vendredi 21 juin 2013

21 juin 2013 : musiques


J'appelle bourgeois quiconque renonce à soi-même, au combat et à l'amour, pour sa sécurité.

(Léon-Paul Fargue, Poésies)



Journée d'hier emplie d'averses, et ça continue aujourd'hui, où j'ai dû acheter au supermarché un nième parapluie, pour ne pas mouiller les livres que je venais d'emprunter à la bibliothèque, me rappelant en ce premier jour de l'été la chanson qu'on chantait en colo : Été mouillé, été qui mouille / C'est la fête à la grenouille / Été qui mouille, été mouillé / Quand le ciel est barbouillé...

C'est donc la fête de la musique : une fois n'est pas coutume, je vais ce soir regarder la télé, ayant vu que Arte donnait le Cosi fan tutte de Mozart. Tant pis pour les musiciens de rue, j'en verrai peut-être cet après-midi en allant en ville, si la pluie s'arrête. À ce propos, j'ai découvert lors de mon passage à Paris, sur le trottoir, au bout de l'île de la Cité, près du pont qui mène à l'île Saint-Louis, un de ces musiciens des rues, avec sa guitare : le Troubadour de Paris, Hugues Bouchindomme, qui chantait d'une belle voix chaude et posée, sans jamais forcer le trait des chansons de Brassens et autres. Comme il vendait ses disques, je lui en ai acheté trois, il m'en a offert un quatrième. Et, depuis hier je les écoute ; c'est ma fête de la musique à moi.

Dans Chansons d'amour, il chante des chansons d'Aznavour, Mouloudji, Moustaki, Piaf, Brel, Montand, Jeanne Moreau, Graeme Allwright, des chansons traditionnelles et des chansons de sa composition, très belles. Dans Le troubadour de Paris chante « les poètes », il chante Léo Ferré, Aragon, Guy Béart, Victor Hugo, Rutebeuf, Richepin, Francis Jammes, Kipling, Musset, Nerval et le peintre-sculpteur poète Charles Louis La Salle. Tout simplement merveilleux. Il a formidablement mis en musique Nerval, Musset et Hugo. Dans Félicité, pure bliss, il reprend des chansons de Montand, Piaf, Presley, Michel Legrand, Barbara, Juliette Gréco, Marlène Dietrich, Dalida, Nana Mouskouri, Ferré, Moustaki et Adamo, des airs de sa composition et des poèmes classiques. C'est époustouflant d'intelligence musicale, ça nous essore les oreilles du bruit qui tient lieu de musique en matière de chanson depuis quelques années. Là, c'est le « vieux » qui parle. Mais mes oreilles ont quand même leur mot à dire, non ? Et j'ai pas envie qu'on me casse les oreilles !

Pour moi, en musique, comme en littérature, comme dans la vie, il me faut du sentiment ; toujours Léon-Paul Fargue : "J'appelle bourgeois quiconque met quelque chose au-dessus du sentiment." Il pense bien sûr à l'argent, au profit, à l'intérêt, à la sécurité, au pouvoir et sans doute à bien d'autres choses qui annihilent complètement le sentiment et le sens de l'humanité. 
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Le héros de Tout doit disparaître, de Mikaël Ollivier, est un adolescent. Il passe quatre années à Mayotte où ses parents, professeurs, sont partis pour profiter des conditions de salaire avantageuses. Hugo, lui, ne s'y plait pas, jusqu'au jour où il rencontre une jeune mahoraise. Ses parents, dès qu'ils réalisent la chose (est-ce qu'elle s'imagine, cette négresse, qu'elle va lui mettre le grappin dessus ? pensent-ils), le renvoient finir son année scolaire en métropole. Quand ils rentrent, ils sont pris frénétiquement dans le tourbillon de la consommation, oubliant leurs idéaux de jeunesse. Hugo, lui, devient un mauvais élève, il juge sévèrement ses parents (devenus des bourgeois !) et la société : "En d'autres termes, nous sommes tous prisonniers de nos biens, et être libre, c'est ne rien posséder", voilà ce qu'il pense. Il est seulement aidé par les mails de sa documentaliste de Mayotte, avec qui il s'était lié d'amitié, ce qui l'encourage. "Pas de concession Hugo, pas de capitulation. Le monde est à nous. Notre vie nous appartient. On n'a pas le droit de changer, pas le droit de se résigner, pas le droit de vieillir", tel est son mot d'ordre, désormais. Il est effrayé de voir sa petite sœur subjuguée par les nouveaux besoins : "Les marchands, petit à petit, étaient parvenus à nous convaincre que notre vie était si palpitante, notre place dans le société si importante, qu'il nous fallait être joignables 24 heures sur 24. Un besoin avait été créé, parfaitement artificiel, qui s'était mué en nous en véritable addiction physiologique." Et par les fêtes de Noël et l'avalanche de cadeaux inutiles. Il lit Albert Cossery, Mendiants et orgueilleux, qui le conforte dans ses idées (décidément, la littérature est bien dangereuse !), rencontre Charly, une jeune fille tagueuse de pubs. Dès lors, sa vie va prendre du sens...

Ce très beau roman pour ados qui rappelle par son thème Les choses de Pérec, montre superbement l'horreur du monde moderne, où les objets, les choses, ont supplanté le sentiment, justement. Roman sans concessions, dur, mais salutaire.

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