lundi 24 juin 2013

24 juin 2013 : quatre ans, trente-cinq ans


Pourquoi es-tu partie si rapidement,

ma vie,

mon beau ciel bleu,

mon espérance ?

(Michel Dunand, Mourir d'aller)



Je suis allé hier revoir à l'Utopia, en copie neuve restaurée, ce film que Claire aimait tant : Les parapluies de Cherbourg. J'ai dû dix fois sortir mon mouchoir pour m'éponger les yeux. L'enchantement de la musique et du chant (formidable orchestration de Michel Legrand), la beauté des images, la beauté des interprètes, la sincère justesse des aveux échangés (Guy/Geneviève, puis Roland/Geneviève, enfin Guy/Madeleine) – les imbéciles ne se privent pas de ricaner , font de ce film une merveille que je ne me lasse pas de revoir : comme un opéra (c'est entièrement chanté), comme un mélo (les amours contrariées), tout ce que j'adore – et comme un souvenir commun... Nous le regardions sur le poste de télévision. Je ne l'avais pas vu sur grand écran depuis sa sortie en 1964. C'est quand même autre chose que de le voir en dvd !


C'est aujourd'hui le quatrième anniversaire du décès de Claire. Je sais qu'on se couvre de ridicule à présent en écrivant des alexandrins et des vers de forme classique, mais une fois n'est pas coutume, j'avais à cœur de refaire pour l'occasion un poème de circonstance – ça faisait d'ailleurs partie de nos jeux littéraires, et aussi pour fêter nos « retrouvailles » (je ne trouve pas d'autre mot pour exprimer l'impression de son accompagnement à bord du cargo Lutetia), aussi bien que nos trente-cinq ans de vie commune : nous nous sommes en effet connus en 1978. Vous voudrez donc bien pardonner la pauvreté de la rime, les images convenues, la mièvrerie propre au souvenir, et je vous prie de ne considérer que la sincérité et l'émotion, s'il se peut. 

portrait de Claire par Dominique Levacher, d'après photo
  

Trente-cinq ans

J'ai le clair souvenir de ce beau jour d’automne :
Tu es venue me voir ;
Il y avait en nos cœurs comme un air qui chantonne
Pour mieux nous émouvoir.

Et nous voilà partis, colline en bandoulière,
À la chasse aux aveux ;
Les oiseaux chantonnaient comme en une volière
Pour nous dicter des vœux.

Tu m’as pris par la main, mon cœur cessa de battre
Pendant un court instant :
Je décidai alors de compter jusqu’à quatre,
C’était trop excitant !

Voilà, tout était dit ! Ces mots si doux : « je t’aime »
Ont de nous débordé,
Comme pour mieux jeter en dehors de soi-même
L’aveu que l’on gardait.

Trente-cinq ans ont fui ! C’est long, et c’est rapide,
Ce fut plutôt heureux :
Notre sentier à nous était resté limpide,
À deux, c’est chaleureux.

Bien sûr, je fus parfois un peu désagréable :
Tu as bien résisté,
Comme fait dans le vent un navire gréable
Quand on l’a bien lesté !

Tu m'as pourtant quitté, sur un conseil ultime :
Aime, aime toujours.
Je suis allé sur mer rechercher dans l'abîme
Les plus beaux de nos jours.

Et je t'ai retrouvée ; tu m'as suivi dans l'ombre,
Quand la nuit me cernait.
Et j'ai senti sur moi, dans la cabine sombre,
Ton esprit qui venait.

Je saurai désormais qu'on est toujours ensemble :
Je n'ai pas oublié !
Trente-cinq ans, c’est hier, et tu vois, ma main tremble,
Comme un oiseau mouillé !

Quand je te reverrai dans mon dernier voyage,
Je te reconnaîtrai !
Comme hier, aujourd'hui, demain, au bout de l'âge
Tu diras ton secret.

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