J'appelle
bourgeois quiconque renonce à soi-même, au combat et à l'amour,
pour sa sécurité.
(Léon-Paul
Fargue, Poésies)
Journée
d'hier emplie d'averses, et ça continue aujourd'hui, où j'ai dû
acheter au supermarché un nième parapluie, pour ne pas mouiller les
livres que je venais d'emprunter à la bibliothèque, me rappelant en
ce premier jour de l'été la chanson qu'on chantait en colo :
Été
mouillé, été qui mouille / C'est la fête à la grenouille / Été
qui mouille, été mouillé / Quand le ciel est barbouillé...
C'est
donc la fête de la musique : une fois n'est pas coutume, je
vais ce soir regarder la télé, ayant vu que Arte donnait le Cosi
fan tutte
de Mozart. Tant pis pour les musiciens de rue, j'en verrai peut-être
cet après-midi en allant en ville, si la pluie s'arrête. À ce
propos, j'ai découvert lors de mon passage à Paris, sur le
trottoir, au bout de l'île de la Cité, près du pont qui mène à
l'île Saint-Louis, un de ces musiciens des rues, avec sa guitare :
le Troubadour de Paris, Hugues Bouchindomme, qui chantait d'une belle
voix chaude et posée, sans jamais forcer le trait des chansons de
Brassens et autres. Comme il vendait ses disques, je lui en ai acheté
trois, il m'en a offert un quatrième. Et, depuis hier je les
écoute ; c'est ma fête de la musique à moi.
Dans
Chansons
d'amour,
il chante des chansons d'Aznavour, Mouloudji, Moustaki, Piaf, Brel,
Montand, Jeanne Moreau, Graeme Allwright, des chansons
traditionnelles et des chansons de sa composition, très belles. Dans
Le
troubadour de Paris chante « les poètes »,
il chante Léo Ferré, Aragon, Guy Béart, Victor Hugo, Rutebeuf,
Richepin, Francis Jammes, Kipling, Musset, Nerval et le
peintre-sculpteur poète Charles Louis La Salle. Tout simplement
merveilleux. Il a formidablement mis en musique Nerval, Musset et
Hugo. Dans Félicité,
pure bliss,
il reprend des chansons de Montand, Piaf, Presley, Michel Legrand,
Barbara, Juliette Gréco, Marlène Dietrich, Dalida, Nana Mouskouri,
Ferré, Moustaki et Adamo, des airs de sa composition et des poèmes
classiques. C'est époustouflant d'intelligence musicale, ça nous
essore les oreilles du bruit qui tient lieu de musique en matière de
chanson depuis quelques années. Là, c'est le « vieux »
qui parle. Mais mes oreilles ont quand même leur mot à dire, non ? Et j'ai pas envie qu'on me casse les oreilles !
Pour
moi, en musique, comme en littérature, comme dans la vie, il me faut
du sentiment ; toujours Léon-Paul Fargue : "J'appelle
bourgeois quiconque met quelque chose au-dessus du sentiment."
Il pense bien sûr à l'argent, au profit, à l'intérêt, à la sécurité, au pouvoir
et sans doute à bien d'autres choses qui annihilent complètement le
sentiment et le sens de l'humanité.
Le
héros de Tout
doit disparaître,
de Mikaël Ollivier, est un adolescent. Il passe quatre années à
Mayotte où ses parents, professeurs, sont partis pour profiter des
conditions de salaire avantageuses. Hugo, lui, ne s'y plait pas,
jusqu'au jour où il rencontre une jeune mahoraise. Ses parents, dès
qu'ils réalisent la chose (est-ce qu'elle s'imagine, cette négresse,
qu'elle va lui mettre le grappin dessus ? pensent-ils), le renvoient
finir son année scolaire en métropole. Quand ils rentrent, ils sont pris frénétiquement dans le tourbillon de la
consommation, oubliant leurs idéaux de jeunesse. Hugo, lui, devient
un mauvais élève, il juge sévèrement ses parents (devenus des bourgeois !) et la société :
"En
d'autres termes, nous sommes tous prisonniers de nos biens, et être
libre, c'est ne rien posséder",
voilà ce qu'il pense. Il est seulement aidé par les mails de sa
documentaliste de Mayotte, avec qui il s'était lié d'amitié, ce
qui l'encourage. "Pas de
concession Hugo, pas de capitulation. Le monde est à nous. Notre vie
nous appartient. On n'a pas le droit de changer, pas le droit de se
résigner, pas le droit de vieillir",
tel est son mot d'ordre, désormais. Il est effrayé de voir sa
petite sœur subjuguée par les nouveaux besoins : "Les
marchands, petit à petit, étaient parvenus à nous convaincre que
notre vie était si palpitante, notre place dans le société si
importante, qu'il nous fallait être joignables 24 heures sur 24. Un
besoin avait été créé, parfaitement artificiel, qui s'était mué
en nous en véritable addiction physiologique."
Et par les fêtes de Noël et l'avalanche de cadeaux inutiles. Il lit
Albert Cossery, Mendiants et
orgueilleux, qui le conforte
dans ses idées (décidément, la littérature est bien
dangereuse !), rencontre Charly, une jeune fille tagueuse de
pubs. Dès lors, sa vie va prendre du sens...
Ce
très beau roman pour ados qui rappelle par son thème Les
choses de Pérec, montre
superbement l'horreur du monde moderne, où les objets, les choses,
ont supplanté le sentiment, justement. Roman sans concessions, dur,
mais salutaire.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire