mardi 8 novembre 2016

8 novembre 2016 : l'amie Odile


Et d'ailleurs, quel besoin si urgent a-t-on d'être informé ? Pour ce qu'on en fait, de l'information qu'on possède ! Mieux vaut connaître dix choses et leurs rapports que dix mille choses éparses.
(Nicolas Bouvier, Le vide et le plein : carnets du Japon, 1964-1970, Gallimard, 2009)


Je retrouve un peu par hasard, car je n’ai pas encore réalisé un fichier par sujet des nombreuses citations que je mets dans ma mémoire informatique, cette citation de Nicolas Bouvier, l’écrivain favori de mon amie Odile Caradec, elle-même remarquable poétesse, dont j’attends avec impatience la sortie au printemps prochain - elle aura alors 92 ans – de son nouveau recueil, Tout un monde fluide, que j’ai bien sûr lu en manuscrit. Mais que je relirai, une fois publié (car lire un manuscrit et lire un livre imprimé sont deux choses très différentes), et ferai lire à mes ami(e)s lecteurs(trices) qui aiment la poésie et la connaissent déjà, mais qui auront bien des difficultés à trouver son livre, publié chez un tout petit éditeur et qui sera de ce fait mal distribué en librairie.

rue des Ecossais, le Temple protestant de Poitiers
Pourquoi je parle d'elle ? C’est que je viens de passer trois jours à Poitiers, et sur les trois, deux jours entiers avec elle, de samedi après-midi jusqu’à lundi après-midi, avec simplement la coupure du dimanche matin où je suis allé seul au culte de l’église réformée. Mais Odile m’a dit qu’elle souhaiterait y aller avec moi une prochaine fois où je passerai un dimanche à Poitiers. Ce serait une première pour elle ! Elle avait cependant assisté à la cérémonie funèbre, organisée au temple pour Claire. Mais un culte protestant, ça l’intrigue, elle qui a été élevée chez les bonnes sœurs ! Comment y pratique-t-on la communion ? qu’est-ce qu’on chante ? Eh oui, au contraire des protestants qui, souvent, ont eu l’occasion d’aller à la messe (moi, par exemple, en vacances avec ma tante et mon cousin quand j’étais jeune, puis après mon mariage j'ai accompagné mes beaux-parents à la messe de Noël, puis ma belle-mère après son veuvage), la majorité des catholiques ont rarement mis les pieds dans un Temple ni assisté à un culte protestant. Nous étions le Diable, me dit Odile ! Qui, elle-même, ne fréquente plus du tout l’Église depuis fort longtemps. Elle est comme moi, elle ne sait pas si elle croit, ni à quoi, mais tout comme moi elle a besoin de spiritualité, qu’on trouve bien sûr tous deux dans la poésie, mais qu’on peut trouver aussi dans l’atmosphère du groupe religieux qui communie.
J’ai conduit sa voiture, nous sommes allés au cimetière ensemble, je lui ai montré la plaque funéraire qu'on a posée sur la tombe des généreux donateurs (dont Claire fait partie), et elle m'a montré la tombe de son compagnon, et les quelques lignes, extraites d'un de ses poèmes, qu'elle y a fait graver ; je l’ai emmenée rencontrer mon beau-frère de Mignaloux, à qui j’ai remis ma Danse sur les flots (le livre envoyé par la poste n’est jamais arrivé), on s’est promené aux alentours et on a essuyé une averse de grésil. Ensuite, je l’ai emmenée au cinéma où j’ai revu avec elle Moi, Daniel Blake, la superbe palme d’or de Cannes. Je l’ai trouvé encore meilleur qu’à la première vision ! Odile l’a beaucoup aimé aussi, et surtout la critique sévère de la numérisation de notre société qui pénalise en premier lieu, comme on le voit dans le film, les pauvres, mais aussi les "vieux". Elle a trouvé impayable le professeur de CV qui expose aux chômeurs la nécessité d’avoir un CV en bonne et due forme : il faut dire que la scène est hilarante !
Elle m’a fait pénétrer dans ses dossiers d'archives, et c’est pourquoi je vous propose un poème inédit, qui me plaît beaucoup.

Je suis seule en tête-à-tête
               avec des fleurs jaunes
               seule dans un pays dont me séparent
                        portes fenêtres murs

Ma solitude me permet d’écouter
           les bruits secrets de l’univers
               d’en déceler les fines harmoniques

Mon oreille se dilate, elle tend à devenir
                plus grande que mon corps

Lentement, sûrement je m’approche
des sources jaunes

Poitiers vu de la terrasse d'Odile
(on comprend pourquoi elle ne veut pas aller en maison de retraite)

Et, pendant ces trois jours, j’étais un peu coupé du monde. Odile n’écoute pas la radio (en tout cas pas les infos) et n’a pas la télévision. Ça ne lui manque absolument pas. Ce qui montre bien que cet objet n’est pas de l’ordre la nécessité. Alors qu’elle ne peut pas se passer de livres, et de lire. De même que les smartphones ne sont pas de l’ordre de la nécessité (pour le moment du moins, mais bientôt, l’individu non connecté en permanence sera sans doute considéré comme un inadapté, comme un rebelle, voire comme un terroriste en puissance), mais sont plutôt des outils imposés par la consommation. On peut très bien s’en passer, et je ne suis pas près de m’y mettre !

Aucun commentaire: