On
n’envoie plus, comme au temps de Jean Valjean, les voleurs de pain
aux galères. Mais au pays des 360 fromages, on ne badine pas avec
les voleurs de chèvre. Pour une petite bûche, un jeune homme de 22
ans, qui n’avait pas mangé depuis trois jours, a été envoyé
pour trois mois en prison.
(Cerises,
25 novembre 2016)
La
condition de l’homme
est sans doute le plus long des films de fiction (si l’on excepte
les films à suites du type Star wars) : environ 560 minutes,
soit près de 10 heures. Pour la commodité des projections en salle,
le film a été divisé en trois parties : Pas
de plus grand amour,
Le
chemin de l’éternité
et La
prière du soldat.
Le
film se déroule entre 1943 et 1945 en Mandchourie annexée,
colonisée et occupée par l’armée du Japon impérialiste et
raconte l’odyssée de Kaki, jeune homme idéaliste. Kaji
a
accepté d'aller travailler dans une usine sidérurgique de Mandchourie de
Manchourie, car, opposé à la guerre, ça devait lui permettre d’être
exempté de service militaire et de
se marier avec Michiko, qui l’a
suivi.
Profondément
humaniste, il
est non seulement farouchement opposé à la guerre, mais aussi à la
condition d’esclaves des ouvriers chinois de l’usine,
dont il tente d’humaniser
le sort.
La
guerre tournant mal pour le pays, les militaires imposent d'augmenter la
production de 20 %, en faisant travailler aussi les prisonniers de
guerre. Les militaires mènent la vie dure à Kaji,
qui
finit par être jeté en prison pour s'être interposé par
humanité : on le
libère,
mais pour l’incorporer
dans
l'armée. Il
y
est méprisé, maltraité par ses supérieurs, soumis à des brimades à
cause de son humanisme.
Il
participe à des
marches
d’entraînement
épuisantes,
qui
entraînent le
suicide d’un
soldat.
Après
le 8 mai 1945,
le Japon
doit de plus se battre contre les soldats
russes,
nettement
mieux armés.
La
brigade de
Kaji est
décimée, et il se retrouve avec une
poignée de rescapés à
essayer de trouver un
chemin vers le
Sud, sans autre
but
qu’une
fuite
éperdue devant l’avance soviétique (et peut-être d’essayer de
rejoindre sa femme). Le petit groupe se retrouve au milieu de quelques fuyards, des
civils,
hommes
et femmes, qui s’agrègent à eux.
Ils
meurent de faim, trouvent un
village où il y a encore de la nourriture. Mais
ce n’est qu’un feu de paille, et
Kaji et son
groupe
sont faits prisonniers. Dans le camp de prisonniers, Kaji
va de nouveau subir des brimades, il finit par s’évader, puis n’en
pouvant plus, il se couche dans la neige, le froid et le vent et ne
se relève plus.
Le
film est donc à la fois une dénonciation de l’impérialisme
industrialo-militariste et celle d’un
certain idéalisme, celui de Kaji, qui se révèle totalement
utopiste
dans
une période où la réalité
se
fait aussi bien implacable qu’absurde.
Que
ce soit dans l’usine, dans l'armée
japonaise, dans
le camp de prisonniers, les
essais
de Kaji pour obtenir un
meilleur traitement des ouvriers,
des soldats et des prisonniers,
sont bousculés
par la
hiérarchie,
par
la violence des hommes et des événements.
La
Condition de l’Homme
de Masaki Kobayashi est non
seulement le
film le plus long ayant connu une large exploitation commerciale, mais
c’est un film extraordinaire.
Mathieu
l’ayant emprunté en dvd à la Bibliothèque universitaire de
Talence, nous avons pu regarder cette épopée, très
populaire au Japon, tirée
d’un
roman autobiographique de Junpei Gomikawa non
traduit en français (on se demande pourquoi).
Sorti
en
1959, tourné dans un style très graphique qui combine un noir et blanc magnifique et l'écran large,
le film se présente comme un réquisitoire contre l’impérialisme
japonais (que
j’avais évoqué dans ma critique de L’impérialisme,
spectre du XXe siècle, chronique
du 2 mars 2014), mais
surtout nous interroge sur
la nature de l’être
humain,
sur
l’idéalisme et l'humanisme
contrecarrés quand la
société devient
inhumaine
(temps de guerre, de famine, d’oppression sociale, de terreur et de
torture, de brimades, d’emprisonnement, d’exil et de migration,
de
racisme et de xénophobie, de prostitution et de viols, toutes choses
qu’on voit dans le film, mais
au fond la société peut-elle être humaine même
en temps "normal" ?)
au point que chacun, pour survivre, doit d’opprimé, devenir
oppresseur, ou être les deux alternativement ou en même temps.
Kaji n’y
échappe pas.
N’est-ce
pas notre cas à tous ? Le titre original, Ningen
no jôken,
signifie, paraît-il : "la
condition qui permet à un individu de devenir un homme digne de ce
nom".
Il est des situations où cette
dignité recherchée n’existe peut-être pas.
Un
des plus beaux films que j’ai vus : malgré sa longueur, il
est passé comme une lettre à la poste. S’il ressort sur grand
écran ou dans un festival de cinéma, j’irai le revoir !
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