vendredi 3 mars 2017

3 mars 2017 : documentaires 1 : au cinéma


On a beau dire, nos rêves ont vite fait de s’effacer sans qu’on s’en aperçoive, un beau jour on s’éveille en se disant que c’en est fait d’eux, donc de nous, et il ne nous reste dans le meilleur des cas que nos yeux pour pleurer.
(Mathieu Riboulet, Avec Bastien, Verdier, 2010)


Le cinéma est une source de connaissance infinie, dès qu'on a affaire à des artistes. Ce peut être le cas des films de fiction (car on sait bien que la fiction nous en apprend beaucoup sur les autres et sur nous-mêmes) aussi bien que des documentaires.
 
Le film de Xavier Gayan, Les poètes sont encore vivants, sort la semaine prochaine, probablement dans très peu de salles. Raison de plus pour que j'en parle, ayant eu en avant-première le dvd du film. En plus, il parle de poésie, donc une rareté dans le panorama culturel actuel, même en période de "printemps des poètes". Le réalisateur donne la parole à quatorze poètes actuels (eh oui, les poètes ne sont pas tous "morts") : par ordre alphabétique, Benny Aguey-Zinsou, Maram Al Masri, Édith Azam, Stéphane Bataillon, Paul de Brancion, Emmanuel Comtet, Jacques Darras, Marc Delouze, Souleyman Diamanka, Mireille Fragier Caruso, Yvon Le Men, Charles Pennequin, Jean Portante, Lysianne Rakotoson. Tous nous indiquent leur parcours, leurs sources d’inspiration, leurs pratiques de la langue et de la poésie. Car bien que très minoritaire aujourd'hui (il se publie pourtant plusieurs milliers de livres de poésie chaque année en France, mais leur tirage ne dépasse que rarement 500 exemplaires), la poésie est plus vivace que jamais : elle se slame, elle se clame, elle se profère, elle se dit, elle se chante. On trouvera donc ici des témoignages de quelques poètes sur la naissance et la pratique de leur art : qu’est-ce que la poésie ? Quel est son rôle ? Comment l’écriture naît-elle, à travers de quelles influences ? 
 
Il est certain que la poésie a quelque chose d’unique par rapport aux autres arts, aussi bien que par rapport au reste de la littérature. Le film nous fait voyager à travers les mots, les langues et les lieux (la ville ou la nature). Oui, les poètes transfigurent la langue, la libèrent de son sens univoque. Et tant pis si la poésie ne se vend pas, si aucun des auteurs du film n’est connu, hors d’un public restreint ; pourtant voir Charles Pennequin exploser ses mots dans la rue, Jacques Darras tenter de définir plus intellectuellement ce qu’est la poésie (mais il y a presque autant de définitions que de poètes), ou le jeune Benny Aguey-Zinsou relater son approche de cet art, entre autres témoignages, permet à la fois de comprendre les raisons de l’indifférence du grand public (les passants semblent peu prêter attention à Pennequin) et le retour de certains jeunes vers une invention langagière en lien avec la musique, afin de réveiller ce qui sommeille en nous. Ainsi, Beguy Aguey-Zinsou slame avec bonheur. Mon grand regret : une présence trop rare de la poésie féminine (quatre femmes contre dix hommes), qui est souvent plus en prise avec la réalité concrète ou sensitive. J’apprécie d’autant plus le rayonnement de Lysiane Rakotoson qui parle de la poésie comme d’un "éclat de beauté". Puis-je dire que, dans la morosité ambiante, on a plus que jamais besoin de cet éclat de beauté ? Et que le film nous y invite joliment ?

Avec Un paese di Calabria, nous revenons de plain pied dans le "problème" des migrants dont je parlais récemment (mes pages du 9 janvier, 10 février, 20 février, 22 février). L’intérêt de ce superbe documentaire est de démontrer que ce n’est justement pas un problème, si on se met à raisonner humainement. 

Le village de Riace, en Calabre, devenu un mouroir de vieillards, car tous les jeunes ont migré vers les grandes villes ou vers l’étranger, revit en devenant un havre pour les réfugiés, une sorte d’utopie que réalise, sous l’impulsion d’un maire aussi inventif que généreux, la petite communauté des habitants, qui accueillent, logent, établissent un vrai plan d’insertion par le travail et l’apprentissage de la langue. Alors qu’au départ, le maire avait eu l’intention de faire rénover les nombreuses maisons vides pour attirer des touristes, l’afflux de réfugiés (ils sont 400, de 22 nationalités, sur 2100 habitants) a orienté le projet différemment : tout le monde s’y est mis, des jeunes sont revenus, la population a augmenté, et Riace prouve qu’accueillir convenablement des réfugiés, les héberger comme des êtres humains, être tout simplement en phase avec ces "valeurs" dont on nous rebat les oreilles, soude une communauté et permet de répondre éloquemment aux partisans de la haine, du racisme et de la ségrégation. Un plaidoyer vibrant pour un monde plus humain : et, en plus, c’est une histoire vraie !!!

Bref, on se dit que le monde peut aller mieux, si on fait confiance à l'humanité des gens et à la solidarité, à la poésie, en somme. Et qu'il ne faut jamais laisser s'effacer nos rêves, plutôt tenter de les vivre !

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