Ils
la disaient belle
parce
qu'ils l'aimaient.
(Barbara
Garlaschelli, Deux sœurs, Rivages éd.)
Je
reviens d'une virée estivale, au plein cœur de l'été, avec
arrêts multiples :
à
Arçais (Deux-Sèvres), chez les amis C. et V., où nous avons fêté
les 15 ans de Valentin.
à
Poitiers (Vienne), où j'ai logé chez I., toujours mal en point (il
n'a presque plus de plaquettes) et vu Georges (94 ans) et Odile (88
ans), mes vieux et tendres amis poètes, et fait le point sur la
situation de la librairie La
belle aventure.
à
Montmorillon, où ma vieille amie Léone (93 ans au compteur), m'a
réjoui par son énergie, sa foi dans la vie et regonflé pour
soutenir I.
à
Châtellerault, chez P. et L., toujours ardents défenseurs de la
veuve et de l'orphelin, ce qui fait bougrement plaisir, et où j'ai
essuyé dans la nuit de vendredi à samedi, vers 3 h du matin, un
orage d'une violence inouïe, au point de me réveiller, malgré mes
bouchons auriculaires !
aux
Sables d'Olonne, pour revoir la cousine de maman (93 ans également),
pleine de vie malgré son récent veuvage, et où deux nouveaux orages ont sévi.
et
de nouveau à Poitiers, où j'ai revu Georges et Odile, ainsi que mes amis G.
(40 ans) et F. (31 ans) : le contraste entre les jeunes et les vieux m'a frappé
une fois de plus. Et je suis tellement content d'avoir des amis(e) de tout âge.
Pour
en revenir aux vieilles dames, puisque c'est de cela que je veux
parler aujourd'hui, si je rajoute Jeanne (84 ans), ma coreligionnaire
de Poitiers, et Fortune (81 ans), ma compagne du voyage de Tanger en 2012, ça
me fait une belle panoplie de vieilles dames amies, toutes des
solitaires, par choix ou par veuvage, et qui apprécient la compagnie
d'un jeune homme (un gamin, comme elles disent !) ; et je les trouve belles, n'en déplaise à ceux qui trouvent que la beauté réside seulement dans la jeunesse du corps. La jeunesse du cœur donne un autre type de beauté, moins éphémère ! Et, à
défaut d'être « le tombeur de ces dames » (pour
reprendre le titre français du film de Jerry Lewis The
ladies man), j'en suis le
chouchou, ravies qu'elles sont de voir un homme s'intéresser encore
à elles, les écouter, leur parler, les serrer dans mes bras quand je les embrasse.
Le
pompon, c'est tout de même Léone, que je qualifie volontiers de « professeur de vie » tant, par son ouverture d'esprit, son besoin
d'aller vers les autres, elle me semble plus jeune que bien des
jeunes gens. Non seulement elle sort beaucoup de chez elle,
mais elle a su se lier d'amitié avec sa voisine (une « jeunette » de 65
ans), et elle est toujours prête à dire oui à toutes les sorties
possibles et imaginables : elle va donc avec elle au cinéma (au
moins une fois par semaine), aux conférences organisées à Poitiers
par l'Université Inter-Âges
(car me dit-elle, on apprend à tout âge, et surtout il ne faut pas
rester figé sur des acquis quand on peut les prolonger, c'est ce
qu'elle appelle la « rentabilisation » du savoir, ce
dernier se devant d'être sans cesse réactualisé, partagé avec les
autres, et combien je suis d'accord avec elle sur ce point !).
Léone n'hésite d'ailleurs pas à faire un tour supplémentaire en ULM si
l'occasion se présente (le baptême de l'air sur cet engin, à 90 ans, ne lui a pas
suffi), à s'inscrire à un voyage organisé (l'an dernier, une
croisière en Méditerranée, dont elle était la doyenne,
chouchoutée par l'équipage et par l'orchestre qui jouait le soir à
la fin du repas La vie en rose, spécialement pour elle) ; mais elle a continué à faire les
visites aux escales toute seule, à son propre rythme, sans peur
aucune, par exemple à Palerme : « Je demande au (ou à
la) guide l'adresse et l'heure du point de ralliement, il (ou elle)
me l'écrit sur un bout de papier, et quand je vois l'heure approcher,
si je suis perdue, j'entre dans une boutique, je demande qu'ils me commandent un taxi, et
hop, je montre au chauffeur mon bout de papier, et je suis à l'heure
au rendez-vous », voyage pour lequel elle économise toute l'année
200 euros par mois sur sa maigre retraite de 1100 euros.
Mais,
me dit-elle, « ça n'est pas si mal, bien des gens ont moins
que ça pour vivre, et une fois que j'ai eu mes prélèvements
bancaires obligés, s'il me reste quelque chose, j'aide qui je peux
et en a besoin ; je dépense tout et ne garde rien ! Qu'est-ce
donc que j'en ferais ? Et quand je donne à un(e) mendiant(e)
dans la rue, je ne mets jamais l'argent dans la sébile, mais je lui
donne dans la main, en le (la) regardant dans les yeux, et je lui dis un
petit mot d'encouragement, pour qu'il (elle) ait un contact humain...
» Elle me dit encore : « Pourquoi avoir peur ? Quand on a peur, on ne fait rien, on se ferme comme une huître, on reste prisonnier des "si" : et s'il t'arrive quelque chose ? Que peut-il donc bien m'arriver, à mon âge ? Â tout âge d'ailleurs... » Et elle sourit avec une malice délicieuse qui la fait toute belle, comme l'enfant qu'elle a su rester !
Sacrée
Léone – malheureusement désormais presque privée de lecture
(elle peut encore, quand c'est écrit très gros), elle dont la
maison est tapissée de livres sur ses trois étages – il en
faudrait des centaines comme toi, pour que le monde soit plus beau !
Je te souhaite une longue vie, remplie de toutes les joies du présent
que tu sais apprécier, riche de rencontres et de petits bonheurs
quotidiens. Quand je songe au Paradis, je me dis que, s'il existe, il
doit être plein de personnes comme toi, chaleureuses, attentives aux
autres et pratiquant le don avec le naturel et la candeur du jeune
homme dont parle Michel Piquemal dans Le
conteur philosophe : "Je
n'ai jamais donné dans l'espoir qu'on me rende. Qu'ils acceptent mes
cadeaux était leur plus beau don."
Oui, tu nous donnes de précieuses
leçons de vie !