Je
sais tout ce qui fut, tout ce qui sera,
Je
connais ce mystère sourd-muet
Que
dans la langue menteuse et noire
Des
humains – on appelle la vie.
(Marina
Tsvétaïeva, Le
ciel brûle)
Quelle
journée ! Première fois que je m'habille comme sur le cargo,
c'est-à-dire avec deux misérables épaisseurs sur moi, alors que la
semaine dernière j'en avais encore quatre, dont ma veste de laine
suédoise ! Ma surprise fut grande en allant à vélo jusqu'à
la Place de la Victoire faire des photocopies à la COREP, de devoir
rapidement enlever une épaisseur et me découvrir les bras qui
n'avaient pas vu le soleil depuis le 12 mars ! Il est vrai qu'on
nous annonce encore de la pluie pour le prochain week-end...
Et,
avec le beau temps – relatif – les mendiants et SDF sont de
nouveau plus nombreux. Je ne peux pas me faire à cette société de
la compétition de chacun contre tous qui laisse par côté tant
d'êtres humains. L'individualisme contemporain qui fait primer soi
contre autrui entraîne l'absence d'éthique collective et solidaire,
et favorise le repli sur soi et l'incivilité ; car laisser la mendicité se développer, c'est être incivil. "Souvent,
le seul bien qu'on peut faire à autrui, c'est – de l'écouter.
Alors, l'oreille est un organe de l'amour",
écrivait André Gateau, poète ouvrier dans son Journal
inédit.
Aujourd'hui, dans le brouhaha généralisé et permanent de la radio,
de la télé, du téléphone, plus personne n'écoute personne ;
au fond, plus personne n'aime son prochain. Le Christ est
définitivement mort et enterré. Il est vrai que "l'amour,
c'est un grand mystère, vous ne trouvez pas ?",
comme le clame Andrea, un des personnages du roman noir de Cesare
Battisti, L'eau
du diamant.
On
préfère se presser au prochain Salon du Bourget, voir toutes les
merveilles de la technologie meurtrière des armes modernes, en particulier des drones (200 000
visiteurs sont attendus, complices passifs de toutes les guerres et
conflits – mais tant que ça se passe ailleurs, qu'est-ce que ça
peut nous faire, n'est-il pas ?), tandis qu'un salon de la poésie
comme la Biennale des poètes en Val de Marne qui vient de se passer
n'aura vu venir que quelques centaines de curieux. Il est vrai que
"Poète,
ce n'était pas une profession ; dans le peuple, il s'attache à
ce titre une sorte de honte, comme si la poésie fut une tare",
écrivait aussi André
Gateau, dans son Journal ;
tandis que fabricant d'armes, marchand d'armes, en voilà une
profession, et des plus honorables, et qui ne se porte pas comme une
maladie honteuse.
Ah !
J'enrage. Ça me fait repenser à mon cher Panaït Istrati, « l'homme
qui n'adhère à rien », qui disait des prolétaires de Braïla
dans son roman Le
bureau de placement :
"ils
supportaient leur sort avec une gaieté dont l'inconscience
l'épouvantait. Toute leur espérance se réduisait à une possible
augmentation de salaire, bien insignifiante, due à une application,
à un acharnement, à une servilité, à des intrigues même, que le
patron devait un jour remarquer et récompenser."
Tant que l'inconscience de classe en restera à ce niveau de servilité et d'intrigue, la misère, la
mouise, le chômage, les haines, le racisme, le patriotisme obtus ont
de beaux jours devant eux. Car n'oublions pas que les états, plus
que jamais, sont au service de la ploutocratie mondiale qui, elle, se
fout complètement de la notion même de patrie qu'elle fait gober
aux bons peuples, pour les dresser les uns contre les autres, avec
souvent l'appui fervent des religions : la patrie des
oligarques, c'est le fric qu'ils promènent allègrement aux îles
Caïman, en Suisse et à Singapour. Eux, ils en ont une, de conscience de classe ! Un
milliardaire américain Warren Buffett, n'a-t-il pas déclaré il y a quelques
années, qu'il existe "bel et bien une guerre
des classes mais c'est ma classe, la classe des riches qui fait la
guerre et c'est nous qui gagnons".
Queen Nanny
Refusons
d'être les esclaves de ces maîtres absurdes et malfaisants, de
voter pour eux, faisons comme Queen Nanny, l'héroïque esclave de la
Jamaïque qui, vers 1720, leva une insurrection contre les planteurs
esclavagistes et réussit à créer et à maintenir une communauté
libre de fiers maroons [on désigne sous l'appellation de nègres marrons – maroons en anglais – ceux qui se sont enfuis des plantations et libérés de leurs chaînes]. Eh oui, on fête toujours l'abolition de
l'esclavage, mais on oublie qu'à plusieurs reprises, les esclaves
ont été capables de se libérer sans qu'on leur octroie le droit de
l'être !
Qu'attendons-nous pour nous libérer des puissances d'argent ?
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