dimanche 30 décembre 2007

30 décembre 2007 : Victor Hugo, encore et toujours !

Je voudrais terminer l’année sur un auteur évident, qui a érigé l’écriture en arme. Je n’ai jamais vraiment cessé de le lire. J’ai récemment renoué avec lui, pour lire à haute voix deux poèmes : Mon père, ce héros, et Les pauvres gens. Mais aussi pour me replonger dans Les misérables. Avec un bonheur de lecture inaltéré. Je redeviens le gamin de quinze ans qui découvrait ce livre-fleuve-épopée-somme...
L’exposition : Un juste – il s’agit de Monseigneur Myriel, est fabuleuse. Au sens propre, c’est une fable, et qui a beaucoup à nous apprendre ! Pourquoi ? Parce qu’on y voit l’évangile en action. Je ne sais pas qui me disait récemment : l’évangile n’est pas une idéologie qui a failli, puisque tout simplement la bonne nouvelle n’a jamais été vraiment appliquée. Est-elle inapplicable ? C’est à voir.
Ecoutons Monseigneur Myriel : "À ceux qui ignorent, enseignez-leur le plus de choses que vous pourrez ; la société est coupable de ne pas donner l'instruction gratis ; elle répond de la nuit qu'elle produit." Victor Hugo commente un peu plus loin, à propos de sa façon d’agir : Je soupçonne qu'il avait pris cela dans l'Évangile.
Plus loin, à propos de la peine de mort, et après que Monseigneur Myriel ait assisté un malheureux guillotiné :
L'échafaud, en effet, quand il est là, dressé et debout, a quelque chose qui hallucine. On peut avoir une certaine indifférence sur la peine de mort, ne point se prononcer, dire oui et non, tant qu'on n'a pas vu de ses yeux une guillotine ; mais si l'on en rencontre une, la secousse est violente, il faut se décider et prendre parti pour ou contre. Les uns admirent, comme de Maistre, les autres exècrent, comme Beccaria. La guillotine est la concrétion de la loi ; elle se nomme vindicte ; elle n'est pas neutre, et ne vous permet pas de rester neutre. Qui l'aperçoit frissonne du plus mystérieux des frissons. Toutes les questions sociales dressent autour de ce couperet leur point d'interrogation. L'échafaud est vision. L'échafaud n'est pas une charpente, l'échafaud n'est pas une machine, l'échafaud n'est pas une mécanique inerte faite de bois, de fer et de cordes. Il semble que ce soit une sorte d'être qui a je ne sais quelle sombre initiative ; on dirait que cette charpente voit, que cette machine entend, que cette mécanique comprend, que ce bois, ce fer et ces cordes veulent. Dans la rêverie affreuse où sa présence jette l'âme, l'échafaud apparat terrible et se mêlant de ce qu'il fait. L'échafaud est le complice du bourreau ; il dévore ; il mange de la chair, il boit du sang. L'échafaud est une sorte de monstre fabriqué par le juge et par le charpentier, un spectre qui semble vivre d'une espèce de vie épouvantable faite de toute la mort qu'il a donnée.
Aussi l'impression fut-elle horrible et profonde ; le lendemain de l'exécution et beaucoup de jours encore après, l'évêque parut accablé. La sérénité presque violente du moment funèbre avait disparu : le fantôme de la justice sociale l'obsédait. Lui qui d'ordinaire revenait de toutes ses actions avec une satisfaction si rayonnante, il semblait qu'il se fît un reproche.
Par moments, il se parlait à lui-même, et bégayait à demi-voix des monologues lugubres. En voici un que sa soeur entendit un soir et recueillit : – Je ne croyais pas que cela fût si monstrueux. C'est un tort de s'absorber dans la loi divine au point de ne plus s'apercevoir de la loi humaine. La mort n'appartient qu'à Dieu. De quel droit les hommes touchent-ils à cette chose inconnue ?
Dans un autre passage, il brave les préjugés de la population locale en se rendant au chevet d'un vieux conventionnel agonisant ; les deux hommes évoquent longuement la Révolution française ; si Mgr Myriel ne peut accepter 93 (titre d'un autre beau roman de Hugo), le sang versé et la mort du roi, il entrevoit par cette discussion la grandeur des idéaux révolutionnaires : il s'agit de se débarrasser du véritable tyran, c'est-à-dire de la fin de la prostitution pour la femme, la fin de l'esclavage pour l'homme, la fin de la nuit pour l'enfant.
Voilà : au moment où un peu partout dans le monde, de nouveaux misérables (pas des miséreux, mais des misérables dans le sens de méchants) appliquent la peine de mort de façon effrayante et récurrente : meurtres, guerres, viols (qui sont une autre forme d’assassinat), attentats…, Victor Hugo a beaucoup à nous apprendre par la voix et par la geste de cet évêque surprenant, qui vit l’évangile et l’applique. Songeons qu’il ne ferme jamais sa demeure ! Que loin de rejeter un bagnard, il le traite en invité de marque, sortant les couverts et chandeliers d’argent. On pourra trouver tout cela artificiel, trop moraliste, trop parfait. Ça me paraît plutôt rafraîchissant !
Même le grand Baudelaire a apprécié : Donc Monseigneur Bienvenu, c'est la charité hyperbolique, c'est la foi perpétuelle dans le sacrifice de soi-même, c'est la confiance absolue dans la Charité prise comme le plus parfait moyen d'enseignement. Il y a dans la peinture de ce type des notes et des touches d'une délicatesse admirable. On voit que l'auteur s'est complu dans le parachèvement de ce modèle angélique. Monseigneur Bienvenu donne tout, n'a rien à lui, et ne connaît pas d'autre plaisir que de se sacrifier lui-même, toujours, sans repos, sans regret, aux pauvres, aux faibles et même aux coupables. […] Les Misérables sont donc un livre de charité, un étourdissant rappel à l'ordre d'une société trop amoureuse d'elle-même et trop peu soucieuse de l'immortelle loi de fraternité; un plaidoyer pour les misérables (ceux qui souffrent de la misère et que la misère déshonore), proféré par la bouche la plus éloquente de ce temps. Malgré tout ce qu'il peut y avoir de tricherie volontaire ou d'inconsciente partialité dans la manière dont, aux yeux de la stricte philosophie, les termes du problème sont posés, nous pensons, exactement comme l'auteur, que des livres de cette nature ne sont jamais inutiles.
Oui, si les librairies et les bibliothèques regorgent de livres inutiles, il en est qui sont des phares qui rayonnent à jamais, et Les Misérables sont de ceux-là. Et tant pis pour les puristes qui n'aiment pas les bons sentiments ! Ces derniers nous aident pourtant à vivre...

samedi 15 décembre 2007

15 décembre 2007 : anniversaires

Ah ! ce mois de décembre ! Comme je l'attendais avec impatience quand j'étais enfant... Il me tardait tellement de grandir !

Pas tellement pour Noël, mais parce que c'était le mois des anniversaires : le mien et celui de mes deux frères... C'est aussi celui de Claire... Et de Gilles, mon jeune collègue...

J'ai pris l'habitude de le fêter en conviant les employés de mon ancien service à la BU : Pol, Patrick et Nadine ; je crois bien que c'est le quatrième repas que nous faisons ensemble à la maison, car nous avions commencé avant mon départ en retraite. Pourquoi les fêter eux aussi ? Parce que d'abord, ils ont dû me supporter pendant quelques années, ensuite, parce que je les connais depuis fort longtemps, l'un ayant été mon élève-bibliothécaire, les deux autres ayant travaillé déjà sous mes ordres au centre de formation des bibliothécaires (je les avais donc retrouvés avec plaisir pour travailler avec moi...)
, enfin, parce que j'ai eu le temps de les apprécier. Nous nous faisons des petits cadeaux, nous discutons famille, cinéma, air du temps. Et Claire est contente de recevoir du monde : elle leur avait concocté un rôti de porc aux pommes à l'oignon, figues et pommes de terre, un délice. Je crois bien que ça leur a fait plaisir aussi.

A cet "anniversaire", j'ajoute un autre repas où je convie Gilles, celui de mes collègues conservateurs avec qui je me sentais le mieux (il y avait aussi Pierre-Jean, mais il est désormais à Paris), et qui est resté un ami. Cette fois, j'y avais associé Jeanne Condamin, ancienne directrice de la Bibliothèque municipale. Comme Gilles, elle fait toujours partie de l'Association D'un livre l'autre, qu'elle a d'ailleurs contribué à créer il y a plus de vingt-cinq ans. Claire avait fait une délicieuse morue à l'aïoli (j'avais préparé moi-même ce dernier), Gilles avait apporté le vin blanc et les gâteaux. Jeanne, sa bonne humeur, ses souvenirs et de menus cadeaux qui nous ont bien fait plaisir. Elle a eu droit aussi à son cadeau d'anniversaire, bien que celui-ci soit en août !

Le bonheur de la convivialité... Le temps qui passe sans qu'on s'en rende compte...

Anne-Marie, ma soeur, et son mari Josué, étaient passés avant-hier, et on avait aussi fêté mon anniversaire : ils ont eu droit à une tarte à l'oignon maison au foie gras.

Hier au soir, j'étais au Temple, à une conférence-débat sur Planète : état d'urgence. je suis effondré de voir que ça attire si peu de monde. Nicolas Hulot a encore beaucoup de travail de médiation à faire pour que nous comprenions que nous usons nos énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel) à trop vive allure ! Des millions d'années pour qu'elles aient pu se constituer... Deux siècles seulement pour être épuisées ! Consolation : je suis rentré, à vélo, de nuit, sous une magnifique faucille lunaire... Poitiers était très belle.

Et encore aujourd'hui, Gilles et Jeanne partis, je suis allé à notre jardin associatif chercher notre panier composé de carottes, poireaux, navets, betteraves et radis noir. Il était déjà 5 h quand j'ai pris le chemin du retour. En débouchant du chemin de la Mérigote, j'ai découvert les grandes barres HLM des Trois cités sublimées par le rose du soleil couchant. Oui, la ville est belle, en tous lieux, quand on circule à vélo ou à pied.

dimanche 9 décembre 2007

8 décembre 2007 : enfances

Ce samedi 8, lecture à la Maison du temps libre de Vouneuil-sous-Biard, à l'invitation de Christine Blondet, de la troupe de théâtre de la DRAC. Petit public, mais attentif et chaleureux : tout le monde est resté pour le pot qui a suivi, et qui a duré assez longtemps, dans la nuit pluvieuse.

Alors qu'à l'origine, j'aurais dû lire le programme "pérégrinations", j'ai changé d'avis sur demande de Christine qui souhaitait que je lise une nouvelle de Georges Bonnet, notre écrivain poitevin. Puisque nous sommes dans le Poitou, effectivement, c'est une heureuse idée de lui rendre cet hommage mérité, une troisième fois, puisque j'avais déjà lu une de ses nouvelles inédites à la DRAC en octobre et une autre au Temple en novembre.

J'ai donc opté pour le programme "enfances", assez sensiblement modifié, dans lequel la nouvelle La case numéro 8 pouvait heureusement s'insérer. J'ai pu ainsi lire quatre récits brefs enchâssés entre deux poèmes. Un voyage autour du monde, puisque nous partions du Cameroun, avec le beau poème Dors mon enfant d'Epanya Yondo, pour achever sur Le globe de Nazim Hikmet.

Je tenais particulièrement à rendre hommage à ce poète turc, qui passa une majeure partie de sa vie en prison ou en exil. D'une part, parce que mes lectures en prison m'ont sensibilisé au problème de l'incarcération, et d'autre part, parce que je viens de me lancer dans Longue marche (3 vol., chez Phébus), de Bernard Ollivier, récit de son long voyage à pied sur la route de la soie. Il part d'Istamboul, et les péripéties de son périple à travers la Turquie contribuent à me rendre définitivement attachant le peuple turc, en particulier pour son hospitalité (cf notamment le chapitre 3 du 1er volume). Je suis à fond pour l'entrée de la Turquie dans l'Europe, ne serait-ce que pour nous rendre un peu plus hospitaliers !



En prose, nous sommes partis de France avec le beau texte de Christian Bobin, début de son roman La folle allure, puis nous sommes partis aux Etats-Unis avec Paul Auster, avant de bifurquer vers la Norvège avec un récit extrêmement sombre de Sigurd Hoel, puis pour finir sur le texte plus apaisant de Georges Bonnet.

Programme très éclectique donc, pour montrer qu'il n'y a pas une enfance, mais des enfances. Avec leurs joies (le premier amour chez Bobin, cette confiance absolue entre l'être humain et l'animal), mais aussi leurs peines : qu'il s'agisse de l'aversion alimentaire décrite par Paul Auster - et dont on sait qu'elle peut générer une angoisse terrible de l'enfant vis-à-vis de la nourriture, ou d'une éducation d'une sévérité inouïe et d'un rigorisme absurde, dans ce milieu protestant de Norvège de la fin du XIXème siècle, ou même de la cruauté des enfants en milieu scolaire, tempérée toutefois par l'amitié dans le beau récit de Georges Bonnet.

Et j'ai pensé bien sûr aux relations des enfants avec la bicyclette.

Depuis la rentrée, je participe à Vélo Gib', une animation de quartier (notre quartier s'appelle la Gibauderie) pour accompagner les enfants à l'école à bicyclette. Il faut voir la joie des enfants, leur apprentissage de la responsabilité et du code de la route, et leur plaisir du plein air, même dans le froid ou sous la pluie. C'est tout de même autre chose que d'être éjecté d'une automobile dans les embouteillages et les gaz d'échappement qui entourent l'école primaire, surtout qu'on passe par des chemins à l'écart des voitures ! Et c'est l'apprentissage aussi de l'autonomie pour, plus grand, aller seul au collège ou au lycée ! Et croyez-moi, les filles ne sont pas les dernières...

samedi 8 décembre 2007

6 décembre 2007 : De Sica et la bicyclette

Jeudi dernier, je suis allé voir Le jardin des Finzi Contini, avec Jeanne, l’ancienne directrice de la Bibliothèque municipale de Poitiers. Elle avait lu autrefois le livre de Giorgio Bassani et en avait gardé un souvenir suffisamment vif pour voir ce que Vittorio De Sica, l’immortel réalisateur du Voleur de bicyclette, avait pu en tirer.



Nous sommes sortis ravis du cinéma. Le film, datant de 1970, un des derniers donc de l'illustre cinéaste, à une époque où la critique le boudait, est ressorti en copie neuve cette année, et était projeté en prélude aux Rencontres Henri Langlois, Festival international des écoles de cinéma de Poitiers. Outre la discrétion et les nuances avec lesquelles Vittorio De Sica aborde la question peu connue (en France) de la montée de l'antisémitisme dans l'Italie de 1938, la finesse de touche dans la présentation des personnages, la luninosité des couleurs, l'élégance du jeu des acteurs, j'ai été séduit par la place centrale qu'occupe la bicyclette dans le film. Et, accessoirement, du livre et des bibliothèques...
Sans doute sommes-nous avant-guerre au début du film, puis pendant la guerre ensuite. L’automobile n’a pas encore acquis la place centrale qu’elle a aujourd’hui dans nos cités. Mais le bonheur de voir toute cette jeunesse effectuer la plupart de ses déplacements à vélo, et accessoirement à pied ou en train ! Peut-on dire que la tragédie vient ici de l’usage de la voiture ? Puisque c’est effectivement en automobile que les policiers viennent arrêter les familles et les transférer en prison, avant peut-être de les envoyer vers les camps d’extermination…
Et c’est le moment de se souvenir que De Sica, inventeur avec Rossellini du néo-réalisme, souligne avec sensibilité que dans les périodes troubles, personne n’est à l’abri de la tragédie. Qu’il s’agisse ici de familles patriciennes ou bourgeoises, mais juives, ou dans le justement fameux Voleur de bicyclette, des chômeurs de l’après-guerre. Dans les deux cas, le drame naît avec la perte d’identité et d’estime de soi : comment peut-on encore être soi quand on devient des citoyens de seconde zone ou un laissé-pour-compte du travail ? Et la bicyclette, très présente, joue un rôle de lien social que ne peut pas remplacer l’automobile.
Et si le réalisme, aujourd’hui, était d’utiliser plus ordinairement le vélo ? Si oui, nous allons vers un nouveau néo-réalisme… Que j’appelle de tous mes vœux ! N'est-ce pas pourquoi, chaque fois que je le peux, je vais au cinéma... à bicyclette !

jeudi 29 novembre 2007

29 novembre 2007 : Et qui est mon prochain ?



Photo Bernard Liégeois

Voilà, c'est fait. Je pensais bien un jour proposer des lectures dans une enceinte religieuse.
Le temple de l'église réformée de Poitiers a bien voulu m'accueillir le vendredi 23 novembre dernier !
Je me suis demandé un peu quelles lectures y faire. Je me suis souvenu de ce petit album que j'avais eu, enfant, et qui donnait l'intégralité de la parabole du bon Samaritain :


Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho. Il tomba au milieu des brigands, qui le dépouillèrent, le chargèrent de coups, et s'en allèrent, le laissant à demi mort. Un sacrificateur, qui par hasard descendait par le même chemin, ayant vu cet homme, passa outre. Un Lévite, qui arriva aussi dans ce lieu, l'ayant vu, passa outre. Mais un Samaritain, qui voyageait, étant venu là, fut ému de compassion lorsqu'il le vit. Il s'approcha, et banda ses plaies, en y versant de l'huile et du vin ; puis il le mit sur sa propre monture, le conduisit à une hôtellerie, et prit soin de lui. Le lendemain, il tira deux deniers, les donna à l'hôte, et dit : "Aie soin de lui, et ce que tu dépenseras de plus, je te le rendrai à mon retour." 
Enfant, c'est un texte qui m'a énormément marqué, au point que des années après, je le connais toujours pratiquement par cœur. J'ai pu constater que c'est loin d'être le cas, voire même qu'on ne comprend pas le sens de cette parabole, ce qui en dit long sur l'état de déchristianisation de notre société actuelle. Pourtant, ce ne sont pas les prochains potentiels qui manquent aujourd'hui : les étrangers, les sdf, les malades, les prisonniers, les vieux, les esseulés ou même les enfants livrés à eux-mêmes... Pour reprendre les termes de Dostoïevski, tous les humiliés et les offensés...
Le tout était de trouver des textes littéraires se rapportant à ce thème. Or, je venais de découvrir une des rares nouvelles optimistes de Maupassant, Le papa de Simon (in La maison Tellier), et j'avais en mains deux nouvelles inédites, de Georges Bonnet, Je n'aurais pas aimé qu'il dise merci, et de Michel Baglin, Noël au bout du quai, qui, toutes trois, rapportent une action comparable à celle du bon Samaritain !
Michel Baglin, je le connais depuis Auch, donc dans les années 70. C'était alors un jeune poète, qui débutait à La Dépêche du midi, où il exerce toujours, tout en publiant régulièrement poèmes et nouvelles. Son dernier texte, Les pas contés, carnets de Cerdagne, vient de paraître aux éditions Rhubarbe, dans la collection Chemins d'écriture. C'est un écrivain discret et fin.
Georges Bonnet, 88 ans, lui, est poitevin. Après une longue carrière de professeur d'éducation physique, ce grand lecteur s'est mis à écrire des poèmes, puis des proses. Ses deux derniers livres parus, le roman Les yeux des chiens ont toujours soif (Ed. le Temps qu'il fait), et les poèmes Un ciel à hauteur d'homme (Ed. L'escampette), sont exceptionnels de simplicité et d'humanité. C'est devenu un ami à qui je rends régulièrement visite, et qui m'a confié ses derniers manuscrits. Il m'a fait l'honneur de venir assister à la lecture.
Ces deux écrivains vivants étaient là en bonne compagnie, puisque, outre Maupassant, j'avais sélectionné des poèmes de Victor Hugo, Après la bataille et Les pauvres gens (dont je n'ai lu que la partie finale), qui nous montrent aussi des gestes de bons samaritains, accomplis par le général Hugo et par un couple de pêcheurs.
Une trentaine de personnes ont assisté à la lecture, quelques amis et connaissances, quelques protestants, et des inconnus, peut-être attirés par l'article que j'avais fait paraître dans le journal.
Nous avons terminé sur une chanson de Rezvani, Je ne suis fils de personne, tout à fait appropriée au thème - car qui est notre prochain, sinon le fils de personne ? - que Claire a chantée, et que j'ai accompagnée au refrain.

Je ne suis fils de personne,
Je ne suis d’aucun pays,
Je me réclame des hommes
Qui aiment la terre comme un fruit...

Rezvani


Photo Bernard Liégeois

Et j'achèverai par cette citation d'un des textes que je lis dans mon programme "voyage" :
Se dire à soi-même : "il fait beau dans mon coeur chaque jour de ma vie." Le dire aux autres. Et vogue la vie.

(Abdourahman A. Waberi Rift, routes, rails, Gallimard, 2000)

mardi 23 octobre 2007

23 octobre 2007 : Coucou, me revoilou !

De fait, me revoilà.
Après plusieurs mois de repos - très relatif, car je n'ai pas cessé de faire de vélo, dans la Vienne bien entendu, mais aussi en Bretagne le long du canal de Nantes à Brest, de Châteaulin à Malestroit, d'engranger des lectures, de lire à haute voix, en famille, à la Maison d'arrêt ou en public - je vais reprendre mon journal, au fur et à mesure de l'avancée du projet 2008 : cette fois, j'envisage de parcourir le sud et le sud-est, du Gers à la Savoie, probablement plus de 1500 km.
J'ai lancé quelques appels à des bibliothèques, sans grand résultat, faut bien dire. Je me rends compte que ça se fera plus par connaissances, bibliothécaires connus, famille, amis, que par un appel dans le désert. Ou bien on ne lit pas les courriers que j'ai envoyés, ou bien on ne sait plus écrire, puisque je n'ai guère de réponse, même par mél, ou bien on n'est pas intéressé par une animation gratuite, ou bien on a de mauvais échos de mes prestations du printemps dernier ! Tout est possible, il va donc falloir que je prenne mon bâton de pélerin, c'est-à-dire le téléphone, que je n'aime pas trop, avouons... Je préfèrerais être appelé, plutôt que de quémander une réponse !
Bon, on verra bien, nous ne sommes que fin octobre. L'an dernier, j'avais fait mes démarchages en janvier seulement, j'ai donc un peu d'avance.
La Bibliothèque départementale du Gers doit m'organiser ma semaine de départ, fixée du 24 au 29 mars... Dans l'Hérault et dans le Gard, j'ai des contacts avérés, des dates à fixer.
A l'occasion de Lire en fête, j'ai été invité à Auch récemment pour fêter Marius Noguès, le paysan-écrivain sur qui j'avais écrit une conférence en 1975 pour l'Association des amis de la Bibliothèque centrale de prêt. Ce texte a été publié deux fois, en préface à Grand guignol à la campagne, la nouvelle oeuvre que Marius venait d'écrire et dont il m'avait confié le manuscrit, puis dans le Bulletin de la Société archéologique, historique, littéraire et scientifique du Gers. Ce fut en fait mon premier texte publié.
J'ai retrouvé avec plaisir Marius, à peine marqué par les ans, 88 ans tout de même, toujours aussi féroce dans sa dénonciation de l'industrialisation de la campagne. J'en ai profité pour relire ses textes, qui n'ont rien perdu de leur fraîcheur et de leur charme, de leur poésie aussi ; j'étais enchanté.
Et j'ai revu aussi mes anciennes collègues, dont deux encore sont en activité, et qui m'avaient retrouvé grâce à mon site, retrouvailles chaleureuses, on a discuté "boutique", bien que j'ai un peu perdu pied depuis deux ans de retraite. Et l'ancien conducteur du bibliobus (74 ans), à qui me liait une sorte de fraternité semblable à celle des poilus : nos tranchées à nous, c'était les tournées de bibliobus, dont il faudra peut-être que j'écrive l'épopée un jour ! Il ne connaissait rien aux livres, mais a vite appris le classement, les différents genres de livres, et j'ai toujours été fier de lui. Pendant qu'on roulait, on discutait jardinage, campagne, oiseaux, chasse, vélo (il avait été coureur cycliste dans une vie antérieure), famille, ou je le laissais tranquille pour qu'il soit attentif à la route. On formait une belle équipe, il m'a toujours regretté, me l'a de nouveau répété. Je crois qu'il pensait ne plus me revoir. J'étais ému, mais lui peut-être plus que moi !
Quand je disais que ce projet me faisait remonter le temps !

vendredi 29 juin 2007

29 juin 2007 : codicille : le vélo, encore et toujours

Il n'est pas inutile de revenir sur les bienfaits de la bicyclette, dont les effets se font sentir encore près d'un mois après le retour. D'autant plus que, bien entendu, je n'ai pas cessé de monter sur ma bécane !
Ma vélo-thérapie (je songe à écrire un article, voire même un livre sur ce thème), car c'est ainsi que j'appelle ma manière d'utiliser le vélo, contribue fortement à mon bien-être. Et je suis persuadé qu'il y aurait beaucoup moins de monde chez les toubibs et les psys, beaucoup moins de déprimés, beaucoup moins d'obèses, beaucoup moins de "mal dans leur peau", si l'usage de la vélo-thérapie se répandait. Il ne s'agit nullement de faire la course et des exploits sans nombre : au contraire, je fais du 15 km/h en ville et du 18 à 20 à la campagne, ce qui est à la portée de tous. Mais de faire un usage habituel de la bicyclette, et de rendre à la voiture automobile son usage occasionnel, qu'elle n'aurait jamais dû perdre. Usage rendu nécessaire quand nous sommes plusieurs, bien sûr, ou pour transporter des éléments encombrants. Je me suis amusé un jour à faire des statistiques (qui valent ce qu'elles valent).
Sur un point donné, j'ai compté les voitures qui passaient devant moi pour aller dans la direction du centre de Poitiers : sur 1000 (je ne suis pas allé plus loin, mais le pourcentage n'avait guère varié depuis les cent premières), je n'en ai trouvé que 93 qui transportaient plus d'une personne, soit moins de 10%. Le co-voiturage est encore dans les limbes. Alors même que les bus, qui venaient pourtant du parcobus, où les automobilistes peuvent laisser gratuitement leurs véhicules, étaient pratiquement vides... Quel gâchis !
A tel point que j'envisage, quand nous abandonnerons notre voiture devenue trop vieille, de ne pas la remplacer, et de pratiquer la location quand le besoin s'en fera sentir, ou le taxi pour une course brève, si je n'arrive pas à grimper dans le bus. Avec moi, ce besoin est rare : je fais la majorité de mes courses à vélo, je vais au cinéma et au théâtre à vélo, je rends visite à mes amis et connaissances à vélo, je vais à notre jardin associatif "Jardi'nature" à vélo, je vais dans mes bibliothèques préférées à vélo, je fais le vaguemestre pour mes associations à vélo, tout ceci étant dans un rayon de moins de 10 km... En fait, dans une ville moyenne comme Poitiers, le vélo est le véhicule idéal. Et nul besoin d'avoir des mollets herculéens ou des épaules "mauresmoéennes", un peu de courage seulement (et encore au début seulement pour affronter les côtes du centre ville), puis on ne peut plus s'en passer.
Et je peux affirmer sans rire que mes jours sans vélo sont de loin les moins amusants de ma vie actuelle ! Autant que les jours - très rares - où je n'ai pas ouvert un livre !
Non seulement le vélo permet de vivre au grand air, non seulement il fait circuler le sang des pieds jusqu'à la tête, ce qui fait que le cerveau carbure à plein rendement, non seulement il assouplit le corps, mais surtout il donne une épaisseur au temps, ce fameux temps qui nous file soi-disant entre les mains. Il est curieux que plus les véhicules vont vite (automobiles, TGV, avions), plus les déplacements paraissent fastidieux, plus on a hâte d'arriver et plus on voudrait être arrivé presque avant de partir. A vélo, jamais ! On n'est jamais pressé (mon garçon de restaurant de Saint-Symphorien avait raison) et il arrive au contraire qu'on fasse des détours uniquement pour le plaisir de prendre le chemin des écoliers, un souvenir d'enfance sans doute... Détours qui m'étaient coutumiers en particulier quand j'allais au travail, je tenais, pour arriver en forme, à faire davantage que le 1,8 km qui me séparait de ma chère BU.
Chaque journée qui passe devient comme une rivière tranquille, qui s'en va vers l'océan, nous laissant calme et en état de grâce. L'oeil est sans cesse sollicité et souvent ravi, l'oreille et le nez aussi, du moins à la campagne, la peau frémit au vent et se colore sous le soleil... Tout se nuance, tout palpite, tout chante, tout charme... La nature, le ciel, les bois et les champs, les paysages, les villages et villes sont une scène sur laquelle nous jouons, et mieux qu'au théâtre, où nous improvisons notre partie. On se salue entre cyclistes, on s'arrête pour dire quelques mots aux personnes de connaissance, ou pour contempler une fleur ou un cheval, un château ou une église, on n'a surtout pas cette impression d'être enfermé dans une boîte.
Que du bonheur !
Et ma grande hantise est d'être atteint un jour de DMLA (dégénérescence maculaire liée à l'âge) ou d'affaiblissement progressif, d'être obligé en somme d'abandonner cet extraordinaire moyen de locomotion. Ce ne sera pas sans tristesse, alors que j'ai déjà fixé sans le moindre remords le jour où je déchirerai mon permis de conduire, ce chiffon de papier !
Et mon rêve, c'est comme Molière sur une scène de théâtre, de quitter définitivement ce monde sur mon vélo !

jeudi 7 juin 2007

8 juin 2007 : post-scriptum

Et voilà, la boucle est bouclée, la routine (peut-il y avoir de la routine avec moi ?) reprend ses droits : famille, maison, travail associatif, jardinature, qi gong, lectures, écritures et bicyclette...
Quel bilan tirer de cette expérience ?
D'abord, s'y prendre beaucoup plus tôt pour élaborer la tournée, afin d'avoir un planning un peu plus soutenu. Je n'ai eu qu'une seule semaine avec trois journées consécutives de lectures, c'est pourtant idéal : mardi, mercredi, jeudi. Avec éventuellement le lundi ou le vendredi, ça pourrait même aller jusqu'à quatre prestations par semaine. C'est un tel bonheur de partage avec ces publics si différents, et ça me donne une telle énergie, en plus de celle apportée par le vélo.
De ce côté, j'ai calculé que mes dix-sept jours réels de déplacement ont cumulé 1020 km de vélo, soit une moyenne de 60 par jour, moyenne très suffisante, mais c'est allé de 117 km une fois à seulement 10 km un autre jour. Je n'ai nullement l'intention d'accomplir un exploit extraordinaire... Restons modestes quant aux distances. Et, l'an prochain, partant de Toulouse pour rallier les Alpes, je ne reviendrai sans doute à Poitiers qu'à la fin, il faudra donc imaginer une autre forme d'itinéraire.
A cela se sont ajoutés les nombreux déplacements en train, soit pour couper court dans une étape trop longue, soit pour revenir à Poitiers le week end, parfois en laissant le vélo au loin. Le train, c'est merveilleux, surtout les TER, plus lents, que j'ai redécouverts à cette occasion, puisqu'ils sont seuls à prendre des vélos... Même moins confortables que le TGV, ils permettent une autre approche des paysages et des hommes. Et probablement j'utiliserai encore le train l'an prochain pour raccourcir certaines distances.
Les textes ? Certains n'ont pas fonctionné, soit parce qu'ils étaient mal placés : commencer par un poème, par exemple, n'est pas une bonne idée. Il est plus difficile de lire des poèmes que de la prose. Il faut donc avoir un peu échauffé le public - et soi-même - avant d'oser un poème. Soit parce que trop longs. En fait, à partir du moment où je faisais le choix de lire plusieurs textes, il fallait que chacun d'entre eux soit bref et percutant. Un texte trop long, peut-être moins passionnant, tombe mal et fait baisser la pression.
L'idée d'utiliser le bâton de pluie entre chaque texte,
suggérée par Claire et inaugurée dans les Landes, s'est révélée très positive, ça laisse de la respiration entre chaque texte, et le temps de souffler, tant au lecteur qu'aux auditeurs.
Le public a toujours été merveilleux. Bien sûr, je ne m'attendais pas à être chahuté ou sifflé... Quoique... Mais on aurait pu bailler, s'agiter, partir avant la fin... Surtout les jours où j'étais en moins bonne forme. Il faut dire que ne sont venus que des personnes intéressées. Parfois avec des enfants : je n'avais pas prévu la présence d'enfants, et il est certain que les textes n'étaient pas choisis spécialement pour eux.
Quand on m'a demandé de lire à un public spécifiquement scolaire, à Salies-de-Béarn, j'ai choisi parmi mes textes ceux qui me semblaient les mieux adaptés, l'un d'entre eux, sans action, ne convenait pas. De plus, il y avait deux classes, et donc un nombre trop élevé d'auditeurs : j'ai besoin d'un cercle restreint que je peux couver des yeux, en fin de compte pas plus d'une classe, mon animation n'est pas un spectacle. Il faudra donc que je prévois pour l'an prochain un programme spécifique "enfants", et peut-être un autre pour collégiens... Quant aux personnes très âgées, autre public particulier, j'ai été surpris par leur sérénité et leur qualité d'écoute. Là aussi, il faudra que je veille à trouver un programme adapté, le texte de Maupassant, même s'il leur a plu, n'était peut-être pas tout à fait indiqué. Par contre, les fables de La Fontaine, oui.
Un mot enfin sur les personnes qui m'ont accueilli et qui ont organisé ces rencontres : bibliothécaires professionnels ou bénévoles, membres de ma famille, gestionnaires d'associations, hôtes en famille ou en chambre d'hôtes, je n'ai eu qu'à me louer de leurs services. Tout était préparé avec le plus grand soin, le plus souvent un petit pot convivial suivait la rencontre. J'ai pu retrouver de nombreuses personnes perdues de vue depuis quelque temps, ce qui était un des objectifs de mon projet, et renouer des liens, et aussi découvrir des gens hospitaliers et originaux... Parfois même qui écrivaient, et qui m'ont fait part de leurs textes inédits ou de leurs livres publiés.
Ce fut un beau voyage, au sens vrai du terme, pas un simple transit... Grâce à la lenteur du vélo et aux sensations données par la durée et les paysages traversés, aux retrouvailles faites ici et là, aux souvenirs ressurgis, j'ai en quelque sorte remonté le temps...

lundi 4 juin 2007

2 juin 2007 : que la Charente est belle !

Juste le temps d'aller acheter du pain pour Maman et pour me préparer des sandwiches, et l'autorail de 8 h 48 m'attend. Adieux brefs, je rentre au bercail. Petite balade dans Bordeaux entre deux trains, le quartier Saint-Michel est noir de monde - c'est le grand marché du samedi - et de voitures au touche-touche. Dans le TER pour Angoulême, ancien, accrochage du vélo en l'air, pas facile, dans le local du contrôleur. Je le bloque à l'échelle avec un tendeur.
Impossible de faire Bordeaux-Poitiers avec un seul train, si on est à vélo. J'ai 5 heures de battement à Angoulême. Aussi, je décide de me rapprocher de Poitiers, au moins jusqu'à Ruffec. J'ai repéré sur la carte la route de Mansle, en passant par Balzac et Saint-Amant de Boixe. Oui, mais entre la carte et la réalité, c'est plus complexe, Balzac n'étant nullement indiqué sur des panneaux indicateurs à Angoulême... Après quelques détours, je finis quand même par trouver. La route est sympathique, succession de montées et de descentes qui laissent peu de temps au repos des jambes.
Sous le soleil, je traverse Balzac (très probablement site du château de l'écrivain du XVIIème siècle Jean-Louis Guez de Balzac, sans rapport avec le romancier du XIXème, à noter quand même que ce dernier a situé en Charente les débuts de Lucien de Rubempré, avant qu'il ne perde ses illusions à Paris, en compagnie de Vautrin et de courtisanes), puis Montignac, dont je salue le donjon altier, Saint-Amant de Boixe, où je m'arrête un instant pour souffler et visiter l'abbatiale, d'une magnifique architecture romane, lieu où souffle l'esprit.
Le département de la Charente est magnifique, mais ça n'est jamais plat. Ce devrait être une pépinière de champions cyclistes, car ça affûte les mollets et les cuisses, mais comme je ne croise aucun jeune, enfant ou adolescent, je doute encore d'un avenir pour le cyclisme professionnel en France. Il est vrai que les dernières révélations de Riis sur son Tour de France gagné à l'EPO n'ont rien d'encourageant. D'ailleurs, tout au long de mon parcours, et alors même que j'imagine dans ma tête une histoire de coureur cycliste (à écrire ultérieurement), je me demande quand même comment il est possible d'atteindre des vitesses moyennes de 45 km à l'heure, voire 55 ou plus dans les étapes contre la montre, sans être abominablement dopé. Certes, je ne suis pas un costaud. Certes, je ne recherche pas la vitesse, je baguenaude, je flâne, proche du chemineau. Certes, je n'ai pas un vélo profilé et super léger. Certes, je transporte des bagages... Mais tout de même, entre mes 20 km à l'heure (dans le meilleur des cas) et ces vitesses phénoménales, il y a une telle marge que j'ai du mal à comprendre... Et vu la vitesse atteinte dans les étapes de plaine, on voit bien que les vrais grimpeurs n'ont aucune chance aujourd'hui, étant laminés avant même d'entamer la montagne... En tout cas, sans dopage, de tels exploits me paraissent relever de l'impossible ! Et, dopés ou pas, je leur tire mon chapeau, sauf que je me demande ce qu'ils voient du paysage, eux...
A la sortie de Mansle, j'avise un petit panneau, RUFFEC 22 km, avec un dessin de vélo à côté. Voilà donc une "voie verte", puisque c'est ainsi qu'on désigne les voies agréables aux cyclistes en France, et où les automobilistes pressés sont priés de faire attention. Comme c'était la route que j'avais effectivement prévu de prendre, j'ai aperçu le panneau. Que n'en y avait-il un dès la sortie de la gare d'Angoulême ? Ça m'aurait évité bien des soucis pour sortir de la ville. Je traverse Bayers, où je regarde un instant le beau château médiéval, puis Verteuil-sur-Charente, "village historique" aux maisons anciennes nombreuses, et où fut fondée, en 1958, l'Association des Vieilles Maisons Françaises, dans le château, précisément. Visiblement, le site est très touristique : nombreuses chambres d'hôtes, cars, voitures en grand nombre. Je croise deux cyclistes surchargés qui descendent, sans doute vers Compostelle.
Ruffec aussi est une belle bourgade. Au passage, je vois que la Médiathèque, qui était à l'état d'avant-projet quand j'étais à la DRAC, est sortie de terre, et semble fort belle, derrière ses verrières teintées. C'est là que je reprends le train pour Poitiers, car avec tous mes arrêts, et ma vitesse moyenne lente, je n'ai plus assez de temps pour atteindre la gare suivante : Saint-Saviol, qui semble d'ailleurs assez difficile à trouver, étant située en rase campagne. Rossinante n'en peut plus. Et moi non plus... Pas de crevaison dans ces 1020 km (total de mes randonnées de cyclo-lectures, le reste étant du train), ni une goutte de pluie... Mais je n'aurais pas souvent eu le vent dans le dos, ce qui m'aurait bien aidé parfois... Toutefois, à défaut de piqûre d'EPO, je me suis shooté à la POEsie, c'est aussi bien, et nettement meilleur pour la santé.
Après être sorti sans problème de la gare de Poitiers, je rallie la maison, aussi hâve, paraît-il, que le chevalier à la triste figure, et prêt à jouer Don Quichotte dans le futur...
A suivre...

1er juin 2007 : vieilles dames, La Fontaine et amandines

Ce matin, la pluie s'arrête pour reprendre une demi-heure plus tard, et ainsi de suite. "Les giboulées de mars en juin", me dit Claude, qui a dû rallumer le chauffage : quand il est revenu de Paris, où il a rendu visite à sa fille après le décès de son oncle, il ne faisait plus que 11° dans la maison ! J'avais eu l'intention d'aller à Lembeye à vélo pour explorer le terrain, mais il m'en dissuade. Et c'est en voiture que je rends une première visite à la MARPA (Maison d'Accueil Rurale pour Personnes Agées). La directrice nous reçoit dans la salle commune d'un superbe bâtiment tout en longueur, adossé à la colline, qui comprend vingt appartements de 30 m². Chaque résident apporte ses meubles. La maison n'est pas médicalisée, mais toute une noria d'infirmiers libéraux, de médecins, de kinés, d'auxiliaires de vie, vient chaque jour apporter les soins nécessaires. C'est qu'ici on a plus de 85 ans, et souvent plus de 90. Chacun peut sortir s'il le souhaite, faire ses courses, voir le médecin à l'extérieur, garder un chien aussi, faire sa cuisine dans sa kitchenette. Un vieil ami du village de Claude, à 97 ans, fait tous les jours le tour de Lembeye à pied, et a adopté un petit chien qui le suivait. Il le garde dans sa chambre, où le chien-roi occupe le fauteuil relax, tandis qu'il s'assied lui-même sur la chaise. Enfin, on fait tout ce qu'il faut pour que les pensionnaires se sentent bien, et visiblement, c'est le cas.
14 h : une éclaircie, et même un soleil de plomb ! Adieux à l'homme aux chats, on se reverra... Vite, j'enfourche Rossinante. La longue descente vers Lembeye, sur la route mouillée que j'aborde prudemment, me donne les larmes aux yeux. La montée suit, 2 km seulement, mais avec des ressauts un peu plus raides. En arrivant à la MARPA, je suis trempe de sueur et dois aller m'éponger et me changer aux toilettes. J'installe le vélo en fond de scène dans la salle commune, avec en face de moi le magnifique panorama de la vallée par l'immense baie vitrée, et peu à peu, les résidents arrivent, à pas menus, et viennent me saluer. Les bibliothécaires de Lembeye, qui animent un atelier lecture tous les lundis (car, comme m'a dit la directrice, plusieurs personnes sont atteintes de dégénérescence maculaire et ne peuvent plus lire, elles leur ont ainsi lu récemment Le petit prince en feuilleton), sont là, ainsi que la directrice et une auxiliaire de vie qui amène un résident sur son fauteuil roulant.
C'est la première fois que j'ai affaire à des personnes si âgées, j'ai prévu d'écourter, un programme de 45 minutes, trois récits et trois poèmes seulement, dont deux fables de La Fontaine, pensant que notre fabuliste national rappellera quelques souvenirs. Et je ne me trompe pas, quand je me lance dans Le renard et la cigogne, une vieille dame à ma droite, probablement de plus 90 ans, le dit en même temps que moi. En fin de compte, tout le monde semble ravi, et la directrice n'a plus qu'à servir le goûter : des amandines, spécialité du pâtissier local, et du vin blanc doux. Un grand merci pour l'accueil, je serre toutes les mains, et repars.

C'est nuageux, avec du ciel bleu, et surtout très venté. Tant que je reste sur les coteaux du Vic-Bilh, qui abrite les vignes du Madiran, c'est supportable. Mais quand j'arrive dans la vallée de l'Arcis, qui me conduit jusqu'à Aire-sur-l'Adour, je suis dans un véritable couloir à courants d'air, et, bien sûr, avec le vent de face, puisque je vais dans la direction du nord-ouest. C'est très pénible. La traversée d'Aire est pire encore, mais là, ce sont les voitures qui encombrent les rues sur des kilomètres de bouchons : on dirait une agglomération de 100 000 habitants, alors qu'il n'y en a que 5 ou 6000 ! De gros départs dus à la fête des mères ? J'en suis réduit à rouler sur le trottoir pour avancer malgré tout, car le soir est proche, et je veux être chez Maman avant la nuit. La sortie d'Aire est interminable, les lignes droites des Landes commencent, heureusement le vent est maintenant de côté.
Enfin, je rejoins la route du Houga et reprends la direction de l'ouest, côtes et descentes se succèdent, le vent s'est calmé... Maman m'attend, m'annonce qu'elle a quelques petits pépins de santé - une forte anémie et un déficit en fer - et a failli être hospitalisée le jour même, je compatis, lui trouve en effet le teint jaunâtre, mange, regarde un peu la télévision avec elle, mais une fois au lit, la fatigue et l'inquiétude m'empêchent de m'endormir vite...

dimanche 3 juin 2007

31 mai 2007 : l'homme aux chats

Je quitte Leren et mon cousin. Plus dissemblables que nous, tu meurs ; lui, fort, massif, remuant et bougon, moi, malingre, mince, posé et placide, et pourtant notre amitié de vacances - comme on dit amour de vacances - qui a couru de 1952 à 1962 environ, a été d'une force incomparable, une complicité de tous les instants. Dans cette ancienne école libre où il habitait, la salle de classe était un terrain de jeux fabuleux, avec le préau attenant qui nous protégeait de l'ardeur du soleil. Lui aussi ne possédait qu'un seul Tintin, L'oreille cassée, livre qui nous a fait rêver de voyages exotiques et initié à la géopolitique. On imagine mal, aujourd'hui, dans la profusion de "choses", de jeux, de livres, dont disposent les enfants, combien des objets uniques nous nourrissaient mentalement et quelle imagination nous déployions dans nos jeux ! C'était une invention de tous les instants, et même le soir encore, puisque nous dormions ensemble ; pour nous calmer, mon oncle devait parfois venir nous séparer, il restait avec Michel et m'envoyait finir la nuit avec ma tante... Jours évanouis qui remontent à la surface...
 

A Salies-de-Béarn, ces dames bibliothécaires pour tous ont fait venir deux classes de 8 à 11 ans pour mes lectures. Une bonne quarantaine d'élèves, si ce n'est plus, c'est beaucoup. Le résultat est mitigé, j'ai fait un peu trop long, et surtout un des textes ne convenait pas, trop poétique et sans action. Mais j'ai fini par le Blondel, quelque peu édulcoré, et les enfants ont bien ri. Petite discussion ensuite avec les bibliothécaires, dont l'une, de loin la plus jeune, fait du théâtre et va bientôt animer un week end d'initiation pour adultes. Une autre a une fille libraire.
Le temps étant incertain, je ne m'attarde pas et gagne Orthez par une petite route. Au village de Salles Mongiscard, je remarque le panneau cimetière protestant (quelle drôle d'idée de se séparer aussi dans la mort !), je suis bien dans le Béarn parpaillot du bon roi Henri. J'ai un peu de temps à tuer à Orthez avant le train pour Pau, j'en profite pour jeter un oeil sur la Tour Moncade et le pont médiéval et rêver à Gaston Phébus, dont nous parlait Pierre Tucoo-Chala, un de mes maîtres à l'Université.
Pau : la sortie de la gare est très pénible. C'est que les préparatifs pour le Grand prix automobile battent leur plein. Résultat, je me perds un peu et me retrouve à Bizanos. Un coup d'oeil sur la carte me remet sur le droit chemin, et je finis par trouver la route de Morlaas. Des côtes, relativement plus importantes que toutes celles que j'ai eues jusqu'à présent, m'attendent dans ces confins du nord du Béarn. Quand j'arrive enfin à Simacourbe, pas besoin de tourner en rond comme à Leren. Dans la petite rue que je prends, j'aperçois des chats qui se promènent comme chez eux. J'en conclus que je suis donc arrivé.
Claude, qui me reçoit, est le père de notre amie Sylvie. Agé de soixante-quinze ans, c'est un pyrénéen aguerri, qui vit seul dans une grande maison entouré d'un immense jardin, parc sur le devant, potager à l'arrière. Seul, pas tout à fait... Je le surnomme L'homme aux chats, il en a deux à lui, qui se promènent orgueilleusement dans la maison, et une vingtaine qui rôdent alentour et qu'il nourrit avec amour. Il les connaît individuellement, c'est une passion chez lui. Ce qui ne l'empêche pas de rendre de grands services à ses voisins dans le village : c'est qu'il est un des plus jeunes ! Il a dû s'occuper depuis l'automne dernier d'un de ses oncles, âgé de 93 ans, et qui vient de s'éteindre.
Il m'a préparé une bonne soupe de légumes de jardin et des petits pois, du jardin aussi. Les pluies continuelles de ce printemps, aussi bien que les soins incessants accordés à l'oncle, ne lui ont pas permis d'avoir un potager magnifique cette année. Les arbres fruitiers - comme chez mon cousin - ne donnent rien, tant la pluie a lacéré les fleurs. Pour le consoler, il a droit à une lecture, puisqu'il m'annonce qu'il ne pourra pas assister à ma prestation demain après-midi.
Et, comme pour donner du corps à ses paroles, une pluie battante me réveille en pleine nuit. Le déluge : j'ai de la chance, je ne suis pas sur le vélo !

jeudi 31 mai 2007

30 mai 2007 : L'Eternel est mon berger

Je ne sais pas si je crois en Dieu... Je ne le savais pas non plus quand j'étais adolescent, et j'ai reculé autant que faire se pouvait le temps de ma confirmation au Temple. De guerre lasse, j'ai fini par dire oui au pasteur (tout en pensant aux paroles de Brassens "Faites semblant de croire et bientôt vous croirez"), et j'ai suivi à Pâques 1964 - j'avais donc déjà dix-huit ans - une retraite de trois jours à Salies de Béarn, pour me préparer à cette étape importante. Voici que maintenant je reviens pour des lectures dans cette même petite localité qui affiche sur une pancarte à l'entrée : CULTE PROTESTANT DIMANCHE 10 h, alors même que rien n'indique le culte catholique. C'est suffisamment rare en France pour qu'on le remarque.
J'avais choisi comme texte de confirmation à proclamer devant toute l'Assemblée le début du psaume 23 : L'Eternel est mon berger, je ne manquerai de rien. Bien m'en a pris, car il faut croire qu'un berger me protège effectivement. En toute logique, sans les secours de la médecine moderne, j'aurais déjà dû mourir deux fois, en 1968 et en 1996. Si j'étais né en Afrique ou en Amérique latine, probablement je n'aurais pas survécu. Il y a du miracle là-dessous ou bien un Dieu inconnu, un berger...
Et ce berger éternel, sans cesse renouvelé, je l'ai rencontré à plusieurs reprises dans ma vie, sous la forme d'une grand-mère aimante et chaleureuse, d'une mère effacée mais attentive, d'un père craint et parfois détesté, mais en fin de compte juste, d'un grand frère protecteur, de mes autres frères et soeurs, tant aimés que j'ai attendu que les dernières soient majeures pour fonder ma propre famille, de l'instituteur qui a su découvrir mon intérêt pour l'histoire et la géographie, de mes nombreux oncles et tantes qui m'ont enseigné le sens de la tribu, de mon copain de lycée, véritable alter ego, qui m'a plongé dans l'imaginaire et la rêverie, m'a insufflé le goût de lire et de pratiquer l'amitié, de mon professeur de français en seconde qui m'a fait comprendre les beautés de la littérature, de cet autre professeur d'histoire-géographie, créateur du ciné-club du lycée, et qui nous a appris l'histoire du cinéma en visionnant des chefs-d'oeuvre, de mes camarades d'université qui m'ont donné l'envie du partage du savoir, de John et de Jacques, avec qui j'ai appris la soldarité active en autogérant une auberge de jeunesse "libre" de mai à septembre 1973 , de Piotr, puis de Marcin, de Peter et de Pat, qui m'ont ouvert à l'étranger, et pour Peter, initié à l'opéra, de Patrice, qui m'a guidé dans le monde de la science-fiction, des quelques ami(e)s qui ont su me faire sortir de moi pour me faire découvrir et pratiquer la course à pied, la marche en montagne, le chant choral, le théâtre, le qi gong, les voyages, des collègues qui ont su devenir des ami(e)s, de mes nombreux élèves-bibliothécaires qui m'ont forcé à être pédagogue (je pourrais dire pédagoguenard) sans devenir pédant, des écrivains et poètes avec qui j'ai passé des heures délicieuses et qui m'ont entraîné sur les voies les plus diverses, des chanteurs qui nous conduisent "à travers ciel au père éternel" par leurs mélodies et la fraîcheur de leurs paroles, et des trois personnes qui ont rempli la deuxième moitié de ma vie, Claire qui m'a guidé sur le sentier de l'amour et de la construction d'une vie altruiste, Mathieu et Lucile enfin qui m'enseignent que la vie n'est pas une fin... Sans compter les deux bergers réels avec qui je me suis lié d'amitié, Gilles et Robert, de tempéraments très différents, mais chacun artiste à sa manière.
Quant à ceux qui m'ont humilié, violenté, trahi, il faut croire qu'ils ont été eux aussi les émissaires de ce Dieu inconnu qui veille sur moi, car ils m'ont obligé à rebondir, à ressusciter, à faire front, à être toujours du côté des idiots, des humiliés et des offensés, pour reprendre les termes de Dostoïevski. Je pourrais dire aussi avec Frantz Fanon du côté des damnés de la terre. Et à faire, en dépit de tout, confiance en la vie, plus forte que la violence, que la déchéance, que la misère, que la méchanceté, que la souffrance... Et pour cela, à ignorer la haine qui pourrit la vie !
L'éternel est mon berger, je ne manquerai de rien. Et il faut croire que je n'ai manqué de rien, et encore aujourd'hui du beau temps qui continue à me sourire dans ma randonnée de cyclo-lecteur, à travers ces verts pâturages du Béarn.
Si Dieu existe, il est dans toutes les personnes que l'on rencontre, car chacune nous apporte ce petit plus qui fait que l'on ne manque de rien et que l'on ressuscite à chaque instant, grâce à ce nouvel apport : c'est peut-être cela, la foi en l'éternité...

mercredi 30 mai 2007

29 mai 2007 : la voie ferrée a disparu !

Retour à Mont de Marsan par la voie classique : le train. Comme il est déjà 14 h 15 quand j'arrive chez Maman pour récupérer mon vélo, pas question de m'attarder, il y a 80 km jusqu'à Leren, où mon cousin et sa femme m'attendent dans la soirée. De plus, le temps est menaçant. En tout cas, couvert, de temps en temps quelques gouttes... Ma visite est donc courte, juste le temps de déposer mes cadeaux (d'anniversaire pour l'une de mes soeurs jumelles, Flore, et deux pots de confiture "maison" à Maman), de lui pré-ouvrir des bouteilles d'eau de source (elle n'y arrive plus), de prendre des nouvelles et de boire un café, de reprendre mes sacs et de charger Rossinante, et déjà je m'élance sur les routes.
Passage au Leuy, où je vois le panneau : CAUNA 6 km, c'est le village de mon enfance. Plus loin, Souprosse, où vivaient dans une ferme une grand'tante et son fils. Je traverse l'Adour aux flots tumultueux, un vrai fleuve jaune... Enfin la Chalosse, où curieusement je n'ai jamais fait de vélo, restant toujours au nord de l'Adour dans ma jeunesse. Mugron, Montfort en Chalosse, Habas... Le paysage est plus mouvementé, un peu plus habité que la Haute Lande, quelques boqueteaux de pins ou de chênes, des vallons de prairies ou de céréales, des plantations de kiwis... Temps toujours gris, une goutte de temps en temps, c'est finalement très agréable, pas de suée en perspective.
Et quelques côtes, heureusement longues et à faible pourcentage. Plus plongée vers la vallée des deux gaves, d'abord le Gave de Pau, puis le Gave d'Oloron. A Labatut, je traverse la voie ferrée de Bayonne à Pau. Et soudain, bon sang, mais c'est bien sûr ! Où est passée la voie ferrée de Mont de Marsan à Dax ? J'aurais dû la traverser sur un pont ou un passage à niveau. Elle a tout bonnement disparu. Même pas transformée en piste cyclable, car ainsi je l'aurais vue... Non, plus rien. Tout un pan de mon enfance encore qui s'évapore : adieu à la fameuse pauline - c'est ainsi qu'on appelait la micheline - dont on entendait le klaxon aux passages à niveau depuis chez nous, malgré la distance : la voie ferrée passait de l'autre côté de l'Adour, à 4 km à vol d'oiseau de la maison !
Et puis voici que le géographe est pris en défaut : à Leren, je tournicote un bon quart d'heure en essayant toutes les routes à droite, je ne reconnais rien... Je finis par décrocher mon téléphone portable, accablé, pour me faire indiquer la route à prendre, il fallait tourner à gauche. J'étais pourtant sûr... La vieillesse, pour sûr... Que j'aimerais avoir trente ans de moins !
Mais l'accueil des cousins est chaleureux, et le chien Nektos m'a à la bonne, il m'a reconnu, je me sens comme Ulysse de retour à Ithaque...

lundi 28 mai 2007

28 mai 2007 : du glanage et du sens

C'est le temps des cerises, et voici que je découvre que, dans le parc tout près de chez nous, des cerisiers sauvages sont couverts de fruits, petits certes, mais délicieux. Le bonheur de glaner... Encore un petit bonheur, cher à Félix Leclerc, et qu'il convient de ne pas laisser perdre. Avec Jardinature, notre jardin collectif, j'ai fait connaissance d'une nouvelle plante sauvage, l'arroche rouge, aux feuilles triangulaires larges et brun rouge. Une sorte d'épinard, en fait, l'arroche peut se manger crue avec une salade ou des tomates (jeunes feuilles) ou cuite (en soupe, c'est ce qu'on a fait, délicieux). Dans notre propre jardin les fraises des bois, qui sont venues on ne sait d'où (on ne les a pas plantées), se sont multipliées, et rougissent agréablement en ce moment, aimantées par le soleil et la pluie.
En ce lundi de Pentecôte, je ne comprends pas. Les gens ont l'occasion de ne pas travailler (les administrations et pas mal de commerces sont fermés) ; voilà-t-y pas que sur la rocade, d'où je revenais sur mon vélo de ma séance de mise en forme (échauffement physique et massage), luttant contre le vent, les voitures étaient plus nombreuses qu'un lundi normal à la même heure ! Le parking de l'hypermarché était bondé...
N'a-t-on pas mieux à faire un jour de non-travail ? Est-ce nécessaire de prendre encore et toujours sa voiture ? Consommer est-il le seul signe de notre existence ? Alors qu'on dispose d'un peu de temps supplémentaire pour s’occuper des enfants, faire du jardinage ou du bricolage ou du sport, aider les vieux du voisinage ou des handicapés (si, si, ça existe) ou aux devoirs scolaires dans une association, trouver du temps pour aimer (le monde occidental souffre du manque d’amour, malgré les apparences de la sexualité soi-disant libérée et débordante, qui n’a que peu à voir avec l’amour), lire ou écrire (pourquoi pas ?), militer, pêcher à la ligne ou s’adonner à un art (dessin, musique, écriture, conversation…), bref, du temps pour essayer de donner du sens à la vie, ne peut-on pas trouver autre chose à faire un tel jour ?
On peut et on doit construire sa propre vie. Bien sûr, on bénéficie d'aides nombreuses pour cela : l'éducation d'abord, le savoir intellectuel ou technique, la philosophie, les religions, les arts et la littérature, les jeux et les sports, etc. Il y a une infinie richesse à cueillir, et qui, souvent, coûte peu : aimer, lire, partager, par exemple, ne coûtent rien. Par contre, il y faut une motivation toujours, un désir souvent, un effort en général (maîtriser une technique, aller vers les autres ou vers une oeuvre d'art, aimer vraiment, réclament les trois), et du temps. Or, que fait-on de ce temps ?
Les congés payés autrefois, les 35 h aujourd'hui, ont libéré du temps. Si c'est pour courir les hypermarchés, polluer et réchauffer la planète en augmentant sa ration kilométrique par des déplacements insensés, s'affaler devant la télé-publicité ou consommer davantage de bière, de whisky, de cannabis ou de tabac, en rêvant de toujours plus d'argent, et en oubliant de révéler le sens de notre vie, c'est bien triste.
Pour énormément de gens, le travail est alimentaire. Les périodes de non-travail (repos, congés, retraite) peuvent et doivent être enrichissantes, puisqu'on peut enfin se livrer à ce qu'on est capable de faire avec plaisir. Mais ça suppose une foi dans la vie qui manque cruellement dans notre monde occidental. Quand je vois des malades, des handicapés, qui déplacent des montagnes, parce qu'ils l'ont, cette foi, chevillée au corps et au mental, je comprends que l'excès de sécurité du monde moderne ne prédispose pas à la joie simple, aux petits bonheurs...
Et je reviens au glanage : voilà qui ne coûte rien !

dimanche 27 mai 2007

27 mai 2007 : comme le temps passe

Hier au soir, retrouvailles avec Pierre-Jean Riamond, mon ex-jeune collègue conservateur, aujourd'hui à la BNF, au département des manuscrits, et toujours en quête - au bout de deux ans - d'un logement décent et abordable à Paris. C'est tout simple, il n'y en a pas !
Pauvre France : si un conservateur de bibliothèque (dont le salaire, sans être astronomique, est quand même nettement au-dessus du SMIC) n'arrive pas à se loger, c'est que Paris, et la France entière, sont sous la coupe d'une mafia (je ne vois pas d'autres mots) de propriétaires, que nos banquiers appellent des investisseurs, et qui en fait ne sont que des suceurs de sang et de vie : à la limite à quoi bon augmenter les salaires, si c'est pour que ça retombe dans l'escarcelle de ces exploiteurs, de ces vampires !
Tant pis si je me fais encore taxer d'ultra-gauchisme, mais quand je vois que la mise en place de l'allocation-logement a entraîné une hausse des loyers scandaleuse, qui fait que cette allocation ne bénéficie pas aux locataires, mais engraisse encore plus les propriétaires, j'approuve totalement les mesures de la Commune de Paris en 1871 qui avait en particulier, par décret du 29 mars (donc une des toutes premières mesures) remis les loyers non payés d'octobre 1870 à avril 1871... On comprend mieux pourquoi la bourgeoisie a éliminé la Commune avec une rare violence, et a détesté, et déteste encore les Communards : pensez donc, des gens qui touchaient au sacro-saint droit de propriété !...
Comme quoi les bonnes intentions, qui sont parfois de gauche, mais peuvent aussi être de droite (l'allocation-logement semble avoir été créée en 1948, au moment de la libération des loyers), ont des effets secondaires qui profitent toujours aux mêmes ! A défaut d'un blocage des loyers, je suis partisan d'une sévère taxe sur leurs montants, à partir d'un seuil à définir, qui pourrait être l'équivalent du loyer des HLM, ce qui encouragerait peut-être certains propriétaires à réviser à la baisse... Mais ça ne semble pas être dans l'air du temps. Non, on préfère laisser les gens à la rue... Et rendre ainsi la rue dangereuse ou désagréable...
Avec Pierre-Jean, je suis allé voir mon ex-compagnie de théâtre jouer une pièce anonyme du XVIème, La vénitienne. Huit ans déjà - comme le temps passe - qu'ils font du théâtre sous la houlette d'Hervé Guérande-Imbert, formidable comédien et pédagogue, à qui je dois beaucoup pour la réussite de mes cyclo-lectures, tant pour la position de la voix que pour la gestuelle ou les silences, ou simplement pour me sentir à l'aise dans mon corps et dans mes déplacements, pour ne plus avoir peur de toucher l'autre ou d'être touché... Embrassades avec les comédiens : "Tu nous manques beaucoup !" C'est réciproque. Une belle soirée. En seconde partie, la troupe de Montamisé, avec qui j'ai joué Feydeau il y a deux ans, a donné des sketches de Karl Valentin et de Roland Dubillard. Epoustouflant de brio dans l'absurde... Peut-être des textes à dire en solo à la prison ou au cours de mes cyclo-lectures... Utile donc, en plus d'être agréable, d'aller écouter et voir les autres !!!
Affiche de la pièce donnée au Théâtre du Rond-^point, à Paris, en 2000
Après le temps comme durée, voyons le temps comme climat : j'ai eu une chance inouïe depuis mon départ, pas une goutte de pluie, du soleil souvent - et j'aime cette douce chaleur sur mon dos et mes jambes - mais, depuis deux jours, un vent violent, de la pluie... Je m'inquiète un peu pour ma semaine prochaine qui sera à la fois montueuse - je traverserai la Chalosse et le Béarn - et peut-être sous le signe du mauvais temps... Ce dernier n'est pas comme le temps passé, qui selon Brassens, est toujours joli !

samedi 26 mai 2007

26 mai 2007 : 28 ans déjà, c'est beau la vie

Retour à Poitiers dans des trains presque pleins. Bizarre : s'agit-il du long week end de Pentecôte (mais le lundi n'est plus férié), ou bien de l'effet des 35 heures qui libère le vendredi après-midi pour nombre de gens ? Et pas mal de vélos dans le TER de Mont de Marsan à Bordeaux... Prévoir donc d'arriver vingt bonnes minutes à l'avance lors du grand retour : 2 juin prochain.
Vendredi soir, au Festival de Vivonne, nous assistons au concert de Gillie McPherson, la chanteuse irlandaise. Nous sommes fidèles à ce Festival, et l'an passé, avions redécouvert Nadau (qui s'appelait autrefois Los de Nadau), un groupe béarnais qui chantait en occitan des chansons souvent humoristiques avec un entrain formidable. Mais là, nous sommes un peu déçus : la voix doit être belle et veloutée, mais en chantant, elle s'égare dans la raucité un peu trop souvent, et les arrangements sont un peu trop électriques pour mon goût. Dommage, certaines chansons étaient très belles...
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Et aujourd'hui, nous fêtons nos vingt-huit ans de mariage, noces de nickel, paraît-il. Vingt-huit, beau nombre. Contre vents et marées, nous avons surnagé dans les méandres de la conjugalité, devenue difficile en ce début de XXIème siècle, si j'en juge par ce que je vois autour de moi. Mais j'ai toujours fait ma devise de la chanson de Jean Ferrat, C'est beau la vie, que chantait aussi Isabelle Aubret, et en particulier de cette strophe :

Tout ce que j'ai failli perdre
Tout ce qui m'est redonné
Aujourd'hui me monte aux lèvres
En cette fin de journée


Repas au restaurant chinois, où un vieux monsieur à la table voisine nous dit avoir découvert la cuisine asiatique lors de la guerre d'Indochine, en 1949. Depuis, il y est resté fidèle. Me reviennent alors en mémoire les années 52 à 54, où, sachant lire, je découvrais à la fois l'histoire en train de se faire et la géographie au travers de cette guerre justement, dans le quotidien Sud-Ouest, qui titrait souvent sur l'Indochine et publiait des cartes du théâtre des opérations. Mon goût pour les cartes géographiques, ma passion de l'histoire sont-ils nés là ?
Après tout, c'est bien dans ce journal-là aussi que j'ai pris goût au cyclisme en vibrant aux exploits de Fausto Coppi, puis à partir de l'année suivante, de Louison Bobet. Bien que très jeunes, mon frère aîné Michel et moi, nous lisions tous les articles consacrés au Tour de France, et, pour vérifier les résultats et les classements, nous avons appris en un rien de temps les tables de multiplication, à additionner, soustraire, multiplier et diviser, et, dès l'âge de sept ou huit ans, savions calculer les moyennes horaires, additionner des heures, des minutes et des secondes, et suivre sur la carte de France les déplacements des coureurs.
Envoyé en vacances chez mon cousin de Gouze, dans les Basses-Pyrénées, où ma tante était chargée de me remplumer, je continuais à vivre aux accents du Tour. Admirables oncle Alfred et tante Marie qui, à défaut de me "remplumer", ont réussi à me faire aimer passer à table, ce qui n'est déjà pas si mal, car c'était loin d'être gagné, mon aversion pour le beurre et les produits laitiers me faisant redouter tout ce qui était contenu dans une assiette ! Et aussi à m'apprendre à faire du vélo, au prix d'une de mes dernières dents de lait qui s'est cassée lors d'une chute mémorable...
Et c'est à eux que je dédierai en pensée mes dernières lectures la semaine prochaine, puisque je serai hébergé chez mon cousin, retrouvé l'an passé, après de longues années de séparation : comme quoi la retraite a du bon...
Et puisque ce journal est un reflet du passé dans le présent, signalons que j'ai reçu récemment un courrier électronique de Michel Baglin, connu alors que j'étais en poste à Auch dans les années 70, où il était journaliste pour la Dépêche du Midi. Michel Baglin était poète, il a continué à écrire, et je recommande en particulier Entre les lignes, un recueil de nouvelles, et La lettre de Canfranc, magnifique évocation nostalgique de la ligne ferroviaire du Somport. Il est prêt à m'accueillir l'an prochain dans la région toulousaine lors de mon prochain cycle de cyclo-lectures... Vivent les retrouvailles !

vendredi 25 mai 2007

24 mai 2007 : retrouvailles

Journée sans histoires, après le petit succès d'hier à Bélis, où le public était restreint mais ravi...
Petite balade à vélo dans l'après-midi pour entretenir la machine humaine, reprendre de l'énergie, et empêcher Rossinante de rouiller.
Les petites routes dans la haute lande sont extraordinairement calmes : pas une voiture ! La forêt n'est jamais la même, ici, une haute futaie sombre, car les troncs droits et serrés, à l'écorce du gris au brun foncé, sont couronnés d'un chapeau végétal d'aiguilles vert profond, là, une friche de fougères et d'ajoncs, et entre deux, toutes les étapes intermédiaires, puisqu'on fait des coupes, on laisse reposer un peu, puis on replante.
Je me souviens du temps où je partais sur mon vélo et m'arrêtais dans un endroit propice pour me faire un lit de fougères et bouquiner, à l'abri du bruit de la maisonnée, un peu égoïstement...
De temps en temps, un immense champ de maïs. Quelques fermes au fond d'un airial, certaines délabrées, d'autres bien restaurées. Un petit arrêt au cimetière de Cère pour quelques instants de recueillement sur les tombes de ma grand-mère et de mon père.
Je rentre avant un gros orage qui occasionne des dégâts chez ma soeur et m'empêche de rallier le lieu de lecture à vélo : chemin inondé et boueux !
En arrivant au restaurant (car ce soir, la séance de lecture est à 21 h), retrouvailles surprise : mon vieux camarade de la classe de philo, Bernard Graciannette, pas vu depuis une dizaine d'années, alors même que, à chaque fois que je vais à Mont de Marsan, je me dis qu'il faut que j'aille lui rendre visite ! La honte ! C'est une surprise qu'ont concoctée les organisateurs, en complicité avec ma soeur qui a gardé le secret. Il est toujours assez handicapé (depuis un accident de naissance, et il avait passé le baccalauréat et sa licence de philosophie en tapant sur une machine à écrire), marche avec difficulté, ayant subi récemment plusieurs opérations de la hanche, mais son intellect est toujours vif, et il est ravi de me revoir, et réciproquement. A table, nous discutons, et j'apprends qu'il est responsable de la section locale de la Ligue des Droits de l'homme.
Le Cercle des travailleurs est une association ancienne, qui remonte au XIXème siècle, et qui a été ranimée récemment par M. Duhurt, avec l'aide du parc naturel des Landes de Gascogne. Au bout du compte, dix-huit personnes assistent à la lecture sur le thème de la "nourriture". J'essaie de me surpasser, car maman est là aussi, et à quatre-vingt sept ans, c'est la première fois qu'elle assiste à une de mes animations. Je ne sais pas si j'ai réussi, en tout cas, on rit beaucoup, le texte de Georges Flipo, Ne pas chipoter, que je lis pour la première fois, passe bien, ainsi que l'extrait, plus réflexif que narratif, du Désert des déserts de Wilfred Thesiger. Et ma jeune nièce de quatorze ans, également présente, ouvrait de grands yeux : j'espère qu'elle a aussi ouvert tout grand ses oreilles. Et mon Livre d'or, que je laisse à la disposition des auditeurs, se remplit copieusement ! Deux regrets : mon filleul et blogueur préféré était absent. Et, bien sûr, l'absence de Claire, restée à Poitiers.
LE DÉSERT DES DÉSERTS - Wilfred THESIGER
Adichats, les Landes...

mercredi 23 mai 2007

23 mai 2007 : la vie et rien d'autre

Ce matin, nouveau réveil en fanfare : 4 h 40. Rien à dire, ça fait déjà 7 h 20 que je dors d'affilée ; pas mal. Je descends au salon, ouvre la télé et tombe sur une émission littéraire sur la 2 ! Une reprise, mais l'original doit passer vers minuit ordinairement, heure où normalement je dors. Et je suis séduit par la personnalité d'un des auteurs présents, Marc Dugain, ancien entrepreneur ou dirigeant d'entreprise qui en a eu marre un beau jour de n'avoir pas d'autre moteur que l'argent... Inutile de dire que ça me plaît beaucoup. J'avais vu et aimé le film tiré de La chambre des officiers, sur les gueules cassées de la guerre de 14. Il a écrit deux autres romans, l'un sur les Etats-unis de Kennedy, l'autre sur la Russie de Poutine (et de Staline, en filigrane), tout ça m'a l'air bougrement intéressant.

A 6 h, je me rendors ; à 8 h, je suis de nouveau sur mon vélo, prêt à affronter la redoutable ligne droite longue de 10 ou 11 km entre Luxey et Labrit. Un lièvre traverse à 20 mètres devant moi, toutes oreilles dressées et disparaît dans les fougères. En voilà un qui a la chance de passer devant un cycliste et d'échapper à l'hécatombe. Que de cadavres de hérissons, de petits rongeurs, de crapauds, et d'oiseaux de toutes sortes, jusqu'à des grands rapaces, j'ai croisés ces temps-ci ! Et cet après-midi, alors que j'allais reconnaître mon parcours pour ce soir (8 km de la maison de ma soeur à la mairie de Bélis, où l'on m'attend), sur une petite route où il ne doit pas passer plus de trente voitures par jour (en 3/4 h, je n'en ai croisé que deux), un écureuil. Non écrasé, il avait simplement été heurté, et sa face avait pris le choc, une de ses canines était sortie de la mâchoire et débordait monstrueusement sur le côté de sa face. Son poil roux était tout doux, je l'ai ramassé et mis délicatement dans le fossé, ne voulant pas qu'il soit écrabouillé par une prochaine voiture.
Et voilà. Moi qui m'efforce d'apporter un peu de vie autour de moi - et mes cyclo-lectures ne sont rien d'autre qu'un partage de vie, d'un surcroît de vie qu'apporte la littérature - je suis sans cesse confronté à la violence et à la mort.
Sans faire d'angélisme, j'en arrive parfois à préférer les animaux aux humains. Ils ne tuent que pour vivre ; nous, nous tuons sans discernement et sans nécessité. Un écureuil, si innocent et si beau...
Le soir même, en retournant à Bélis, un autre, bien vivant cette fois, traverse à dix mètres devant moi !
Encore un petit public, mais captivé. Parmi eux, un couple de cyclotouristes, le maire d'une commune voisine et une vieille dame venue de Savoie pour épauler sa fille nantie de quatre enfants et abandonnée par son mari ; drôle d'époque... Elle mange avec nous au restaurant. Et nous signale qu'elle vient tous les jours y boire un café, car il faut faire vivre le commerce local, en l'occurrence unique commerce de ce tout petit village de 120 habitants. La patronne travaille seule, elle aussi abandonnée par son mari !
J'ai inauguré depuis Sore l'usage du bâton de pluie pour séparer les différents textes. Ce qui laisse un peu de repos... Et je lis de plus en plus lentement, enfin, pas trop, mais en acceptant le silence. Plus peur du vide, en quelque sorte. Ou confiance en la vie, tout simplement ?