On
a beau dire, nos rêves ont vite fait de s’effacer sans qu’on
s’en aperçoive, un beau jour on s’éveille en se disant que c’en
est fait d’eux, donc de nous, et il ne nous reste dans le meilleur
des cas que nos yeux pour pleurer.
(Mathieu
Riboulet, Avec
Bastien,
Verdier, 2010)
Le
cinéma est une source de connaissance infinie, dès qu'on a affaire
à des artistes. Ce peut être le cas des films de fiction (car on
sait bien que la fiction nous en apprend beaucoup sur les autres et
sur nous-mêmes) aussi bien que des documentaires.
Le
film de Xavier Gayan, Les poètes sont encore vivants, sort la
semaine prochaine, probablement dans très peu de salles. Raison de
plus pour que j'en parle, ayant eu en avant-première le dvd du film.
En plus, il parle de poésie, donc une rareté dans le panorama
culturel actuel, même en période de "printemps
des poètes".
Le réalisateur donne la parole à quatorze poètes actuels (eh oui,
les poètes ne sont pas tous "morts")
: par ordre alphabétique, Benny
Aguey-Zinsou, Maram Al Masri, Édith
Azam, Stéphane Bataillon, Paul de Brancion, Emmanuel Comtet, Jacques
Darras, Marc Delouze, Souleyman Diamanka, Mireille Fragier Caruso,
Yvon Le Men, Charles Pennequin, Jean Portante, Lysianne
Rakotoson. Tous nous indiquent
leur parcours, leurs sources d’inspiration, leurs pratiques de la
langue et de la poésie. Car bien que très minoritaire aujourd'hui (il se publie
pourtant plusieurs milliers de livres de poésie chaque année en
France, mais leur tirage ne dépasse que rarement 500 exemplaires), la
poésie est plus vivace que jamais : elle se slame, elle se clame,
elle se profère, elle se dit, elle se chante. On trouvera donc ici des témoignages
de quelques poètes sur la naissance et la pratique de leur art :
qu’est-ce que la poésie ? Quel est son rôle ? Comment
l’écriture naît-elle, à travers de quelles influences ?
Il
est certain que la poésie a quelque chose d’unique par rapport aux
autres arts, aussi bien que par rapport au reste de la littérature.
Le film nous fait voyager à travers les mots, les langues et les
lieux (la ville ou la nature). Oui, les poètes transfigurent la
langue, la libèrent de son sens univoque. Et tant pis si la poésie
ne se vend pas, si aucun des auteurs du film n’est connu, hors d’un
public restreint ; pourtant voir Charles Pennequin exploser ses
mots dans la rue,
Jacques Darras tenter de définir plus intellectuellement ce qu’est la poésie (mais il y a
presque autant de définitions que de poètes), ou le jeune
Benny
Aguey-Zinsou relater son approche de cet art, entre autres
témoignages, permet à la
fois de comprendre les raisons de
l’indifférence du grand public (les
passants semblent peu prêter attention à Pennequin)
et le retour de certains jeunes vers une
invention langagière en
lien avec la musique, afin
de réveiller ce qui sommeille en nous.
Ainsi, Beguy
Aguey-Zinsou slame avec bonheur. Mon grand
regret : une présence trop rare de la poésie féminine (quatre
femmes contre dix hommes), qui est souvent plus en prise avec la
réalité concrète ou sensitive. J’apprécie d’autant plus le
rayonnement de Lysiane Rakotoson qui parle de la poésie comme d’un
"éclat de beauté". Puis-je dire
que, dans la morosité ambiante, on a plus que jamais besoin de cet
éclat de beauté ? Et que le film nous y invite joliment ?
Avec
Un paese di
Calabria,
nous revenons de plain pied dans le "problème" des
migrants dont je parlais récemment (mes pages du 9 janvier, 10
février, 20 février, 22 février). L’intérêt de ce superbe
documentaire est de démontrer que ce n’est justement pas un
problème, si on se met à raisonner humainement.
Le village de
Riace, en
Calabre, devenu un mouroir de vieillards, car tous les jeunes ont
migré vers les grandes villes ou vers l’étranger, revit en
devenant un havre pour les réfugiés, une
sorte d’utopie
que réalise,
sous l’impulsion d’un maire aussi inventif que généreux, la
petite communauté des
habitants, qui accueillent, logent, établissent un vrai plan
d’insertion par le travail et l’apprentissage de la langue.
Alors qu’au
départ, le maire avait eu l’intention de faire rénover les
nombreuses maisons vides pour attirer des touristes, l’afflux de
réfugiés (ils sont 400, de 22 nationalités, sur 2100 habitants) a
orienté le projet différemment : tout le monde s’y est mis,
des jeunes sont revenus, la population a augmenté, et Riace prouve
qu’accueillir
convenablement des réfugiés, les héberger comme des êtres
humains, être
tout simplement en phase avec ces "valeurs" dont on nous
rebat les oreilles, soude une communauté et permet de répondre
éloquemment aux partisans de la haine, du racisme et de la
ségrégation.
Un plaidoyer
vibrant pour un monde plus humain : et, en plus, c’est une
histoire vraie !!!
Bref, on se dit que le monde peut aller mieux, si on fait confiance à l'humanité des gens et à la solidarité, à la poésie, en somme. Et qu'il ne faut jamais laisser s'effacer nos rêves, plutôt tenter de les vivre !
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