l'art
[…] moyen de chercher un sens à l'étonnement d'être au monde.
(Carlos Liscano, L'écrivain et l'autre, Belfond, 2009)
Je
viens de participer ce jeudi soir à ma première soirée
« collective » à Bordeaux, et bien sûr, consacrée à
la poésie. Cela s'est passé dans un café-restaurant tenu par un
Anglais amateur de livres et de poésie, Paul's Place, dans le
quartier des Chartrons, rue Notre-Dame. Un des plus beaux lieux de
Bordeaux, chaleureux, avec des livres, des images sur les murs, et
une nourriture saine et agréable. Avis aux végétariens/nes (j'en
connais plusieurs) : ils/elles peuvent venir ici ! Même si
on sert aussi de la viande... J'ai été séduit aussi par la qualité
des participants, même si pour l'instant je n'ai pas approfondi leur
connaissance. Ces soirées ont lieu les 2ème et dernier mardi de
chaque mois, si j'ai bien compris. Déjà je sais que je ne pourrais
pas y aller fin octobre (j'avais arrêté mon programme de
déplacement auparavant), mais il va de soi que désormais je vais
m'organiser en fonction de ce site, de cette « famille »,
devrais-je dire.
Paul's Place
J'ai
donc mangé là et lu quelques textes de mon recueil (un exemplaire
vendu). Il fut lu (ou dit) de l'Aragon, du La Fontaine (décidément
un extraordinaire jongleur de mots, une vieille dame – j'espère ne
pas la vexer en disant cela – a dit d'une façon exquise Les
animaux malades de la peste),
du Tardieu, du Pérec... Des textes inédits, écrits par les diseurs
ou par d'autres. Parfois excellents, parfois moins bons, mais il faut
de tout pour faire un monde, et on ne peut pas rester tout le temps
sur les cimes. Une grande liberté, en somme. Je me suis éclipsé à
la pause-cigarettes de 23 heures, mais il y avait une seconde
partie ; peut-être aurais-je pu lire quelques poèmes de plus
et augmenté ma vente ? Mais j'étais fatigué : le
sachant, je ferai la prochaine fois une bonne sieste l'après-midi.
L'animateur, et deux diseurs préparant leurs textes
Puisqu'il
est question de poésie, je vous livre quelques-unes des phrases que
j'ai relevées dans mes lectures récentes, très
latino-américaines : de l'Uruguayen Carlos Liscano, "J'ai
toujours été meilleur dans le silence. Il est difficile de ne pas
entendre le bruit. Tout est bruit et au cœur du bruit vit le
silence. Ne pas écouter le bruit, tout laisser s'éteindre,
s'évanouir, et que vienne le silence. Là, dans le silence,
s'asseoir et attendre. Alors vient le mot",
"Très
souvent, comme ces derniers temps, je me suis laissé envahir par le
bruit. Il n'y a pas de poésie dans le bruit" ;
de l'Argentin Julio Cortázar, "nous
sommes de l'autre côté, dans ce territoire libre et sauvage et
délicat où la poésie est possible et arrive jusqu'à nous comme
une flèche d'abeilles..."
(lettre
à Fredi Guthman,
1963).
La
poésie aide à ne pas trop s'installer. "Jamais
je n'ai su m'installer dans la vie. Toujours assis de guingois, comme
sur un bras de fauteuil ; prêt à me lever, à partir",
écrivait André Gide le 14 juillet 1930. Je
pars pour Poitiers tout à l'heure pour une soirée poésie ce soir,
deux poètes très jeunes au programme, une visite à mes vieux amis,
ainsi qu'à Igor, hospitalisé dans le coma au CHU après une chute
dans la rue ; dépourvu de plaquettes, ça a déclenché une
hémorragie cérébrale qui risque bien de lui être fatale. Je lui
dois beaucoup, il m'a admirablement accueilli à Poitiers ces deux
dernières années, et même prêté son appartement dont j'ai les
clés quand il était absent. Encore un de ces originaux qui font le
sel de la vie ! Je vais lui faire un peu de lecture, même s'il
est dans le coma. Je lui avais dédié un poème dans mon recueil (je
vois que j'en parle déjà au passé, mais sa tante m'a dit au
téléphone que c'était sans doute son dernier voyage). Il aimait
beaucoup Barbara, particulièrement cet extrait de la chanson Mon
enfance :
Et
j'ai laissé couler mes pleurs,
mes
pleurs.
J'ai
mis mon dos nu à l'écorce,
l'arbre
m'a redonné des forces
tout
comme au temps de mon enfance.
Et
longtemps j'ai fermé les yeux,
je
crois que j'ai prié un peu,
je
retrouvais mon innocence.
Igor dans le train, et son éternel chapeau
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