Avec
de la tendresse et des câlineries,
de
l’amabilité et des plaisanteries,
il
est facile de conquérir le cœur
des
bonnes filles.
(Mozart,
L’enlèvement
au sérail,
1782)
Je
n’étais pas allé voir un opéra au Capitole de Toulouse depuis
les années 70. Mais comme mes enfants et ma belle-sœur Anne voulaient
m’offrir un opéra en direct pour mon anniversaire, j’avais
choisi cet opéra, que je connais assez bien pour l’avoir écouté
souvent et regardé en dvd. Avouons que le « direct »
(pourquoi diable s’obstinent-ils à dire à la radio et à la télé
le "lailleveu",
alors que nous avons un mot français si simple !). J’y suis
allé dans un état épouvantable, presque à ramasser à la petite
cuillère, incapable de lever mon bras gauche, affligé d’une
douleur atroce, surtout pendant la nuit. Mais je savais qu’il n’y
avait rien comme Mozart pour me transporter pendant quelques heures
ailleurs, et je savais donc que j’oublierai la douleur pendant trois
heures, malgré l’inconfort de ces vieux théâtres.
un détail de l'affiche
Et,
effectivement, l’enchantement s’est de nouveau produit.
L’enlèvement au sérail (créé en 1782) est un "singspiel",
c’est-à-dire un opéra chanté entrecoupé de scènes parlées (au siècle suivant, on dira un opéra comique, au XXème, une comédie musicale, si l'on veut, mais attention, il y faut des chanteurs de grande étoffe).
Sélim, le pacha, pourtant un rôle important, est un rôle seulement parlé : c’est lui détient
prisonniers Constance (dont il veut faire sa favorite, mais qui lui
résiste : "Je
ne tremblerais / que si je pouvais être infidèle"),
Pedrillo et sa fiancée Blonde, les deux jeunes femmes étant
enfermées dans le sérail, gardées par le terrible Osmin, qui
surveille de près Pedrillo, devenu un des serviteurs du palais, qui
mijote plan sur plan pour essayer de faire évader les deux
femmes, et lui avec. Voilà que survient Belmonte, le fiancé de Constance, parti
sur les mers à sa recherche. Pedrillo parvient à le faire pénétrer
dans le palais, en assurant au pacha qu’il est un architecte
renommé en Europe. Comment les deux jeunes gens vont-ils réussir à
déjouer la surveillance d’Osmin et des terribles janissaires ?
C’est tout l’objet de cette turquerie, genre assez à la mode aux
grands siècles (rappelons-nous Le bourgeois gentilhomme, de
Molière et Lully).
L’argument
vaut ce qu’il vaut, c’est souvent le point faible des opéras,
jamais de ceux de Mozart, qui nous divertit par une musique divine
apposée à une histoire en fin de compte assez contemporaine, si
l’on pense à tous les enlèvements politiques que l’on connaît
encore en ce début de siècle. Et surtout, comme souvent chez
Mozart, on y explore l’amour et un de ses aspects, qui paraît ringard
aujourd’hui : la fidélité.
ma version discographique
La
première fois que les quatre jeunes gens sont réunis, derrière la
joie présente, les deux hommes ne peuvent manquer d’être
assaillis par le doute à l’idée que leurs deux fiancées,
enfermées dans le sérail, aient pu être soumises aux désirs du
pacha ou de ses sbires. "Ne te fâche
pas si, après les rumeurs / que j’ai entendues, j’ose / en
tremblante et en frémissant / te demander si tu aimes le pacha",
ose chanter Belmonte à sa soupirante qui n’en croit pas ses
oreilles. Pedrillo, de son côté chante à Blonde : "Est-ce
que Osmin, de fait, / comme on pourrait le croire / n’a pas usé de
son droit de maître / pour l’exercer sur toi ?" S’ensuit
une jolie scène chantée de dépit amoureux, où les deux belles
chantent en chœur : "Que les hommes / doutent de notre
honneur / et qu’ils nous regardent avec méfiance / nous ne pouvons
pas le supporter !"
L’évasion
est ratée. Pedrillo a bien fait boire Osmin (duo comique de "Vive
Bacchus ! Vive celui qui a inventé le vin !"), les quatre
sont menés aux pieds du pacha, qui pourrait exercer de dures
représailles, surtout quand il apprend que Belmonte est le fils du
gouverneur d’Oran,
d’où il dut fuir, abandonnant son honneur et ses possessions.
Mais, faisant un retour sur lui-même, et admiratif de la fidélité
(la constance) de Constance, il pardonne : "C’est
pour moi un plus grand plaisir de payer une injustice subie par une
bonne action, que de répondre à la haine par la haine."
Et tout finira bien, les quatre fiancés chantant ensemble en un
superbe quatuor : "Rien
n’est plus vil que la vengeance ; / être magnanime, humain et
aimable, / et pardonner sans ressentiment, / voilà le propre des
grandes âmes !"
Voilà,
c’est tout simple, L’enlèvement au sérail est un hymne à
la fidélité, au pardon et à la magnanimité. En notre temps de
disgrâce de ces trois valeurs (pourtant nos hommes politique n'ont que ce
mot : valeurs, à la bouche, ce qui leur permet de cacher leurs
malversations sous des mots ronflants), ça fait du bien à entendre. Surtout que la mise en
scène, l’orchestre, les chanteurs et acteurs étaient parfaits.
Car Mozart ne supporte pas l’à-peu-près !
le billet d'entrée
Et,
pendant trois heures (il y a eu deux entractes), je suis resté roi
de mes douleurs !!! Vive Mozart, et qu’on continue à l’aimer
et à le jouer !
Merci, Anne, de m'y avoir accompagné ! Et merci à Lucile et Mathieu d'avoir participé au financement !
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