Je
suis habité, avant toute chose, par la poésie : une anarchie
céleste m’empêche de traîner qui que ce soit devant un tribunal.
Je ne pourrais me résoudre à faire condamner quelqu’un.
(Luigi
Bartolini, Les
voleurs de bicyclette,
trad. Olivier Favier, Arléa, 2008)
Je
parlais l’autre jour de
Simon Quéheillard, et
du burlesque dans l’art.
Dieu
merci, le burlesque habite encore le cinéma ordinaire. Je n’en
veux pour preuve que les films de Dominique Abel et Fiona Gordon. Aux
antipodes du cinéma comique français commercial, incroyablement
bavard et si peu visuel, ils arrivent à concocter des histoires
extraordinairement visuelles, d’un légèreté qui nous allège du
monde environnant.
Ainsi,
Paris
pieds nus.
Fiona (Fiona
Gordon),
Canadienne anglophone, reçoit un message de sa tante Martha, qui a
émigré à Paris longtemps auparavant pour y vivre sa vie de danseuse :
c’est un appel au secours, car Martha craint qu’on la mette
d’office en maison de retraite. Fiona se précipite et débarque à
Paris, elle parle mal français, tombe dans la Seine et perd dans la
rivière son sac à dos avec son argent, son téléphone portable et son passeport. Et la
fameuse Martha ne répond pas au téléphone ! Où traîne-t-elle
donc ? Fiona
va se trouver prise dans des situations inextricables, entre un
enterrement drôlatique au Père Lachaise (on croit un instant qu'il s'agit de celui de Martha), la rencontre avec un SDF (Dominique
Abel) qui vit sous une tente dans l’île aux Cygnes, une autre avec un policier
canadien de la Police montée en stage à Paris, et la recherche
improbable de Martha. Martha, c’est la formidable Emmanuelle Riva
qui, pour son dernier film, nous fait prendre conscience du temps
qui passe.
Le
film est, en même temps qu’un hommage singulier à la ville de Paris que je n'ai jamais vue aussi formidablement aperçue, un
hommage aux maîtres du cinéma muet : Chaplin, que plusieurs
scènes évoquent (déjà le personnage de Dom le clodo), notamment
la danse dans le bateau de Fiona et Abel (on pense irrésistiblement
à Charlot serveur de restaurant dans Les
Temps
modernes),
Harold Lloyd (dont la séquence au sommet de la Tour Eiffel ranime
notre souvenir de Monte
là-dessus,
aussi bien que celui de la séquence du patin à roulettes dans Les
temps modernes
de Chaplin). Dominique Abel fait penser à Laurel, tout autant que
Fiona Gordon, avec son air gauche. Bref, que du bonheur. Français,
encore un effort ! Voilà le cinéma comique français superbe, héritier
de Jacques Tati et de Pierre Étaix, aussi bien que du burlesque
américain ou de Pierre Richard qui joue dans le film un vieillard
irrésistible (sa danse des pieds avec Martha fait penser à la danse
des petits pains de Charlot dans La
ruée vers l’or).
Un
film magnifique, que dis-je magique, une sorte d'anarchie céleste...
Et tant pis pour ceux qui n'iront pas le voir !
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