Et
d'ailleurs, quel besoin si urgent a-t-on d'être informé ? Pour
ce qu'on en fait, de l'information qu'on possède ! Mieux vaut
connaître dix choses et leurs rapports que dix mille choses éparses.
(Nicolas
Bouvier, Le vide et le plein : carnets du Japon,
1964-1970, Gallimard, 2009)
Je
retrouve un peu par hasard, car je n’ai pas encore réalisé un
fichier par sujet des nombreuses citations que je mets dans ma
mémoire informatique, cette citation de Nicolas Bouvier, l’écrivain
favori de mon amie Odile Caradec, elle-même remarquable poétesse,
dont j’attends avec impatience la sortie au printemps prochain -
elle aura alors 92 ans – de son nouveau recueil, Tout
un monde fluide,
que j’ai bien sûr lu en manuscrit. Mais que je relirai, une fois
publié (car lire un manuscrit et lire un livre imprimé sont deux choses très
différentes), et ferai lire à mes ami(e)s lecteurs(trices) qui
aiment la poésie et la connaissent déjà, mais qui auront bien des
difficultés à trouver son livre, publié chez un tout petit éditeur
et qui sera de ce fait mal distribué en librairie.
rue des Ecossais, le Temple protestant de Poitiers
Pourquoi
je parle d'elle ? C’est
que je viens de passer trois jours à Poitiers, et sur
les trois, deux jours entiers avec elle, de samedi après-midi jusqu’à
lundi après-midi, avec simplement la coupure du dimanche matin où
je suis allé seul au culte de l’église réformée. Mais Odile m’a
dit qu’elle souhaiterait y aller avec moi une prochaine fois où je
passerai un dimanche à Poitiers. Ce serait une première pour elle !
Elle avait cependant assisté à la cérémonie funèbre, organisée
au temple pour Claire. Mais un culte protestant, ça l’intrigue,
elle qui a été élevée chez les bonnes sœurs ! Comment y
pratique-t-on la communion ? qu’est-ce qu’on chante ?
Eh oui, au contraire des protestants qui, souvent, ont eu l’occasion
d’aller à la messe (moi, par exemple, en vacances avec ma tante et
mon cousin quand j’étais jeune, puis après mon mariage j'ai
accompagné mes beaux-parents à la messe de Noël, puis ma
belle-mère après son veuvage), la majorité des catholiques ont
rarement mis les pieds dans un Temple ni assisté à un culte
protestant. Nous étions le Diable, me dit Odile ! Qui,
elle-même, ne fréquente plus du tout l’Église depuis fort
longtemps. Elle est comme moi, elle ne sait pas si elle croit, ni à
quoi, mais tout comme moi elle a besoin de spiritualité, qu’on
trouve bien sûr tous deux dans la poésie, mais qu’on peut trouver aussi dans
l’atmosphère du groupe religieux qui communie.
J’ai
conduit sa voiture, nous sommes allés au cimetière ensemble, je lui ai montré la plaque funéraire qu'on a posée sur la tombe des généreux donateurs (dont Claire fait partie), et elle m'a montré la tombe de son compagnon, et les quelques lignes, extraites d'un de ses poèmes, qu'elle y a fait graver ; je l’ai emmenée rencontrer mon beau-frère de
Mignaloux, à qui j’ai remis ma Danse sur les flots (le livre
envoyé par la poste n’est jamais arrivé), on s’est promené aux
alentours et on a essuyé une averse de grésil. Ensuite, je l’ai
emmenée au cinéma où j’ai revu avec elle Moi,
Daniel Blake,
la superbe palme d’or de Cannes. Je l’ai trouvé encore meilleur
qu’à la première vision ! Odile l’a beaucoup aimé aussi,
et surtout la critique sévère de la numérisation de notre société
qui pénalise en premier lieu, comme on le voit dans le film, les
pauvres, mais aussi les "vieux". Elle a trouvé impayable
le professeur de CV qui expose aux chômeurs la nécessité d’avoir
un CV en bonne et due forme : il faut dire que la scène est
hilarante !
Elle
m’a fait pénétrer dans ses dossiers d'archives, et c’est pourquoi je vous
propose un poème inédit, qui me plaît beaucoup.
Je
suis seule en tête-à-tête
avec
des fleurs jaunes
seule
dans un pays dont me séparent
portes
fenêtres murs
Ma
solitude me permet d’écouter
les
bruits secrets de l’univers
d’en
déceler les fines harmoniques
Mon
oreille se dilate, elle tend à devenir
plus
grande que mon corps
Lentement,
sûrement je m’approche
des
sources jaunes
Poitiers vu de la terrasse d'Odile
(on comprend pourquoi elle ne veut pas aller en maison de retraite)
Et,
pendant ces trois jours, j’étais un peu coupé du monde. Odile
n’écoute pas la radio (en tout cas pas les infos) et n’a pas la
télévision. Ça ne lui manque absolument pas. Ce qui montre bien
que cet objet n’est pas de l’ordre la nécessité. Alors qu’elle ne
peut pas se passer de livres, et de lire. De même que les
smartphones ne sont pas de l’ordre de la nécessité (pour le
moment du moins, mais bientôt, l’individu non connecté en
permanence sera sans doute considéré comme un inadapté, comme un
rebelle, voire comme un terroriste en puissance), mais sont plutôt
des outils imposés par la consommation. On peut très bien s’en
passer, et je ne suis pas près de m’y mettre !
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