens donc d’une virée dans le midi de la France : un petit
séjour de trois jours dans l’Aveyron, chez les cousins de Claire,
puis une semaine à Montpellier, hébergé par ma sœur
et mon beau-frère, lieu où j’ai retrouvé aussi quelques amis
venus du Gers ou de Bédarieux. En dehors du festival de Montpellier,
j’ai pris l’air, notamment dans l’Aveyron, où j’ai marché
dans la campagne, j’ai participé à la partie de belote
hebdomadaire du club de 3ème âge de Brandonnet. La campagne
aveyronnaise doit être un peu triste en hiver, déjà en automne,
les brumes du matin qui montent des vallées peinent un peu à se
déchirer. Mais c’est aussi ce qui en fait la beauté.
"Il faut tenter de vivre", semble nous dire cette plante
Et,
en attendant de faire un saut prochainement au cimetière de
Poitiers, j’ai visité celui de Brandonnet, trouvé la tombe de
l’oncle et de la tante de Claire. J’ai toujours été un visiteur
assidu de cimetières, partout où j’ai vécu. Et j’y vais à n’importe
quel moment de l’année. Aujourd’hui où la mort est tabou, se
promener dans un cimetière, c’est se souvenir de notre condition
humaine, de notre finitude, tout autant que se rappeler "nos"
morts. Et, Dieu merci, ce n’est pas un lieu où l’on peut se
promener en voiture, mais au contraire où l’on se rappelle qu’on
a un corps, même si ce dernier nous semble souvent incompréhensible.
Proust
l’a bien remarqué, toujours dans Le
côté de Guermantes :
"C’est
dans la maladie que nous nous rendons compte que nous ne vivons pas
seuls, mais enchaînés à un être d’un règne différent, dont
des abîmes nous séparent, qui ne nous connaît pas, et duquel il
est impossible de nous faire comprendre : notre corps" ; Dieu sait si Claire a vécu ça dans sa chair pendant cinq ans.
Ou
Georges Pérec aussi : "Quelque
part, je suis étranger par rapport à quelque chose de moi-même"
(Ellis
Island,
P.O.L., 1995). Mais la promenade à pied ou à vélo, l’exercice
physique d’une façon générale, nous font prendre conscience que,
malgré cette étrangeté, cette apparente séparation du corps et de
l’âme, nous ne faisons qu’un.
vie et mort des châtaignes
Et,
dans les
souvenirs
répercutés
par
les balades au cimetière, où l’on reste quasi
déconnecté, "Sans
rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit",
on
est frappé par cette conjonction non seulement de notre corps et de
notre âme, mais de notre esprit avec les âmes de "nos"
défunt(e)s, pour peu qu’on les ait beaucoup aimé(e)s. Pour
ma part, est-ce un effet du vieillissement, de ma philosophie de vie,
je n’ai nul besoin d’aller au cimetière pour parvenir à cette
rencontre. D’ailleurs, il en est de même pour les vivants et les
morts : si le seul fait de penser aux vivants, de leur écrire,
opère immédiatement en moi une articulation avec eux, les morts aussi dans
ma mémoire ont une place évidente, un branchement d’autant plus facile que,
plus j’avance dans la vie, plus je sais que le moment de les
rejoindre approche.
orties à Brandonnet : symbole du piquant de la vie
La
littérature (je pense à Montaigne, Proust, Giono
et Virginia Woolf), les arts (Van Gogh, Mozart, entre
autres),
le cinéma (Visconti,
Kurosawa, en particulier),
peuvent
nous être
d’une grande aide pour mieux comprendre ce
phénomène. Pour mieux nous ressaisir dans notre totalité, alors que
le monde contemporain, la société marchande, les technologies,
essaient de nous éparpiller, de nous découper en tranches.
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