Un
spectre hante l'Europe : le spectre du communisme. Toutes les
puissances de la vieille Europe se sont unies en une Sainte-Alliance
pour traquer ce spectre : le pape et le tsar, Metternich et Guizot,
les radicaux de France et les policiers d'Allemagne.
(Karl
Marx, Le
Manifeste du parti communiste,
1848, premières phrases)
Pour
changer un peu, et en attendant le recueillement de demain 1er novembre, parlons
cinéma. Je reviens de Montpellier, où le Cinémed a été
brillantissime. Presque tous les films vus (fictions récentes et à
venir, rétrospectives, documentaires) étaient excellents ou très
bons. Mais quand on voit le nombre éhonté de nullités qui sortent
dans les grands circuits commerciaux, je comprends le découragement
des gens qui décident... de dire que le cinéma ne les intéresse
pas ou ne les concerne plus, et de ne plus y aller. Qu’ils fassent un tour dans un de ces
très bons festivals que je fréquente, et ils retrouveront le goût
du cinéma !
la promenade qui mène au Corum, siège du festival
Rétrospectives :
il y a eu la rétrospective Mauro Bolognini, cinéaste dont on voit parfois
des films au ciné-club de la télé. Je suis allé voir Bubu,
excellente reconstitution de la prostitution au début du XXème
siècle (d’après le roman français de Charles-Louis Philippe),
Senilita, un film triestin un peu triste
(adaptation aussi d'un roman du grand Italo Svevo), avec Claudia Cardinale, et une
curiosité, Une fille formidable, une comédie
musicale de 1953, avec la starlette Sophia Loren en danseuse aux
jambes fuselées, dans un de ses premiers films ! Ça m’a
enchanté (je rappelle que je l’ai vue pour la première fois au
cinéma en 1956, dans La fille du fleuve, où
elle était devenue vedette).
Et puis une rétrospective d’un
cinéaste inconnu (de moi, et de beaucoup) : le cinéaste espagnol
(né au Salvador) Imanol Uribe, dont j’ai vu quatre films, La
muerte de Mikel (en version originale non sous-titrée, je
suis quand même resté jusqu’au bout), Dias contados
(sous-titré en anglais), Adios, pequeña
et le formidable El Viaje de Carol, un des grands moments du festival.
Carol est une fillette de douze ans qui rentre en Espagne avec sa
mère à l’automne 1938, son père, Américain, est pilote dans les
Brigades internationales. C’est un film absolument bouleversant,
d’une grande richesse thématique et de toute beauté.
Il y
avait aussi un hommage à Sergi López :
je suis allé voir l’excellent Pain noir, qui
évoque la Catalogne juste après la guerre d’Espagne et l’horreur
absolue du franquisme.
autre lieu de projection : l'ancien cinéma Pathé
Parmi
les films récents et à venir, j’ai particulièrement
apprécié Bravo virtuose, de l’Arménien
Lévon Minasian, qui en dit long sur la
déliquescence et la corruption des anciennes républiques
soviétiques, celui de Rachid Benhadj, L’étoile d’Alger,
sur la naissance et le développement de l'islamisme dans les années de plomb (90) en
Algérie, le superbe Fiore de l’Italien
Claudio Giovannesi, qui relate une fraîche histoire d’amour entre deux
jeunes incarcérés dans une prison pour mineurs, le Turc L’apprenti,
d’Emre Konuk, portrait d’un asocial atrabilaire, le thriller
français glaçant La mécanique de l’ombre,
de Thomas Kruthof, le très humain film de Marian Seresesky, La porte
ouverte, portrait de deux prostituées madrilènes, une mère et sa
fille. Mais mon préféré, en fiction, fut le film libanais
Tramontane, de Vatche Boulghourjlan : un
jeune musicien aveugle découvre qu’il n’est pas l’enfant
biologique de la femme qui l’a élevé. Absolument bouleversant.
Dans
les documentaires, j’ai regardé avec beaucoup d’intérêt Chacun
sa bonne, de Maher Abi Samra (le trafic des bonnes dans la
haute bourgeoisie libanaise), Samir dans la poussière
de Mohamed Ouzine (sur le trafic d’essence frontalier entre l’Algérie et le
Maroc), Les cormorans de Fabio Bobbio (évocation
poétique de l’été de deux pré-adolescents), la transplantation
au Canada de la jeune tunisienne Zaineb dans Zaineb n’aime
pas la neige, de Kaouther ben Hania, dont j'ai aussi vu la formidable enquête sur Le challat de Tunis,
essai par moments hilarant (enfin on rit jaune) sur les difficiles
relations homme/femme en Tunisie, à propos d’un type qui, dans les
années 2000, balafrait les fesses des jeunes femmes trop dévêtues
à son goût !
vu à Montpellier : lumières
Mais mon documentaire préféré fut le
grec Des spectres hantent l’Europe, qui
projette un regard cru sur un camp de migrants aux frontières de ma
Macédoine, où ils vivent dans la boue et le froid en attendant
l’ouverture des frontières vers un hypothétique départ vers
l’Allemagne. Pendant une heure 20, on les voit et on les entend
quasiment en plans fixes et en couleurs, sans le moindre
commentaire ; puis les vingt dernières minutes, en noir et
blanc, nous remontrent le camp, avec cette fois un texte en voix off,
d’une beauté poétique stupéfiante, inspiré de Walter Benjamin.
Au moment où on démantèle Calais, j’attends le cinéaste
français capable de faire un aussi beau film, une œuvre, quoi ! Je m'offrirai le film dès sa sortie en dvd, tant j'ai hâte de réentendre le beau texte final...
Et l’Antigone d’or (le grand prix des films de fiction en compétition) a été donné à
l’extraordinaire Vivre et autres fictions, de
l’Espagnol Jo Sol, qui fut un très grand moment, film à ne pas
rater quand il sortira en France. Un film sur le handicap, une sorte
de fiction documentaire géniale sur les difficultés de vouloir
vraiment vivre sa vie (y compris sexuelle) et la faire accepter aux "normaux" quand on est en fauteuil
roulant. Pas de voyeurisme idiot ici, mais une réflexion salutaire et
intelligente sur le sujet, servie par des acteurs (sans doute non professionnels) admirables. Et une réflexion terriblement humaine...
fleurs à Montpellier
Je
dirais d’ailleurs que ce qui ressortait le mieux de l’ensemble
des films présentés était la dignité des êtres humains, souvent
placés dans des situations complexes, et qui tentaient d’améliorer
leur environnement. Autant dira que beaucoup de ces films étaient
vivifiants ! Même quand ils traitaient des spectres qui nous hantent : le handicap, la prostitution, la corruption, la guerre et l'intolérance...
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