Ceux
qui ont vécu savent que l'ombre n'est là que pour un temps ;
le matin apporte avec lui sa lumière.
(Nii
Ayikwei Parkes, Notre quelque part, trad. Sika Fakambi, Zulma,
2014)
Petit
arrêt à Poitiers, en rentrant de Paris.
La
journée d'étude sur « la place des bibliothèques en prison »
a été très riche d'enseignement. Les témoignages d'intervenants
(bibliothécaires, professeur-documentaliste, travailleurs sociaux)
ont été saisissants. Mais comme toujours, ce sont des gens
« extérieurs » qui nous apportent le plus :
l'architecte Christian Demonchy fut chargé vers 1987 de construire
la prison-modèle de Mauzac (Dordogne). J'en avais entendu parler par
le Journal de taule lu récemment. Mais là, je l'ai vue,
projetée sur grand écran. On comprend tout de suite pourquoi on n'a
pas donné suite et on n'en a pas construit d'autre. C'est que les
détenus s'y trouvent bien, comme les surveillants. Or, dans la
conception hyper-sécuritaire de la punition, de la pénitence, on
préfère construire des « bastilles » aussi invivables
pour les surveillants que pour les détenus. Dommage : là, on
était plus proche des prisons canadiennes ou scandinaves, une
« prison en utopie », pour pasticher le titre du
documentaire vu avant de partir.
Le centre de détention de Mauzac
Je
suis allé à la Comédie française avec mes cousins voir une
formidable représentation du Songe d'une nuit d'été, de
Shakespeare, pièce assez difficile à monter, car elle contient
trois actions parallèles. C'est une comédie qui tire sur la farce à
propos des jeux de l'amour et du hasard.
Et
puis, je suis allé voir trois films, dont deux invisibles pour
l'instant à Bordeaux, sur le basculement des vies quand soudain ça
déraille. Au bord du monde est un documentaire sur les SDF
parisiens, les invisibles de nos trottoirs. On y voit un Paris
nocturne de toute beauté qui fait d'autant plus ressentir le peine
de ces gens qui sont tombés, qui ont basculé et ne peuvent plus en
sortir ; et cependant, certains résistent et se créent une vie
précaire, mais relativement positive. Les témoignages sont
saisissants ; nous étions tous cloués sur le fauteuil à la
fin de la séance. Horrifiés par notre indifférence usuelle, notre gêne, notre absence de regard, nos fuites et nos petites lâchetés.
Même
topo pour le documentaire helvéto-grec Comme des lions de pierre
à l'entrée de la nuit, qui raconte le camp de concentration sur
l'île de Makronissos, l'île des oubliés, où furent internés,
avec la bénédiction des Américains et des Britanniques, les
opposants grecs (qui avaient pourtant été des résistants au
nazisme) à partir de 1947, sous prétexte de les rééduquer contre
le communisme. Parmi eux de nombreux poètes, dont les poèmes lus à
haute voix rythment le déroulement du film. On nous a tant seriné
dur les camps de rééducation en Chine, au Vietnam, à Cuba, et on
nous avait caché qu'il en avait existé aussi dans le monde dit
« libre » : je n'en avais jamais entendu parler.
Pour espérer sortir, les internés devaient signer une déclaration
de pseudo-patriotisme hellénique que les irréductibles (parmi
lesquelles le poètes) refusèrent, malgré les tortures, la faim et
tout ce que pouvez imaginer ; comme quoi, on peut résister.
Très très beau film qui m'a donné envie de lire Yannis Ritsos et
autres poètes. Là aussi, nous avons mis du temps à nous relever de
nos sièges.
Enfin,
autre type de basculement, l'avc. Dans le film de Catherine Breillat,
Abus de faiblesse, film de fiction cette fois, mais très
proche du réel, l'héroïne, après son avc, est victime d'un escroc
qui profite de sa faiblesse physique et psychique. Très belle
performance d'Isabelle Huppert. Un film terrifiant ! Nous sommes sortis en nous disant qu'en cas d'avc, la meilleure solution est de se flinguer, si on peut !!!
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